Des étudiants expulsés de leur résidence universitaire… « J’ai été jetée dehors en 15 minutes avec mes affaires »

precarite Une étude de la Fondation Abbé-Pierre souligne la fragilité des locataires des résidences universitaires

Delphine Bancaud
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Uné étudiante dans un résidence étudiante du Crous rue de Bercy à Paris.
Uné étudiante dans un résidence étudiante du Crous rue de Bercy à Paris. — A. Gelebart
  • La Fondation Abbé-Pierre publie ce jeudi la première étude sur les expulsions de résidents du Crous.
  • Même si elles sont rares, elles sont vécues douloureusement. Comme en témoigne Rojda, une étudiante syrienne qui s’est confiée à 20 Minutes.
  • Ces situations pourraient être évitées en partie en développant une politique de prévention, un suivi social des étudiants les plus précaires, et en construisant davantage de logements étudiants…

Ces étudiants se croyaient bien à l’abri. Mais entre janvier 2022 et février 2023, les tribunaux administratifs ont prononcé l’expulsion de 193 résidents de résidences universitaire du Crous. Des chiffres révélés par la Fondation Abbé-Pierre, qui lève le voile sur ces situations douloureuses dans un rapport publié ce jeudi. Les villes étudiantes où les tensions sur le logement sont le plus fortes sont les plus concernées : Aix-en-Provence, Lille, Versailles et Paris.

Ces expulsions résultent dans la moitié des cas des difficultés financières éprouvées par les étudiants, qui ne parviennent plus à payer leur loyer. Pas étonnant selon Manuel Domergue, chargé des études à la Fondation Abbé-Pierre : « Le contexte social est alarmant : 20 % des étudiants sont sous le seuil de pauvreté, 46 % sont contraints de travailler pendant leurs études, et les files d’attente des distributions alimentaires s’allongent ». Une situation qu’a connue Rojda** en 2022. Cette Syrienne, en licence de cinéma à Paris. Sa première année en France, elle touchait 720 euros (500 euros de bourse + 220 de la Caf/APL), ce qui lui suffisait pour payer son loyer du Crous. « Mais l’année d’après, j’ai fait ma demande d’asile. Le montant des aides que je percevais a été réduit et je me suis retrouvée avec 200 euros pour vivre. Impossible de payer mon loyer pendant un an », explique-t-elle à 20 Minutes.

Le Cnous « à 75 % en désaccord avec les constats du rapport »

Plus rarement, ces expulsions sont dues au non-renouvellement à temps de la demande de logement ou à la perte du statut étudiant. Si ces expulsions sont possibles, c’est aussi parce que les locataires de résidences universitaires sont moins protégés que ceux de droit commun. « Ils ne bénéficient pas de la trêve hivernale, de la saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, des délais avant l’expulsion… », énumère Manuel Domergue. Et si les Crous lancent des actions en justice à l’encontre de certains résidents, c’est en raison de leurs impératifs budgétaires, selon Pauline Portefaix, chargée d’étude à la Fondation Abbé-Pierre : « Leur activité restauration est déficitaire, les rentrées budgétaires se font sur le logement. Et les impayés des étudiants, qui tournent autour de 1.700 euros en moyenne, menacent l’excédent budgétaire ». Le nombre de logements proposés par les Crous étant faible, cela les conduit aussi à un principe de non-renouvellement de 60 % des contrats d’occupation des résidents, afin d’assurer aux nouveaux bacheliers une place.

Interrogé par 20 Minutes, Clément Cadoret, directeur général délégué du Cnous (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) se déclare « à 75 % en désaccord avec les constats et l’analyse du rapport de la Fondation Abbé-Pierre » et indique que « les expulsions sont très rares et réalisées qu’en dernier recours ». Il insiste aussi sur la politique de prévention des Crous : « Nous avons recruté 30 % d’assistants de service sociaux supplémentaires en deux ans pour renforcer l’accompagnement des étudiants en difficulté ».

