Basket, handball… Le racisme est-il en train de gagner du terrain aussi dans le sport amateur ?
Insultes Quelques semaines après qu’un joueur de basket de 4e division a été traité de « bonobo », les handballeurs de Mulhouse assurent avoir été eux aussi victime de racisme sur le terrain de Hazebrouck, dans les Hauts-de-France
- Après des insultes raciales lors d’un match de basket, c’est un match de handball de Nationale 1 qui a été entaché d’un geste raciste de la part d’un supporteur de l’équipe d’Hazebrouck, samedi.
- Le club assure qu’il prendra des sanctions « si les faits sont avérés ». Le président assure, vidéo à l’appui, qu’« il n’y a eu aucune insulte raciste ou autre proférée par (ses) supporteurs ».
- Philipe Bana, le président de la Fédération française de handball, a annoncé l’ouverture d’une enquête disciplinaire pour faire toute la lumière sur les événements.
Après le basket, c’est au tour du handball d’être secoué par une possible affaire de racisme autour des terrains. Samedi, alors qu’ils disputaient un banal match de championnat de Nationale 1 (troisième division) à Hazebrouck, les joueurs de l’ASPTT Mulhouse-Rixheim ont soudainement arrêté de jouer après qu’un supporteur adverse se serait rendu coupable à plusieurs reprises d’un geste nauséabond.
Au bout du fil, l’international guinéen de Mulhouse, David Eponouh, raconte : « En deuxième mi-temps, un de mes coéquipiers, Adam Arbaa, est allé discuter avec l’arbitre après un coup de sifflet qu’il ne comprenait pas. Certains supporteurs ont commencé à lui dire ‘arrête de pleurer’, jusque-là ça va, rien de bien méchant, jusqu’à ce qu’un membre du kop pointe du doigt mon coéquipier et fasse ce geste avec ses doigts, de haut en bas du visage, pour lui signifier sa couleur de peau. Sur le coup je me dis que j’ai dû me tromper, sauf qu’il a refait ça à plusieurs reprises. Il n’y avait plus de doutes possibles. Mon coéquipier a vu la même chose, et le monsieur a fini par crier 'l’arabe, l’arabe !' ».
Déjà victime de racisme sur un terrain de hand durant sa jeunesse, David Eponouh voit rouge. « David n’a plus voulu jouer, il a vraiment pété les plombs et notre entraîneur a dû les calmer pour qu’ils ne montent pas en tribunes en découdre », explique Pascal Wettlé, le président du club de Mulhouse, qui n’était pas présent à Hazebrouck au moment des faits. « Mes joueurs sont sans équivoque, ils sont trois à avoir vu le geste, assure-t-il. Un geste qui ne laisse aucune place au doute quant à sa signification. Un geste qui veut dire ‘t’as vu ta gueule avec ta couleur de peau’. Bon, maintenant ils expliquent que le supporteur voulait signifier à notre joueur ‘arrête de pleurer' mais ce n’est pas ce geste-là qu’on fait quand on veut dire ça. »
Parole contre parole
Il faudra l’intervention de la police de terrain pour sortir le supporteur incriminé (dans le calme) pour que le match puisse reprendre et aller à son terme. Comme nous l’expliquait le président du club mulhousien, Hazebrouck a depuis publié un communiqué dans lequel il dit « regretter l’incident » et assure, preuve vidéo à l’appui, qu’« il n’y a eu aucune insulte raciste ou autre proférée par (ses) supporteurs ».
S’il ne se prononce par sur les gestes en question, le président d’Hazebrouck est formel : « J’ai vu la vidéo prise pendant le match avec la caméra située tout proche du groupe de supporteur et on n’entend aucun propos ou insulte raciste. » De son côté, le capitaine d’Hazebrouck Jérôme Hoarau refuse de se prononcer, expliquant n’avoir rien vu ni entendu sur le coup, tout en se montrant solidaire des adversaires si les faits étaient avérés. « Vu la colère et la peine des joueurs de Mulhouse, je sais qu’ils ont été touchés et je me dis que ce n’est peut-être pas pour rien, admet-il. Maintenant, est-ce que c’est une mauvaise interprétation du geste, comme le dit notre président, ou est-ce que c’était vraiment un geste raciste, je n’ai pas la réponse. Si c’est vrai, c’est très grave. »
S’il nous assure que le club prendra des sanctions et bannira le supporteur de son enceinte « si les faits sont avérés », Laurent Olivier regrette d’avoir déjà « été jugé coupable sur les réseaux sociaux » après la publication d’un tweet du journaliste de BeIN Sports Thomas Villechaize, le premier à avoir médiatisé l’affaire. Il nous confie également croire en la bonne foi du supporteur incriminé et maintient n’avoir jamais eu à pâtir du comportement du kop dont il fait partie.
