Radicalisation dans le foot amateur : «Si la société est touchée, ce n’est pas anormal que les clubs le soient aussi»
FOOTBALL William Gasparini, Professeur des universités et sociologue à la Faculté des sciences du sport de Strasbourg, a travaillé sur les clubs communautaires…
Voici les 13 pages les plus commentés du football depuis jeudi. Un rapport des renseignements révèle des « dérives » et des phénomènes de « radicalité » dans des clubs sportifs en France. Des animateurs de formations amateurs présentés comme « salafistes », des prières à la mi-temps, des équipes comportant des « femmes voilées »… Le phénomène n’est pas « négligé » par les services mais pas « généralisé », selon la police. Les clubs communautaires, c’est pourtant tout sauf un phénomène nouveau en France. William Gasparini, sociologue à la Faculté des sciences du sport de Strasbourg, y a d’ailleurs consacré de nombreux travaux.
Êtes-vous surpris par les dérives décrites dans le rapport du Renseignement ?
A partir du moment où on observe du repli communautaire ou une présence du religieux dans certains quartiers, ce n’est pas anormal, si la société est touchée, que les clubs amateurs le soient aussi. Après, je ne connais pas l’ampleur du phénomène, et je n’ai pas étudié la question précise des dérives salafistes dans le foot. Il faut toujours se méfier des généralisations hâtives. Mais qu’il y ait des prières, on le voit à la télévision dans le foot de haut niveau. On se signe si on est catholique, on fait des prières musulmanes… Si on le voit au haut niveau on le retrouve en amateurs. Par contre je demande à voir : Etant sociologue, je travaille à partir de la logique de la preuve.
Pour vous, est-ce que c’est un fait nouveau ?
Historiquement, on a toujours eu une instrumentalisation du sport amateur par des religions ou du politique. La première c’est la religion catholique avec les patronages. Ensuite, de manière beaucoup plus tardive, la religion musulmane, à partir du moment où il y a un phénomène migratoire venant du Maghreb. En Alsace on connaît ça très bien, puisque vous savez qu’on est dans une terre concordataire, qui reconnaît les communautés religieuses et leurs institutions. Dans les campagnes, pendant les années 1950 et 1960, lorsqu’on était catholique, on ne pouvait pas jouer dans le club de basket protestant. Chez nos voisins allemands, il y a un peu plus de clubs communautaires, car nous sommes dans le cadre d’un modèle plutôt multiculturaliste.
C’est quoi la définition d’un club communautaire ?
C’est un club qui fonctionne sur le modèle de l’entre-soi. Mais cela peut être quelques fois positif pour des immigrés primo-arrivants. Comme pour les immigrés turcs dans les années 1970 ou 1980 : Ils ne parlaient pas la langue, ils avaient du mal au début à s’intégrer et ils trouvaient dans le club une ressource, un lien de solidarité. Ce club était un tremplin pour ensuite aller vers d’autres structures plus ouvertes. Et puis on a toujours eu des clubs corpos en France. Par contre cette solidarité à caractère affinitaire devient communautariste à partir du moment où on exclut l’autre. En France, en général, lorsqu’on a des clubs qui ont un affichage national – le club des Marocains, des Portugais, des Italiens – il n’est pas rare qu’on ait une ouverture vers d’autres joueurs d’autres origines. Surtout à partir du moment où le club a des prétentions pour progresser en championnat. On recrute des bons joueurs quelle que soit leur nationalité. A Sélestat (Bas-Rhin), il y a un club de Portugais, et actuellement il n’y en a plus aucun parmi les joueurs, il n’en reste que chez les dirigeants..
Le terme « communautaire » est très sensible en France…
Je différencie les clubs communautaires et les clubs communautaristes… En France il est interdit d’exclure sur des critères ethniques sinon il y a discrimination. Le communautarisme, c’est l’ultra-repli sur soi où on enferme les individus dans leur communauté. C’est un phénomène que je n’ai pas vraiment étudié. Mais si on constate dans la société l’augmentation de la radicalité religieuse, peut être qu’on peut trouver dans certains clubs des joueurs qui font une prière, mais ça, ce n’est pas nouveau.
Vous avez également travaillé sur les clubs communautaires avec l’Allemagne. Quelles sont les différences avec la France ?
En Allemagne on ne parle pas de club communautaire, mais de club ethnique, c’est la traduction. Les Allemands acceptent tout à fait d’autres communautés, parce que c’est un autre modèle. En France, et je défends cette idée, c’est le modèle du citoyen avant la communauté. On reconnaît le citoyen quelles que soient ses origines. Mais on ne reconnaît pas les communautés en tant que telle. En Allemagne ce n’est pas le cas. On parle de sport musulman par exemple, ce qui en France peut paraître comme une stigmatisation et un marquage identitaire.
Ce serait impossible en France…
Mais ça l’est dans les modèles multiculturalistes, qui défendent la place des communautés reconnues avec leurs institutions. En Angleterre, en Allemagne, on a des clubs musulmans, ou des activités réservées aux femmes musulmanes. En France, nous sommes plutôt sur un modèle républicain de mixité sexuelle même si dans de nombreux clubs celle-ci reste encore un principe sans traduction concrète.
L’existence des clubs communautaires a-t-elle été compliquée en France ?
Il peut y avoir des clubs comme ceux des Portugais, des Italiens, des Sénégalais ou des Marocains qui ont toujours participé aux championnats de football sans poser de problème. Par contre en Allemagne, dans les années 1990, était organisé un championnat de football parallèle réservé aux footballeurs turcs. Ce qui a créé de fait une séparation communautaire et conduit aussi à la coexistence de communautés ethniques sans espace civique commun où l’on risque d’enfermer les individus dans leurs différences. Dans les années 2000, il y a eu un virage, on est revenu sur un modèle plutôt d’intégration à la française. D’ailleurs si vous regardez la composition de la Mannschaft, elle est actuellement très métissée.