« J’ai dormi en alternance chez des amis et dans la rue »

Autre point choquant, selon Pauline Portefaix : « Certains Crous tentent d’accélérer le départ de ces étudiants en utilisant des méthodes parfois brutales : changement de serrure, appel aux parents, coupure d’électricité, retraits des affaires personnelles… ». Certains étudiants quittent d’ailleurs les lieux avant le lancement de la procédure judiciaire. « Ce n’est absolument pas une généralité à l’échelle du réseau, même si cela a pu arriver localement. Nous mettrons fin à ce type de comportement s’ils se reproduisaient », assure Clément Cadoret.

Les conditions dans lesquelles ces expulsions ont lieu posent aussi problème : dans 127 cas survenus sur les 193 recensés entre janvier 2022 et février 2023 (soit 57 %), elles ont eu lieu sans délai. Et lorsque des délais étaient accordés, ils vont de 5 à 15 jours maximum. Rojda en témoigne : « Le 31 août 2022, j’ai été jetée dehors de ma chambre en 15 minutes avec toutes les affaires. On a démagnétisé ma carte d’accès à la résidence. Pendant un mois, j’ai dormi en alternance chez des amis et dans la rue », confie-t-elle. Certains Crous ne connaissent pas la procédure en cas d’expulsion ou ne la respectent pas.

« Certains jeunes finissent par arrêter leurs études »

On le voit avec Rodja, une fois mis à la porte, pas évident pour les étudiants de retrouver un logement tant le marché est tendu. D’autant que ces situations touchent des étudiants initialement isolés : « Beaucoup sont étrangers ou en rupture familiale. Certains finissent par arrêter leurs études », constate Manuel Domergue. C’est ce qui est arrivé à la jeune syrienne : « Impossible de poursuivre mes études en étant SDF ». Elle a fini par trouver un hébergement grâce à une association. Ayant le statut de réfugiée, elle cherche désormais du travail.

Reste à savoir quelle résonance aura cette étude, sachant que la ministre de l’Enseignement supérieur tiendra sa conférence de presse de rentrée ce vendredi. Selon Marianne Yvon, responsable de l’espace solidarité habitat à la FAP, des mesures pourraient être prises pour éviter ces situations douloureuses : « Il faut revoir le régime locatif des locataires du Crous pour leur donner des garanties procédurales en cas d’expulsion (délai, respect de la trêve hivernale, effets personnels consignés…). »

Seulement 6 % des étudiants logés par les Crous

Mais c’est surtout un travail de prévention des expulsions qu’il faudrait mener : « Il est nécessaire que chaque étudiant en difficulté puisse être accompagné par un travailleur social qui mobilisera les aides financières », poursuit-elle. Enfin, la Fondation souligne l’urgence à développer le logement universitaire en construisant 15.000 places par an, à faire respecter l’encadrement des loyers dans certaines villes universitaires (30 % des annonces ne le font pas).

Car aujourd’hui, seulement 6 % de l’ensemble des 2,7 millions d’étudiants sont logés en résidences gérées par les Crous. Des préconisations que Clément Cadoret « partage à 75 % ». Lors d’une réunion avec les directeurs généraux des Crous ce jeudi, il a insisté sur l’harmonisation des pratiques et l’amélioration de l’information des étudiants sur le renouvellement des demandes de logement, les aides financières possibles…

* Cette étude a été menée à partir de l’analyse de 223 décisions de justice des tribunaux administratifs et de 54 entretiens auprès des services du Cnous (Centre national des œuvres universitaires et sociales), des directions des Crous (Centres régionaux des œuvres universitaires et sociales), de représentants associatifs et syndicaux d’organisations étudiantes, de responsables d’universités, de travailleurs sociaux, de chercheurs et de dix étudiants expulsés.

** Rojda est membre de l’association Union des Etudiants Exilés.