Vente à perte du carburant : Face au refus des distributeurs, quelles pistes pour le gouvernement ?
Le sens de la mesure Le projet de loi pour faire baisser les prix du carburant n’est pas encore arrivé à l’Assemblée qu’il semble déjà enterré
- Le gouvernement souhaite autoriser les distributeurs à « vendre à perte » l’essence ou le gazole, afin de réduire les prix à la pompe. Une manière de gérer la question du pouvoir d’achat sans remettre la main à la poche, alors que les précédentes mesures ont coûté cher.
- Mais les industriels ne l’entendent pas de cette oreille. Les PDG de TotalEnergies, Carrefour, E.Leclerc, Intermarché et Système U ont déjà annoncé qu’ils ne vendraient pas de carburants à perte.
- Si le projet du gouvernement est avorté, quelles cartes lui reste-t-il à jouer pour éviter que les prix à la pompe ne s’envolent ?
« Vous vendez souvent à perte, vous, des produits ? ». D’une petite phrase prononcée au micro de TMC, le PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné a mis par terre la dernière idée du gouvernement pour lutter contre l’inflation : autoriser les distributeurs de carburants à vendre à perte. Confronté à une impasse, le gouvernement va-t-il maintenir quand même l'offre, en espérant que la concurrence joue, baisser la TVA ou émettre un nouveau chèque énergie? 20 Minutes explore quelques pistes, au moment où la levée de boucliers est unanime.
En commission à l’Assemblée nationale, le PDG de Carrefour Alexandre Bompard a assuré que son groupe « ne vendra pas à perte ». E.Leclerc et Intermarché ont emboîté le pas. « C’est un cartel, même si le mot est un peu fort, dans lequel chacun a intérêt à promettre qu’il ne baissera pas les prix », raille Christian Gollier, directeur de la Toulouse School of Economics.
Faut-il donc déjà enterrer le projet du gouvernement ? Pas forcément, pour l’économiste belge. « Dans la pratique, ça peut être tentant de ne pas jouer le jeu quand tout le monde maintient un prix élevé », note-t-il. « Une enseigne en difficulté comme Casino pourrait en profiter pour se faire un coup de pub », imagine Philippe Crevel, économiste et président du Cercle de l’Epargne. Ce dernier rappelle d’ailleurs que « l’interdiction de la vente à perte est liée à la vente de carburant, les prix bas servaient à attirer et fidéliser le chaland » il y a quelques décennies.
Maintenir un prix bas, une chimère
Il met toutefois en garde sur l’efficacité de la mesure pour le porte-monnaie des consommateurs. « Si les distributeurs vendaient le carburant à perte, ils se referaient ailleurs mais où ? Sur le prix des pâtes ? » Le jeu d’équilibriste du gouvernement sur le pouvoir d’achat pourrait ainsi se retourner contre lui, même si Christian Gollier salue la volonté de « faire cette loi sans écouter les sirènes des entreprises ». « Ils se sont mis dans une nasse », juge Philippe Crevel, alors que la lutte contre la hausse des prix du carburant poursuit le gouvernement depuis plusieurs années maintenant. A court terme, si les distributeurs ne jouent pas le jeu de la vente des prix, il n’existerait en effet que trois leviers au gouvernement, dont deux concernent la baisse des taxes.
La première taxe que le gouvernement pourrait baisser est celle appelée Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), mais « cela veut dire moins de recettes pour l’Etat et les collectivités territoriales », analyse le président du Cercle de l’Epargne. La seconde, mise en avant par les oppositions, est la TVA. « Ça coûte des milliards d’euros pour un bénéfice social faible. Veut-on vraiment permettre aux riches de plus utiliser leur SUV ? », tacle Christian Gollier. « A terme, il faudra renchérir le prix des énergies fossiles pour financer et organiser la transition vers l’électrique », pousse-t-il. Or, « en France et en Europe, on n’a pas baissé notre consommation. Il y a une incohérence à promettre un prix faible » face aux changements demandés par la crise climatique.
Philippe Crevel dénonce lui aussi la « fuite en avant » du gouvernement, qui veut « répondre au cas par cas » au problème du pouvoir d’achat. En conséquence, « on a du mal à revenir au prix du marché ». Car rogner sur les marges n’est que la dernière mesure en date pour éviter au gazole de s’envoler au-dessus de la barre symbolique des deux euros le litre, après le bouclier tarifaire, puis la ristourne globale à la pompe, payée par l’Etat, et un chèque dédié pour les ménages modestes. La dernière solution entre les mains du gouvernement consisterait à émettre un nouveau chèque, justement. Un « bien meilleur instrument », qui coûte moins cher et se révèle plus efficace qu’une « aide indiscriminée », estime Christian Gollier. « Il y a un problème de pouvoir d’achat chez les ménages aux revenus les plus faibles, il faut régler ce problème plutôt que d’offrir une solution à tout le monde qui n’est pas désirable sur le plan collectif ».