L'ognon et le nénufar: vingt ans après, la nouvelle orthographe piétine
Si "le nénufar", "l'exéma aigüe" ou "l'ognon" ne vous font pas pleurer, vous avez parfaitement intégré la rectification de l'orthographe de 1990, entrée à pas de loup dans les dictionnaires, mais cette réforme demeure vingt ans après ignorée par l'école et la plupart des Français.
Le français moderne n'a pas connu de réforme radicale de l'orthographe comme il en a existé ailleurs. Et, paradoxalement, les variations de 1990 sont plus largement enseignées et diffusées dans les autres pays francophones.
Ces recommandations officielles mais pas imposées, publiées au JO le 6 décembre 1990, avaient pour objectif de corriger les scories et bizarreries de l'orthographe.
Le Conseil supérieur, créé en 1989 par le Premier ministre Michel Rocard, a ainsi coupé les ailes à "imbécillité" qui peut s'écrire "imbécilité", comme "imbécile", permis de "s'assoir" et de "sursoir" au désormais "millepatte" ou "croquemort", ôté son accent circonflexe à "abime" et admis, ce qui semble logique, de mettre au pluriel un "sèche-cheveux" ou un "tire-fesses".
L'éléphant conserve son "ph", perdu en revanche par le nénufar dans l'orthographe rectifiée.
La réforme de l'orthographe, solution miracle? Non, répond le linguiste Alain Rey. "On sait aussi que les manuels scolaires n'en tiennent pas compte, ni la majorité des enseignants".
Et l'essentiel des fautes d'orthographe, "ce ne sont pas des erreurs lexicales mais des fautes grammaticales. Cela est bien plus grave. C'est la pensée qui n'est plus articulée quand on confond participe passé et infinitif par exemple", poursuit-il.
L'usage ne se décrète pas
"Nous avons gardé dans le Petit Robert à peu près 85% des rectifications proposées par le Conseil supérieur de la langue française il y a 21 ans et nous mettons pour chaque mot concerné l'orthographe traditionnelle puis l'orthographe réformée, sans la recommander. C'est l'usage qui compte", explique Alain Rey.
Dans le Petit Larousse 2012, qui a bénéficié d'une refonte totale, "nous avons pour la première fois fait figurer la nouvelle orthographe en début d'article avec un statut clair et identifié par un symbole, juste après l'orthographe traditionnelle", note Jacques Florent, responsable des dictionnaires de langue française chez Larousse. "On informe le lecteur, il décide".
Jusqu'en 2008, la nouvelle orthographe figurait dans des annexes puis en remarques.
"Quelques nouveautés ont supplanté l'ancienne orthographe, comme +évènement+, au lieu de +événement+, mais +l'ognon+ ne passe pas", s'amuse Jacques Florent.
L'Académie française "avait été en pointe sur la réforme de 1990", rappelle Jean-Mathieu Pasqualini, directeur de cabinet du chancelier et membre du service du dictionnaire de l'Académie de 1991 à 2008.
"Depuis, elle a adopté une position de prudence, attentiste et ouverte. La langue ne se modifie pas par décret", estime-t-il.
Pour M. Florent, "les mots portent leur histoire, on finit par s'attacher à l'orthographe. Cela se fera sur plusieurs générations. Ou alors il faudrait dire, à partir de telle date, tel mot s'écrit comme cela et pas autrement".
De fait, depuis vingt ans, rien ne bouge ou presque.
Et des associations, comme Erofa (Etudes pour une rationalisation de l'orthographe française aujourd'hui), créée à l'initiative du linguiste Claude Gruaz, militent "d'arrachepied" (nouvelle orthographe) pour une simplification plus poussée de la langue.