Harcèlement scolaire : « Je ne veux pas qu’il leur arrive la même chose qu'à moi »… Les élèves « sentinelles » veillent

ÉDUCATION Au collège de Saint-Paul-sur-Isère (Savoie), des élèves repèrent les violences verbales et physiques commises à l’encontre de leurs camarades et contribuent à les stopper rapidement

Delphine Bancaud
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Rebecca* porte un bracelet vert qui l'identifie comme «sentinelle » auprès de ses camarades.
Rebecca* porte un bracelet vert qui l'identifie comme «sentinelle » auprès de ses camarades. — D.Bancaud
  • Le dispositif « Sentinelles », mis en œuvre dans certains établissements des Apprentis d’Auteuil, consiste à créer des groupes d’élèves vigilants qui repèrent les prémices d’un harcèlement scolaire. Des adultes référents prennent le relais pour stopper le processus.
  • 20 Minutes, s’est rendu au collège de Saint-Paul-sur-Isère (Savoie) de la fondation Apprentis d’Auteuil pour rencontrer des élèves impliqués dans ce dispositif et les équipes pédagogiques.
  • Une démarche qui porte ses fruits et qui s’inscrit dans la droite ligne des mesures prises par le gouvernement dans le cadre du plan interministériel de lutte contre le harcèlement dévoilé ce mercredi.

De notre envoyée spéciale à Saint-Paul-sur-Isère (Savoie)

« Ils disaient que j’étais moche et mal habillé », confie Gabriel*, en baissant les yeux. Un an après avoir été harcelé dans son collège, l’adolescent est toujours marqué. « Les surveillants ne m’ont pas défendu. Je n’arrivais pas bien à dormir et ça m’arrivait de pleurer. » Ses parents ont décidé de le changer d’établissement et depuis la rentrée, le voilà scolarisé en 5e au collège de Saint-Paul-sur-Isère (Savoie) de la fondation Apprentis d’Auteuil.

Un nouveau départ pour Gabriel, qui se sent en sécurité dans ce nouvel établissement, situé près d’Albertville. D’autant que ce collège a mis en place depuis 2020 le dispositif « Sentinelles », qui va dans la même direction que le plan interministériel de lutte contre le harcèlement dévoilé par le gouvernement ce mercredi. Le principe est simple : des élèves formés repèrent les situations de violence entre jeunes. Ils vont vers la victime pour lui offrir une écoute bienveillante, font prendre conscience de leur rôle aux témoins passifs et alertent des adultes référents (enseignants éducateurs, accompagnants des élèves en situation de handicap…) de la situation, afin qu’ils prennent en charge les agresseurs. « Cela évite que les "sentinelles" soient traitées de balances. Et ce n’est pas à eux d’enquêter, ni de sanctionner », explique Mickaël Gay, l’éducateur en charge de ce programme au collège.

Beaucoup de « sentinelles » sont d’anciens harcelés

Depuis 2020, 42 élèves ont été formés au dispositif et 17 adultes. Et comme, les volontaires assurent généralement ce rôle plusieurs années de suite, cette année le collège comptera 28 « sentinelles » et 14 référents. Un chiffre important pour cet établissement de 150 élèves. D’ailleurs, de plus en plus d’élèves veulent s’impliquer. « Cette année, j’ai reçu 15 candidatures d’élèves de 6e alors qu’ils sont 30 en tout », raconte Mickaël Gay. La forte actualité sur le harcèlement en cette rentrée a sans doute boosté leur envie d'agir. Les élèves choisis l’ont été pour leur empathie naturelle et leur forte personnalité, car ils doivent être capables de résister aux phénomènes de groupe.

