Harcèlement scolaire : « Le collège n’a rien fait »… Quand les familles se sentent seules

Témoignages Bien que la lutte contre le harcèlement scolaire se soit intensifiée ces dernières années, des parents se retrouvent encore démunis lorsque leur enfant est victime d’agressions verbales ou physiques répétées

Delphine Bancaud
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Chaque année, entre 800.000  et un million d'élèves sont victimes de harcèlement scolaire.
Chaque année, entre 800.000 et un million d'élèves sont victimes de harcèlement scolaire. — Canva
  • Nicolas, un lycéen de 15 ans, s’est suicidé à la rentrée à Poissy (Yvelines), après s’être plaint l’année précédente de harcèlement. Ses parents ont dénoncé ce week-end un courrier de l’administration qui témoignait d’un manque d’empathie à leur égard.
  • Une affaire qui entre en résonance avec ce que vivent certaines familles, s’estimant insuffisamment soutenues lorsque leur enfant est la cible de harceleurs.
  • Plusieurs parents témoignent de ce qu’ils ont vécu. Et racontent avoir même dû parfois changer leur enfant d’établissement pour mettre fin à la situation.

Ils se sont sentis bien seuls face à l’épreuve que vivait leur fils. Les parents de Nicolas, qui s’est suicidé à la rentrée après s’être plaint de harcèlement, sont sortis du silence ce week-end. Ils ont dévoilé un courrier qu’ils avaient reçu du rectorat du Versailles après l’avoir alerté de ce que vivait leur fils. Cette lettre témoignait d’un manque d’empathie à l’égard de la famille, et a même été qualifiée de « honte » par Gabriel Attal.

Une affaire qui entre en résonance avec ce que vivent certaines familles, alors même que les membres de l’Education nationale estiment faire leur possible pour gérer ces situations délicates. Et que la lutte contre le harcèlement scolaire s’est intensifiée ces dernières années après plusieurs drames. A cette rentrée, le programme pHARe de prévention contre le harcèlement, déjà mis en place dans les écoles et les collèges, a été généralisé aux lycées. Et un nouveau plan interministériel sera dévoilé lundi prochain.

« Le CPE a proposé à mon fils une médiation avec les harceleurs »

Mais force est de constater que certaines familles s’estiment toujours insuffisamment soutenues lorsque leur enfant est la cible de harceleurs. C’est le cas de Marie, dont le fils Gabriel a essuyé pendant plusieurs mois des moqueries à caractère homophobes de la part de deux élèves de 3e : « C’étaient des phrases comme "Tu t’es bien maquillé aujourd’hui", suivies de rigolades de toute la classe. Il en a parlé à un enseignant et à un CPE, qui ont minimisé les faits. » Gabriel finit par avertir ses parents, qui ont écrit au proviseur. Ce dernier répond sommairement, promettant une enquête. Les moqueries continuant, Marie appelle pour demander un rendez-vous au proviseur : « Sa secrétaire m’a dit qu’il était en déplacement alors que mon fils l’avait vu le jour même dans les couloirs. »

Après avoir insisté, Marie est finalement reçue avec son fils par le CPE : « Il a proposé à mon fils une médiation avec les harceleurs, comme s’il s’agissait d’un conflit entre camarades. Comme s’il n’y avait pas de victime, comme si c’était un non-événement. Il a aussi demandé à mon fils d’écrire son témoignage. Gabriel l’a vécu comme une remise en question de sa parole. Et j’ai refusé qu’il le fasse. » De mars à fin juin, Marie ne reçoit plus d’informations sur le sujet. « J’ignore si les élèves ont été sanctionnés, mais il semblerait que non. Ce qui est un comble, car dans ce lycée, il suffit de trois retards pour être collé », s’offusque-t-elle.

« On m’a dit que c’étaient des disputes classiques »

Dans certains établissements, l’information des parents semble en effet être un maillon faible dans la lutte contre le harcèlement. L’enquête de terrain pour faire la lumière sur les faits dure souvent longtemps et les équipes de direction ne tiennent pas forcément au courant les parents des décisions qu’ils prennent vis-à-vis des harceleurs. D’où le sentiment que les coupables sont insuffisamment punis ou que l’affaire a été enterrée.

