Alsace: Le maire de Kingersheim tente d’exploiter le «potentiel citoyen» des habitants pour «co-construire» les projets démocratiques
POLITIQUE Loin de la présidentielle, Jo Spiegel a lancé il y a plus de 20 ans la construction d’une nouvelle forme de démocratie participative dans sa commune, où il tente d’impliquer un maximum de citoyens dans les choix politiques…
- « Il faudrait sortir du “je” pour rentrer dans le “nous” en politique »
- « Je suis un militant de la transition, démocratique d’abord puis écologique ensuite »
Son livre Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux est sorti au tout début de cette drôle d’année électorale. Quatre ans après son dernier ouvrage, Citoyens, impliquons-nous ! (Re) prenons le pouvoir collectif (éditions TempsPrésent) Joseph Spiegel, maire de la commune haut-rhinoise de Kingersheim depuis bientôt 30 ans n’a pas grand-chose du donneur de leçon.
Pourtant, l’écouter raconter la mise en place de ses conseils participatifs, par exemple, où les habitants construisent ensemble des solutions en forme de compromis pour chaque projet mené dans la commune a quelque chose de reposant, en pleine campagne pour la présidentielle un brin électrisée. Avant le premier tour, il s’est livré au milieu de son dernier mandat.
Est-ce que vous suivez la campagne actuelle ?
Comme jamais je n’ai été devant un spectacle ! Je considère que nous sommes au bout d’un système où la démocratie consiste tous les cinq ans à sortir son meilleur show. Mais la vraie vie n’est pas là. Sa complexité ne peut d’ailleurs pas être reflétée par ce système partisan. C’est notamment pour cela qu’il faut revoir la démocratie […]. D’autant que le potentiel citoyen reste non-exploité. Il faudrait sortir du « je » pour rentrer dans le « nous » en politique.
De quelle manière tentez-vous, à votre échelle, d’instaurer ça ?
Le modèle participatif consiste à trouver un consensus dynamique, en mettant toutes les parties autour de la table. Si vous voulez par exemple installer un espace de jeu dans un quartier, il faut impliquer des habitants proches et moins proches, des acteurs du Plan local d’urbanisme ou encore des élus, faire émerger quelque chose de collectif. Avec des politiques, des habitants, des experts… Il faut assurer ça pour chaque projet, en donnant d’abord des informations aux gens avant de créer un débat public durable dans lequel l’élu pose le cadre dès le départ.
Quand avez-vous lancé cette démarche ?
Je suis arrivé en 1989, mais cela s’est fait progressivement. Il a fallu inventer pas mal de choses. Moi, je suis un militant de la transition, démocratique d’abord puis écologique ensuite. Ça prend du temps et ça demande de la volonté et des convictions à respecter. Les partis (il a quitté le PS, ndlr), eux, sont là pour la conquête du pouvoir […]. Aujourd’hui, on est dans l’accélération du temps et la superficialité de la pensée, alors que la bonne décision nécessite de la lenteur et un vrai dialogue […]. Lors de mon premier mandat, nous nous sommes notamment focalisés sur l’éducation. Comme au Danemark, je pense qu’on devrait ainsi commencer par apprendre à se parler, à se respecter dès le plus jeune âge, ce serait le meilleur début de la citoyenneté active.
Comment avez-vous ensuite tenté d’intéresser les gens ?
Au fil des années, j’ai organisé différents temps de rencontre. En 1998, j’ai d’abord fait un tour de la ville à pied, pendant six mois, pour échanger avec les habitants et les inciter à répondre à un questionnaire sur leurs besoins. Puis j’ai mis en place des états généraux pour questionner et mobiliser sur le processus de prise de décision et on a eu 43 % de réponse. En 2015, j’ai également refait le tour de la ville à pied pour trouver comment animer avec les habitants l’actuel mandat marqué par la sobriété. On en a dégagé 20 projets sur trois ans, tous avec l’implication de citoyens. Mais les encourager à participer n’est pas si simple.
Cette « maison de la citoyenneté » que vous avez créée, de quoi s’agit-il ?
C’est un lieu qui appartient autant aux habitants qu’aux élus. Par exemple, j’y ai récemment reçu les 90 jeunes candidats pour nos 25 jobs d’été. Pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité et éviter le clientélisme, je leur ai expliqué que nous fonctionnons depuis près de 20 ans par tirage au sort. Au moins, il n’y a aucune opacité. En amont du conseil municipal, c’est aussi ici que les conseils participatifs (qui ont remplacé les réunions de quartiers, jugées concrètement inutiles) cherchent un accord sur tout ce qui rentre à l’agenda avec la plus grande base démocratique possible […]. C’est un peu la nouvelle mairie, là où tous les projets passent par les différentes étapes du processus de co-construction, toujours dans la transparence.
Mais comment attirer dans la concertation tous les représentants de la population ?
Sur tous les lourds projets, le conseil participatif invite 40 % des habitants autour de la table par tirage au sort, aux côtés d’élus et des experts. Parmi eux, un sur six se présente en moyenne, mais ce sont souvent les meilleurs comme ils viennent sans a priori. Les thématiques différentes permettent aussi d’attirer des gens différents. […] Mais on est au début d’une aventure. Les opinions surgissent aussi à différents endroits, certains sur nos ateliers d’agora 2015-2020, d’autres aux conseils participatifs, d’autres aux journées citoyennes… Progressivement, ça fait tache d’huile.
Pensez-vous qu’une telle initiative serait possible au niveau national ?
Il y aurait plus de résistance, c’est sûr, mais je pense que le Premier ministre pourrait passer devant les citoyens pour leur demander de trouver un compromis sur cinq ou six sujets, par exemple. En donnant le temps, ce serait un début pour construire une démarche citoyenne constante. C’est peut-être utopique, mais il faudrait un jour sortir des partis, et effectuer un retournement démocratique.