Visite de Charles III : Le passage à Bordeaux, « c’est la touche personnelle » du roi, selon un historien

INTERVIEW L’historien de l’université de Bordeaux-Montaigne, Philippe Chassaigne, analyse pour « 20 Minutes » les raisons qui ont poussé le roi Charles III à passer par Bordeaux lors de sa visite d’Etat en France

Mickaël Bosredon
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La visite d'Etat de Charles III en France a démarré mercredi 20 septembre.
La visite d'Etat de Charles III en France a démarré mercredi 20 septembre. — Jacques Witt
  • Charles III et la Reine Camilla seront à Bordeaux vendredi après-midi, pour clôturer leur visite d’Etat en France.
  • Professeur d’Histoire, spécialiste du Royaume-Uni, Philippe Chassaigne estime que le choix de venir à Bordeaux « peut paraître déroutant » mais s’explique par différentes raisons.
  • Le passage à Bordeaux de la reine Elizabeth II en 1992, l’histoire anglaise de Bordeaux, et les liens entre le milieu viticole bordelais et l’Angleterre, expliquent en partie ce crochet par la capitale de Nouvelle-Aquitaine.

Si la visite d'Etat en France de Charles III et de Camilla a été dictée par des impératifs diplomatiques, le détour par Bordeaux relève davantage du « choix personnel » du monarque, estime Philippe Chassaigne. Avant l'arrivée du couple royal en terre aquitaine, prévue vendredi vers 13 heures à l'aéroport de Mérignac, le professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Bordeaux-Montaigne, spécialiste de la Grande-Bretagne, dresse pour 20 Minutes les raisons qui ont poussé le roi et la reine à effectuer ce crochet bordelais, qui leur permettra de mettre en avant leurs sujets de prédilection.

Philippe Chassaigne, Professeur d'Histoire contemporaine à l'Université de Bordeaux-Montaigne, spécialiste de la Grande-Bretagne
Philippe Chassaigne, Professeur d'Histoire contemporaine à l'Université de Bordeaux-Montaigne, spécialiste de la Grande-Bretagne - Université de Bordeaux

Comment expliquer le choix de Bordeaux dans la visite d’Etat du couple royal ?

Il faut d’abord rappeler que cette visite en France n’est pas le choix de Charles III ; c’est le gouvernement qui lui a demandé d’utiliser le soft power de la monarchie pour rabibocher les liens avec la France. En ce qui concerne les visites d’Etat, le monarque ne va pas où il veut aller, mais là où le gouvernement veut qu’il aille. Cela dit, le choix peut paraître effectivement déroutant, Bordeaux étant loin d’être la deuxième ville de France derrière Paris. Alors pourquoi ? Peut-être parce que sa mère la reine Elizabeth II était déjà venue à Bordeaux en 1992. Elle s’était déplacée avec le yacht Britannia qui avait jeté l’ancre dans le port de la lune, et avait organisé une réception à bord avec les personnalités locales. Charles lui-même est venu à Bordeaux, en tant que prince de Galles, en 1977. Et il avait déjà visité un grand cru, le château Lafite-Rothschild dans le Médoc, tandis que cette fois il se rendra au château Smith Haut-Lafitte, un grand cru de Pessac-Léognan.

Vous dites que le monarque ne choisit pas le pays où il se rend dans le cadre des visites d’Etat. Mais est-ce que le choix de venir à Bordeaux ne lui revient pas quand même ?

Effectivement, l’important pour le gouvernement britannique est qu’il aille à Paris voir le Président de la République, venir à Bordeaux relève de sa touche personnelle. Sur le plan diplomatique, qu’il aille à Bordeaux ou pas n’a aucune incidence.

L’histoire de l’Angleterre en Aquitaine est très importante. Ses traces sont encore présentes, notamment dans le vignoble. Cela a-t-il pesé également dans le choix de venir à Bordeaux ?

Le Royaume-Uni constitue effectivement une sorte de fil conducteur le long de l’histoire de Bordeaux, même si ce fil s’est un peu atténué aujourd’hui. Comme on le dit de façon un peu rapide, Bordeaux a été Anglaise entre 1152 et 1453. Quand Aliénor d’Aquitaine épouse Henri de Plantagenêt, elle apporte en dot tout le quart sud-ouest de la France. Quand deux ans plus tard il devient roi d’Angleterre, il se met en place l’Empire anglo-angevin, et ses possessions en France sont beaucoup plus étendues que le royaume anglais. Démarre alors un moment de grande prospérité pour Bordeaux, des produits aquitains étant acheminés à Londres et servis à la table royale, en particulier les vins.

Des vins qui n’ont rien à voir avec ceux que l’on consomme aujourd’hui d’ailleurs ?

Ce ne sont pas du tout les vins d'aujourd'hui. Ce sont des vins clairs que les Anglais appellent « claret » par opposition aux vins plus foncés de Provence ou du Portugal. Ce commerce perdure tout au long de cet empire anglo-angevin, et lorsqu'en 1453, après la bataille de Castillon, ce qui reste de l'Aquitaine anglaise passe sous le giron du roi de France, les Bordelais ne sont pas particulièrement contents.

Pourquoi cela ?

Le roi d’Angleterre était loin, le roi de France est beaucoup plus près, or les Bordelais s’étaient habitués à une large autonomie vis-à-vis de la couronne anglaise. C’est pourquoi le roi de France fait construire le château Trompette sur la place des Quinconces, une forteresse destinée à protéger la ville, mais surtout à la surveiller. Puis, lorsque en 1814 les troupes britanniques menées par Wellington qui remontaient vers le nord, entrent à Bordeaux, les élites dirigeantes bordelaises applaudissent ces Britanniques qui sont en train de mettre un terme au Premier Empire, durant lequel le commerce bordelais a souffert du blocus continental. Aux XIXè et XXè siècles, il y a une anglophilie qui se développe : dans les élites bordelaises il est de bon ton de jouer au bridge, de faire apprendre l’anglais à ses enfants, de boire du thé… Parallèlement, un certain nombre d’Anglais se sont installés, entre le XVIIè et le XIXè siècles, dans le vignoble, et sont devenus des figures du milieu vitivinicole bordelais.

L’importance du vin dans les relations entre Bordeaux et l’Angleterre, explique-t-il que Charles visite le domaine Smith Haut-Lafitte ?

C’est effectivement une façon de rendre hommage au secteur viticole bordelais et ses liens avec le Royaume-Uni. Mais j’y vois davantage un message écologique, car c’est un vignoble qui est passé depuis plusieurs années déjà en agriculture biologique. Comme lui-même a transformé toutes ses exploitations agricoles en bio, dans son domaine de Highgrove, je pense que c’est une façon de montrer son propre engagement.

C’est aussi pour cela que le roi visitera la Forêt expérimentale de Floirac, consacrée à l’étude des forêts face au réchauffement climatique ?

Oui. Sur ce point, Charles a vraiment suivi les traces de son père, le duc d’Edimbourg, qui avait pris dès le début des années 1960 conscience de l’importance de la protection de la nature, et qui avait été élu en 1961 président de la branche britannique du WWF (Fonds mondial pour la vie sauvage). Charles, dès les années 1970, a manifesté son intérêt pour l’écologie. Aujourd’hui, tous les produits de ses domaines agricoles sont vendus en bio [sous la marque Waitrose Duchy Organic], et ce sont des produits de luxe. Le succès de ces productions bio est une des clés qui explique que les revenus en provenance de ces domaines n’ont cessé d’augmenter.