Réponse sécuritaire, solidarité européenne… Comment la France gère l’afflux de migrants à Lampedusa ?
voisinage Présent en Italie lundi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a affiché la « fermeté » de Paris face à l’arrivée de dizaines de milliers de migrants en Italie. Une stratégie efficace face à l’attitude du voisin italien ?
- Selon l’agence des Nations Unies pour les migrations, environ 8.500 personnes ont afflué vers Lampedusa (Italie) entre lundi et mercredi dernier, à bord de 199 bateaux, soit plus que l’ensemble de la population de l’île.
- Le nombre de migrants débarqués ont éprouvé la capacité d’accueil de l’île italienne et remis le débat de la solidarité européenne dans l’accueil sur la table. En visite à Rome, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a délivré un discours de fermeté.
- Cette situation sur l’île de Lampedusa est-elle inédite ? Quelles ont été la réaction et l’action des autorités françaises ? Une répartition européenne peut-elle être envisagée ? Éléments de réponse avec Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d'Asile et Smaïn Laacher, directeur de l’observatoire du fait migratoire à la fondation Jean-Jaurès.
Pour Gérald Darmanin, le dossier immigration n’a jamais semblé aussi brûlant. À l’intérieur des frontières, Élisabeth Borne lui a mis la pression : il doit trouver une majorité au Parlement en vue d’une présentation de la loi immigration. Son voyage à Rome lundi ne lui a pas permis de se dépayser. Le ministre de l’Intérieur a évoqué le même sujet, cette fois à l’étranger, en présence de son homologue italien. Son message ? Faire preuve de « fermeté » à l’égard de l’arrivée massive de migrants en terre transalpine.
Invité sur le plateau de TF1, mardi soir, le ministre de l’Intérieur a réaffirmé ce message en annonçant que la France « n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa ». Le cas des demandeurs d’asile, par exemple pour des raisons politiques, est bien sûr différent, a-t-il concédé.
Entre lundi dernier et mercredi, environ 8.500 migrants répartis sur 199 bateaux ont rallié la petite île de Lampedusa, porte d’entrée depuis des années des candidats à l’exil. « Il ne peut pas y avoir comme message donné aux personnes qui viennent sur notre sol (européen) qu’ils seront accueillis quoi qu’il arrive », a commenté le ministre.
Une réponse sécuritaire qui « valide » la stratégie italienne
En France, la réponse face au flux des derniers jours est d’abord sécuritaire. Alors qu’une rumeur d’installation de camps de migrants enflait, avant d’être démentie par la préfecture des Alpes-Maritimes, Paris cherche à dégager un « espace » de cent places d’enfermement supplémentaires à la frontière franco-italienne. « Une parcelle municipale pourrait être mise à disposition des services de l’Etat et de la protection civile », a aussi commenté le maire de Menton Yves Juhel, dans un communiqué. La présence policière autour de la frontière est soutenue.
« La réponse que donne la France permet de donner un blanc-seing à la présidente italienne Giorgia Meloni, déplore Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d'Asile. Ça valide sa stratégie du durcissement et d’une sécurisation des frontières. Nous sommes déçus que la France ne joue pas le jeu de la solidarité mais conscients que l’Italie ne l’a pas demandé. »
Une solidarité européenne à repenser
Le mécanisme de solidarité volontaire, adopté en 2022, doit permettre à un Etat de l’UE confronté à un afflux significatif de migrants de répartir solidairement les arrivants dans d’autres pays qui se sont portés volontaires. « Mais il n’y a pas de solidarité obligatoire », déplore Delphine Rouilleault. « Au-delà du droit, une politique de marchandage s’engage entre les Etats pour se répartir les migrants. C’est un rapport de force politique entre Etats-Nations avec une question, cynique : Comment faire pour se débarrasser de populations jugées embarrassantes », commente Smaïn Laacher, directeur de l’observatoire du fait migratoire à la fondation Jean-Jaurès et professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg.
En principe, selon les accords de Dublin, l’Italie est censée prendre en charge les demandeurs d’asile qui entrent dans l’Union européenne par son sol. « Mais le pays ne joue pas le jeu et place toute son énergie dans la fermeture des frontières », précise Delphine Rouilleault. Résultat : après la signature d’un « partenariat stratégique » entre l’UE et la Tunisie cet été pour contenir l’arrivée de migrants, la présidente de la Commission européenne Ursula Van der Leyen a dégainé un plan d’urgence en dix points visant notamment à augmenter les retours des arrivants dans leur pays d’origine.
Un afflux de migrants « spectaculaire » à Lampedusa mais pas inédit
« Si les pays plus ouverts et plus susceptibles d’accueillir un accueil digne comme la France et l’Allemagne ne se font pas entendre pour demander un changement des règles, on craint que l’UE s’engage dans une radicalisation toujours plus grande de ses positions, avec une militarisation et des camps fermés aux frontières de l’UE », indique la directrice générale de France Terre d'Asile.
D’autant que pour Smaïn Laacher, la situation actuelle avec cet afflux de migrants sur la petite île italienne n’est pas « exceptionnelle ». « Ce nombre de migrants qui débarque en une seule fois à Lampedusa, c’est spectaculaire, c’est vrai, mais pas inédit. Ça met dans le désarroi politique ceux qui ont le devoir de prendre en charge ces populations, mais elles débarquent en provenance du Maghreb depuis longtemps », rappelle Smaïn Larcher. « La tendance est à l’augmentation, mais c’est parfaitement absorbable compte tenu de la taille et de la richesse de l’Union européenne », conclut Delphine Rouilleault.
Certes, Rome a accueilli 130.000 migrants depuis janvier, soit deux fois plus que l’année dernière sur la même période. Mais sur le million de demandes d’asiles enregistrées en 2022 dans l’UE, l’Italie n’en avait reçu que 84.000 demandes, ce qui place le pays loin de la tête de l’accueil effectif. Comme le rappelle l’AFP, à titre de comparaison, la France avait reçu l’an dernier deux fois plus de demandes que son voisin transalpin.