La Brav-M, cette brigade de répression et d’interpellation qui sème le trouble dans le maintien de l’ordre
Forces de l’ordre Ces policiers se déplacent à moto dans les rues de Paris pour réprimer les casseurs dans les manifestations contre la réforme des retraites
Ils sont facilement reconnaissables : une dégaine de bikers tout de noir vêtu, casque blanc avec l’insigne « police » dans le dos et surtout, circulant par deux sur des motos aux abords des manifestations. Ces policiers et gendarmes constituent la brigade de répression de l’action violente motorisée, dite Brav-M, sous les feux des critiques depuis quelques jours.
Avec l’utilisation du 49.3 par le gouvernement pour faire passer sa réforme des retraites au Parlement, les manifestations spontanées et parfois non déclarées ont fleuri dans toute la France, notamment à Paris. C’est la Brav-M qui a été missionnée pour les encadrer, ou plutôt les disperser. Pourtant, leur mission n’est pas tant le maintien de l’ordre que la répression, comme l’indique son intitulé. Au contraire, « elle sème davantage de désordre », juge auprès de 20 Minutes Anne-Sophie Simpere, autrice de Comment l’Etat s’attaque à nos Libertés (Plon). Mercredi, trois députés de La France insoumise ont réclamé sa dissolution.
Mobilité, interpellation, répression
C’est avec le mouvement des « gilets jaunes » que la préfecture de police de Paris a remis au goût du jour la répression motorisée. En décembre 2018, le préfet de l’époque, Michel Delpuech, met en place les détachements d’action rapide (DAR) qui seront rapidement remplacés par la Brav-M, inaugurée sous son successeur, Didier Lallement. Il s’agit de binômes de policiers se déplaçant à moto avec l’objectif officiel de « disperser les regroupements, selon un emploi de la force gradué et proportionné et de procéder à un maximum d’interpellations. »
L’objectif est d’être rapide et de pouvoir se déplacer facilement d’un point de tensions à un autre dans les manifestations. « Cela nous permet de nous déplacer en tout point de la capitale de manière extrêmement rapide pour mettre un terme à des exactions », a expliqué Laurent Nuñez, mercredi matin sur France Info. Au départ, ces brigades sont non-permanentes mais l’une d’entre elles est devenue une unité permanente de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) en 2020, explique Lucas Levy-Lajeunesse, bénévole à l’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP), qui va sortir un rapport détaillé sur la Brav-M dans quelques semaines. « Il semble qu’ils ont des fonctions polyvalentes » les jours où il n’y a pas de manifestations, poursuit-il, « puisqu’on ne les voit pas ». Le Figaro rapporte par exemple en 2022 un contrôle routier qui a dégénéré à la porte de Saint-Ouen, effectué par la Brav-M.
Une brigade est composée de 18 motos et 36 hommes. Au total, pour toute la préfecture de Paris, qui a l’autorité sur les départements 75, 92, 93 et 94, les brigades comprennent 180 motos et 360 agents de forces de l’ordre, rapporte Ouest-France. A la différence des forces mobiles, la Brav-M répond directement du préfet, quand les compagnies de CRS ont « un commandant ou un capitaine qui relaie les ordres du commissaire », explique encore un CRS interrogé par Mediapart. Elles existent aussi à l’extérieure de la capitale « sous la forme des dispositifs mixtes de protection et d’interpellation [dits DMPI], qui sont étroitement articulés avec les forces mobiles », apprend-on dans un rapport d’information du Sénat.
Du « désordre » dans le maintien de l’ordre
Les conducteurs sont des pilotes du service des compagnies de motocyclistes ou parfois de gendarmes de la garde républicaine et ne sont pas censés procéder aux interventions. Ils transportent des agents venus d’unités différentes, mais principalement des compagnies d’intervention (CI) et de la brigade anticriminalité (Bac). Et c’est justement l’un des points de crispation. Les agents de la Brav-M « ne sont pas formés au maintien de l’ordre, ce sont des spécialistes du flagrant délit avec une culture du "saute dessus" », explique Olivier Cahn, professeur en droit pénal à la CY Cergy Paris Université et chercheur au centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Le maintient de l’ordre va consister à « encadrer, faire en sorte qu’il n’y ait pas d’effraction », c’est davantage de la prévention, explique Olivier Cahn. Quand la Brav-M va avoir pour objectif d’arrêter les auteurs de violences ou de cassage. « Ce sont deux visions du maintien de l’ordre différentes », résume-t-il. Et ces deux visions de ne pas toujours compatibles.
Le CRS interrogé par Mediapart se plaint ainsi de ses collègues de la Brav-M qui « mettent le bordel plus qu’autre chose » et « matraquent dans tous les sens ». Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux et captée en juin 2020 montre d’ailleurs un moment de désaccord profond entre des agents de la Brav-M et une compagnie de gendarmes sur la signification d’une « dispersion ». « C’est une source de discorde car la coordination est très compliquée », explique Anne-Sophie Simpere, selon qui leur présence a tendance à « plutôt exacerber les tensions avec les manifestants et semer plus du désordre que du maintien de l’ordre. » « Ce sont des unités qui agissent assez violemment et qui risquent d’envenimer la situation ainsi que déplacer les points de violence », développe-t-elle.
Une utilisation de la force parfois disproportionnée
Leur création a été justifiée à l’aune des « gilets jaunes » par ce qu’a « considéré le ministère de l’Intérieur comme de nouvelles formes de violences dans les rassemblements citoyens, rappelle Olivier Cahn. Des groupes qui parasitent les cortèges et commettent des actions violentes. » Autrement dit, ceux qui sont communément appelés « les casseurs ». Après l’épisode de l’arc de Triomphe notamment, l’objectif d’interpeller le plus possible de ces fouteurs de trouble a rapidement aiguillé la stratégie du maintien de l’ordre de Didier Lallement.
Depuis quelques jours, ces brigades sont toutefois accusées d’un usage de la force disproportionnée dans les rassemblements contre la réforme des retraites. Les forces de l’ordre ont droit de faire usage de la force, mais cet usage est strictement encadré par la loi, et doit, selon l’article R112-1 du Code de la sécurité intérieure, être « nécessaire » et « proportionné. » Or, pour Olivier Cahn, « le seuil de tolérance et la définition de l’action violente ont aujourd’hui extrêmement bas, par exemple le fait de mettre feu à une poubelle ». Cet usage de la force est alors jugé « disproportionné » par les trois députés insoumis Thomas Portes, Antoine Léaument et Ugo Bernalicis.
« On voit des gestes illégaux », affirme aussi Anne-Sophie Simpere. Une enquête préliminaire a ainsi été confiée à l’IGPN à la suite d’une vidéo montrant clairement un policier frappant un manifestant qui ne semble pas représenter de danger. Un manifestant parisien raconte par ailleurs à Libération qu’un policier de la Brav-M lui a roulé sur la jambe. Des images tout aussi troublantes datent aussi des précédentes grandes manifestations comme celles contre la loi dite « sécurité globale. »