Marianne, dont le fils a été harcelé et cyberharcelé, l’a éprouvé : « Nous avons déposé plainte, plusieurs fois, contacté le 30.20 et fait un signalement au rectorat. On m’a dit que c’étaient des disputes classiques. Personne n’a bougé. Sauf les CPE, qui ont reçu les parents quand j’ai dénoncé les faits et mis en copie tous les professeurs et les équipes du collège sur Pronote. Un nouveau CPE, arrivé à la rentrée, a convoqué la leadeuse du groupe de harceleurs pour la mettre en garde. Mais les enfants, qui ont été violents physiquement et verbalement, n’ont reçu aucune sanction du collège. »

Le principal nous a dit : « Il doit le chercher »

Laëtitia, elle aussi, a connu ce sentiment de colère lorsqu’elle a constaté que son fils était régulièrement frappé à l’école. « J’en ai parlé je ne sais combien de fois auprès de son institutrice, qui disait n’avoir rien remarqué, même lorsqu’il revenait en sang… J’ai fini par être convoquée par la psychologue scolaire, qui m’a affirmé que mon fils était dépressif. » Et comme les parents de Nicolas, elle a eu maille à partir avec l’administration : « J’ai fini par faire appel au rectorat, j’ai eu comme réponse : "Madame, nous avons contacté la directrice de l’école, et il s’avère que c’est vous le souci, car il n’y a jamais eu de violence dans l’école". »

Cette remise en cause de la parole de la victime, Bruno en témoigne aussi. Il s’est inquiété quand les notes de son fils ont chuté en 5e et que le comportement de ce dernier a changé. « Après discussion, nous avons appris que le fait d’être roux, d’avoir de bonnes notes en 6e et d’avoir sauté une classe était synonyme de moqueries. Le principal nous a dit : "Il doit le chercher." Quand nous avons alerté le rectorat, la réponse a été cinglante : c’était de notre faute et l’équipe de direction avait correctement fait son travail. Heureusement que le principal adjoint a toujours veillé sur notre fils. Cela a limité le harcèlement sans jamais qu’il s’arrête. »

« J’ai finalement changé ma fille d’école »

Il n’est pas rare que des parents se sentent tellement démunis qu’ils finissent par exfiltrer leur enfant de l’établissement en question. C’est ce qu’a fait Louison, dont le fils a été harcelé verbalement et physiquement en 6e et 5e. « Il ne dormait plus, ne voulait plus sortir de chez nous et était très très agressif. Le collège n’a rien fait. Un exemple, quand je leur ai parlé des incitations au suicide qu’il recevait, on m’a dit : "Ce ne sont que des paroles d’enfants." » Une dérogation et un changement de collège ont été nécessaires pour qu’il aille mieux. « Mais un an et demi plus tard, il reste profondément marqué. »

Laetitia raconte aussi avoir dû déménager pour mettre fin aux souffrances de son fils. « Il n’a plus jamais eu de soucis à l’école. Il est maintenant en seconde, tout va bien pour lui », respire-t-elle. Anne a dû aussi faire changer d’établissement sa fille Sarah, et ce, en plein milieu de l’année de CM2. Car la petite subissait les assauts répétés d’un garçon. « Il la poussait pendant qu’elle courait et elle tombait. Il la pinçait, l’étranglait en l’attrapant par l’écharpe. J’ai bien sûr alerté plusieurs fois l’établissement, qui me répondait que le garçon était turbulent, mais pas méchant. Plusieurs fois, la cheffe d’établissement m’a répondu que c’était pendant la pause déjeuner, donc pas de sa responsabilité. J’ai finalement changé ma fille d’école, car elle avait vraiment peur tout le temps. » Une situation qui ne devrait plus avoir lieu, Gabriel Attal ayant pris un décret fin août autorisant les rectorats à changer les harceleurs d’établissement.