Une enquête disciplinaire est ouverte
Selon les joueurs et les dirigeants de Mulhouse, ce n’est pas la première fois que le club d’Hazebrouck est pointé du doigt pour le comportement de certains de ses fans. David Eponouh : « Avant même qu’on arrive, on nous avait déjà prévenus qu’il s’était déjà passé des choses mais que la plupart du temps ça passait inaperçu, que rien n’était fait pour lutter contre ça. Après je suis du genre à vouloir me faire ma propre opinion et à ne pas juger sans voir, ben ça n’a pas loupé. » « Certains joueurs d’Hazebrouck nous ont dit que ce n’était pas la première fois avec ce kop et qu’ils commençaient à en avoir marre », confirme son président. C’est en effet ce que nous a raconté Jérôme Hoarau.
« On a déjà eu un incident de ce type il y a un petit moment mais je crois que ce n’était pas destiné aux joueurs adverses mais à un coéquipier. Ce jour-là non plus je n’avais rien relevé, ce sont mes coéquipiers qui me l’ont dit après coup. Mais c’est vrai qu’on a déjà entendu parler de ce genre de situations. Après, pour moi, ça reste quand même des événements isolés qui sont le fait d’une personne et non d’un groupe tout entier. »
Joint par téléphone, Philipe Bana, le président de la Fédération française de handball, nous a annoncé l’ouverture d’une enquête disciplinaire pour faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé. Il réfute en revanche l’idée d’un quelconque phénomène qui s’amplifierait au fil des ans sur les terrains de hand. « S’agissant des violences racistes, c’est simplement le deuxième cas disciplinaire qu’on a eu à traiter ces dernières années à la Fédération. Je pense donc qu’il faut se garder de généraliser le cas qu’on a eu ce week-end. Non, il n’y a pas une généralisation des actes racistes dans le handball, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas une vigilance particulière à avoir dès qu’un cas nous est signalé. Si les faits sont avérés, ce sera tolérance zéro du côté de la Fédé ».
Une libération de la parole raciste dans notre société
Cette affaire survient quelques semaines seulement après qu’un joueur de basket a été traité de « bonobo » sur le parquet de Charleville-Mézières alors qu’il y disputait un match de championnat de quatrième division avec son équipe de Metz. Jusque-là l’apanage du football, les actes et injures racistes gagneraient-ils d’autres terrains ? Si aucune étude formelle n’a été réalisée à ce sujet, le sociologue William Gasparini de l’Université de Strasbourg évoque tout de même des « remontées de terrain allant en ce sens ».
« Il y a une banalisation des insultes et gestes racistes dans le sport amateur en France ces dernières années dans certains territoires, affirme-t-il. Là on parle de Charleville-Mézières et d’Hazebrouck, mais c’est aussi le cas en Alsace, et ce qu’on constate c’est que ça se passe souvent dans des territoires ou des villes où le RN a fait de bons scores aux dernières élections. Il y a une libération de la parole raciste dans les endroits où le parti de Marine Le Pen est arrivé en tête. »
« On voit bien malheureusement que c’est une évolution de notre société, avec un pourcentage accru de personnes qui peuvent avoir ce genre de comportements, il n’y a pas de raison qu’un sport qui a du public échappe à cela, conclut Pascal Wettlé. Notre société a tendance à se déliter, avec un nationalisme exacerbé, certains courants politiques attisent les divisions et la haine. Forcément en bout de chaîne il y a des gens qui n’ont pas le recul nécessaire pour faire la part des choses et qui prennent ça au premier degré. Je suis dans le hand depuis longtemps et je constate que ces excès se développent, on ne peut pas le nier. » Selon les données du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, le nombre de crimes et délits à caractère raciste enregistré par les services de police et de gendarmerie a augmenté de 11 % entre 2018 et 2019 puis de 13 % entre 2019 et 2021.