Visite de Charles III : En dînant à Versailles avec le roi, Macron prend le risque de paraître « déconnecté »
Royauté Le dîner sera donné mercredi dans la galerie des Glaces, le lieu le plus emblématique du château, destiné à l’origine à célébrer la toute-puissance de Louis XIV, le Roi Soleil
Un faste royal au cœur de la République… En conviant Charles III à un dîner d’Etat dans le décor somptueux du château de Versailles, le président Emmanuel Macron risque de réinstaller l’image d’un monarque absolu dans une France à la peine, six mois après la crise des retraites. Le dîner sera donné mercredi dans la galerie des Glaces, le lieu le plus emblématique du château, destiné à l’origine à célébrer la toute-puissance de Louis XIV, le Roi Soleil, et à éblouir ses visiteurs.
« Cette image-là, dans ce contexte-là, c’est évidemment fondamentalement nuisible pour Emmanuel Macron même s’il y a des impératifs diplomatiques derrière qui jouent aussi », estime Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-2 Panthéon-Assas, rappelant que la période du 20 septembre est aussi associée à la naissance de la République en 1792. « La date n’est pas bonne, l’image n’est pas bonne, et ça renvoie à une séquence assez particulière, la réforme des retraites », dit-il.
La profonde défiance des Français
La visite de Charles III et Camilla, prévue initialement au printemps, avait avorté en raison des violentes manifestations liées à cette crise. Et la perspective des couples royal et présidentiel déambulant dans des villes en ébullition, de Paris à Bordeaux, et dînant sous les ors de Versailles avait fait long feu. La crise des retraites est depuis retombée et le président de la République a mis les gaz pour tenter de relancer son deuxième quinquennat après un démarrage difficile.
Mais la défiance des Français à son égard reste profonde. Dans les enquêtes d’opinion, « il peut être jugé compétent, incarnant bien l’international, mais il apparaît aussi orgueilleux, pédant et déconnecté », note Benjamin Morel. Un ressenti que le dîner de Versailles ne peut que renforcer, comme lors de la crise des gilets jaunes en 2018 et de la flambée de mécontentement social autour des retraites. « Louis XVI, on l’a décapité ! Macron, on peut recommencer ! », avait alors lancé le conseiller régional Ile-de-France apparenté LFI Christophe Prudhomme.
La « pulsion régicide »
« Jamais sans doute on n’a atteint un tel niveau de haine envers le chef de l’État, faisant ressurgir ce tropisme séculaire, issu de la Révolution française : la pulsion régicide », relève l’historien Jean Guarrigues. Du côté de l’Elysée, on balaie par avance tout procès en monarchisme absolu, tout en restant peu disert sur le banquet de mercredi, qui devrait compter 150 à 180 invités, loin du faste passé, et un intermède musical.
Le choix de Versailles répond avant tout à un souhait de Charles III, « sensible à l’idée de marcher dans les pas de sa mère », et à une volonté de « faire rayonner la France » à travers un de ses sites les plus prestigieux, avance la présidence. Elizabeth II a été le chef d’Etat étranger le plus reçu à Versailles, en 1948 (alors princesse héritière), en 1957 où un déjeuner fut servi en son honneur dans la même galerie des Glaces, et 1972.
« La France pluriséculaire qui reçoit »
« Depuis la reine Victoria, à chaque fois qu’on a voulu marquer une relation privilégiée avec l’Angleterre, il y a eu une réception au château de Versailles », souligne l’historien Fabien Oppermann, auteur du « Versailles des présidents ». Comme le général de Gaulle, Emmanuel Macron en a fait une carte de visite diplomatique de premier plan, y accueillant le président russe Vladimir Poutine en mai 2017 et y présidant un sommet européen en mars 2022.
« A Versailles, c’est la France pluriséculaire qui reçoit », fait valoir Fabien Oppermann. « C’est vraiment l’histoire de la France telle qu’on l’imagine avec la centralisation de Louis XIII et Louis XIV, la Révolution française, Louis-Philippe, Napoléon ». « Il n’y a bien que les Français pour s’offusquer de l’utilisation du château de Versailles pour ce type de manifestations diplomatiques », poursuit-il, en rappelant que ce palais a servi de modèle à nombre de résidences impériales européennes, de Schönbrunn à Vienne au Peterhof de Saint-Pétersbourg.