Nationalisation-sanction de Renault: Les héritiers veulent obtenir réparation
JUSTICE 66 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils s'appuient sur la possibilité offerte aux citoyens depuis mars 2010 de contester les lois par le biais d'une «question prioritaire de constitutionnalité» (QPC)...
Les héritiers du constructeur automobile Louis Renault vont demander ce mercredi réparation à la justice pour la nationalisation de la firme en 1945, démarche perçue comme une tentative de réhabilitation de l'industriel accusé de collaboration avec l'Allemagne nazie. L'action a été initiée par sept petits-enfants de Louis Renault (1877-1944), fondateur avec deux frères en 1898 de l'entreprise de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), qui contestent la validité de l'ordonnance de confiscation du 16 janvier 1945 ayant transformé Renault en régie nationale.
Pour reprendre le combat, 66 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils s'appuient sur la possibilité offerte aux citoyens depuis mars 2010 de contester les lois par le biais d'une «question prioritaire de constitutionnalité» (QPC). Avant la QPC, «ce type d'action était juridiquement impossible», confirme leur avocat, Me Thierry Lévy. Selon lui, l'ordonnance de confiscation était «contraire aux principes fondamentaux du droit de la propriété», un droit constitutionnel. La confiscation aurait donc constitué une «voie de fait» et ses clients pourraient prétendre à une indemnisation.
Le Conseil constitutionnel compétent?
Avant d'aborder le fond du dossier, le tribunal de grande instance de Paris doit donc décider s'il transmet ou non la QPC de la famille Renault à la Cour de cassation, à charge pour elle d'en saisir ensuite le Conseil constitutionnel. Mais le TGI, qui devrait mettre sa décision en délibéré, va aussi devoir dire s'il s'estime compétent pour s'emparer du dossier, ce que contestent les autres parties intervenantes.
Outre l'Etat qu'ils attaquent, les héritiers ont face à eux une fédération d'anciens déportés et la CGT-Métallurgie, présents comme «intervenants volontaires», qui protestent contre toute entreprise de réhabilitation de Louis Renault. «Louis Renault a collaboré à outrance avec les autorités d'occupation... Les usines Renault on tourné à plein régime au profit de l'armée allemande pendant toute la guerre», déclare l'avocat de la CGT, Me Jean-Paul Teissonnière. «La confiscation au profit de l'armée de libération était la décision appropriée, sa remise en cause aujourd'hui nous semble extrêmement choquante», ajoute-t-il.
Fin novembre, la CGT a lancé une pétition et créé un comité regroupant historiens et résistants, afin que «personne ne réécrive l'Histoire». Pour le syndicat, l'assignation de l'Etat par les petits-enfants Renault s'inscrit dans une campagne de réhabilitation qui s'est déjà traduite par une victoire judiciaire en 2010. Le Centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane, commune du Limousin dont 642 habitants ont été tués par des Waffen SS en 1944, avait alors été condamné à retirer dans une exposition la légende d'une photo montrant Louis Renault avec Adolf Hitler et Herman Göring au salon de l'auto de Berlin en 1939.
«Ce n'est pas un procès en réhabilitation, mais un procès en indemnisation»
L'action de la CGT est «sans rapport avec le procès», proteste Me Lévy. «Ce n'est pas un procès en réhabilitation, mais un procès en indemnisation», qui porte sur «une question de droit: savoir si on pouvait nationaliser sans indemniser», affirme-t-il. Selon lui, non seulement l'ordonnance de confiscation a méconnu le droit de la propriété, mais elle a aussi porté atteinte aux droits de la défense et à la présomption d'innocence. Arrêté en septembre 1944, Louis Renault était décédé le mois suivant en prison, sans avoir été jugé.
«Il y a un débat d'historiens» sur Renault pendant la guerre, «mais c'est autre chose», souligne l'avocat des héritiers. «L'affaire est techniquement compliquée, socialement et politiquement importante», constate celui de la CGT.