Lors d'un jeu de rôles pendant le formation des nouveaux "Sentinelles", le 28 septembre 2023.
Lors d'un jeu de rôles pendant le formation des nouveaux "Sentinelles", le 28 septembre 2023. - D.Bancaud

Beaucoup d’entre eux sont d’anciens harcelés. A l’instar de Gabriel qui a décidé d’endosser le rôle de « sentinelles ».  « Je ne veux pas qu’il leur arrive la même chose qu'à moi », explique-t-il. Cette semaine, il suit donc une formation avec dix autres élèves. Au programme : visionnage d’un film sur le harcèlement, compréhension du phénomène de bouc émissaire, des conséquences du harcèlement, jeux de rôles, échanges sur les expériences personnelles… Pour que chacun appréhende sa future mission et qu’une cohésion de groupe se crée.

« J’aime bien aider les gens »

A l’issue de la formation, les élèves recevront un bracelet vert qui permettra à leurs camarades de les identifier dans la cour. Paula*, qui fait partie des nouvelles « sentinelles », a très envie de se lancer : « J’aime bien aider les gens. Et je trouve très injuste que des enfants se sentent exclus. Je vois déjà des camarades dyslexiques qui sont moqués. J’ai envie de les aider. » Julia*, qui participe à la formation, est aussi très habitée par son sujet : « En ce moment je lis Marion, 13 ans pour toujours, de Nora Fraisse, qui raconte le suicide de sa fille. Et j’ai entendu à la télé plusieurs cas comme ça dernièrement. Ça fait peur. »

Cette année, il y aura des « sentinelles » à tous les niveaux, de la 6e à la 3e. « C’est important qu’ils soient différents pour que chaque victime puisse trouver un interlocuteur avec lequel elle se sente en confiance », souligne Mickaël Gay. Outre leur rôle de vigie en classe et dans la cour, les « sentinelles » assureront des permanences toutes les deux semaines avec un référent, pour recueillir la parole des élèves et participeront à une réunion de groupe mensuelle.

Un dispositif « dissuasif pour les potentiels agresseurs »

Rebecca*, élève de 3e, qui était déjà « sentinelle » l’an dernier, sait déjà qu’elle aura du boulot : « On entend beaucoup d’insultes, des remarques sur le physique, les vêtements et parfois même sur la couleur de peau d’un élève… Y compris dans le bus scolaire. Et certains élèves sont isolés. » Dans ces cas-là, Rebecca intervient auprès des victimes et prévient les référents qui vont gérer les auteurs des faits. Un rôle plutôt bien accepté par ses camarades. « Je n’ai pas l’impression qu’ils me fuient parce qu’ils ont peur de moi. Et je pense être utile car j’agis rapidement, avant que les situations ne deviennent vraiment graves », commente-t-elle.

Les futurs "Sentinelles" en pleine formation.
Les futurs "Sentinelles" en pleine formation. - D.Bancaud

Un avis partagé par Cécile Vibert, la directrice adjointe du collège : « On ne pourrait plus se passer de nos "sentinelles". Ils nous permettent de prendre en charge plus rapidement les élèves victimes de violences, de prévenir vite les familles et de stopper les mauvais comportements. » Car comme tout établissement, le collège a vécu des épisodes douloureux : ces dernières années, deux élèves ont été la cible de camarades. Des situations graves, mais rares, qui ont généré des sanctions et un accompagnement des victimes.

Même si le dispositif « Sentinelles » n’est pas le remède à tout, il « est dissuasif pour les potentiels agresseurs et il rassure les parents », souligne Cécile Vibert. En déambulant dans les couloirs ou dans le réfectoire, ce climat apaisé se ressent. « Il n’y a qu’à observer la cour de récréation au début et à la fin de l’année. Le nombre d’élèves embêtés diminue considérablement », constate Mickaël Gay.

Hormis sur le climat scolaire, le bénéficie du dispositif se ressent aussi sur les élèves « sentinelles ». « Ça va me servir au lycée. Si quelqu’un m’insulte ou me cherche des noises, je saurai lui répondre et s’il faut, je n’hésiterai pas de prévenir un adulte », assure Rebecca.

* Tous les prénoms ont été changés.