Abaya à l’école : Ce vêtement que veut faire interdire Gabriel Attal est-il un signe religieux ?

rentrée scolaire Le nouveau ministre de l’Education nationale entend interdire le port de l’abaya à l’école au nom du respect de la laïcité en milieu scolaire

Cécile De Sèze
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Des femmes musulmanes portent l'abaya, le hijab, le chador et le niqab dans un centre commercial à Nanterre. Illustration.
Des femmes musulmanes portent l'abaya, le hijab, le chador et le niqab dans un centre commercial à Nanterre. Illustration. — ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

C’est apparemment l’une des priorités du gouvernement pour la rentrée scolaire. Gabriel Attal a annoncé dimanche soir, puis officialisé lundi vouloir « faire bloc » sur la laïcité. Pour ce faire, le nouveau ministre de l’Education nationale veut interdire dans les établissements scolaires le port de l’abaya, une longue robe traditionnelle portée par certaines élèves musulmanes.

« L’abaya n’a pas sa place dans nos écoles », a ajouté le ministre. Une déclaration qui fait guise de réponse à une note réalisée par les services de l’État sur les atteintes à la laïcité à l’école, à laquelle le Figaro a eu accès. Est-ce que l’abaya est vraiment un habit religieux ? En quoi il porte atteinte à la laïcité à l’école ? Le port de l’abaya est-il un phénomène préoccupant ? Comment l’interdire dans les faits ?

Une abaya est-elle un signe religieux ?

Pour le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, cette tenue est une « attaque politique » envers l’école laïque. Ce n’est toutefois pas un vêtement religieux à proprement parler car il n’existe pas en tant que tel d’habit religieux en islam, ce n’est donc pas un habit islamique. C’est ce qu’explique notamment le Conseil français du culte musulman (CFCM) dans un communiqué datant de juin dernier. Selon l’organisme, cette longue robe traditionnelle couvrant le corps « n’est pas » un signe religieux musulman car « dans la tradition musulmane, que nous défendons, un vêtement quel qu’il soit n’est pas un signe religieux en soi ».

Pour autant, à l’image du voile, l’abaya peut être considérée comme un signe d’appartenance à une religion si « elle ne peut pas être portée communément par tous les élèves », nuance à 20 Minutes Nicolas Cadène, cofondateur de Vigie de la laïcité et ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre. En effet, selon une circulaire du ministère de l’Education nationale précisant la loi du 15 mars 2004, cette dernière « n’interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves en dehors de toute signification religieuse. En revanche, la loi interdit à un élève de se prévaloir du caractère religieux qu’il y attacherait, par exemple, pour refuser de se conformer aux règles applicables à la tenue des élèves dans l’établissement. »

Si une élève porte systématiquement cette longue robe, tous les jours, et refuse de changer de tenue, par exemple pour le sport, « cela prouve qu’elle veut manifester une appartenance », ajoute Nicolas Cadène. Le comportement de l’élève de manière générale va ainsi entrer en jeu. Dans une circulaire du 9 novembre 2022, le ministère de l’Education souligne que le Conseil d’État distingue les signes ou tenues qui manifestent « par leur nature même, une appartenance religieuse », et ceux qui « peuvent le devenir » en raison « du comportement de l’élève ».

Comment l’interdire dans les faits ?

Après les mots, les gestes. Les annonces de Gabriel Attal sur l’interdiction de l’abaya à l’école doivent encore être suivies d’une circulaire pour « donner des éléments d’appréciation sur la gestion au quotidien », explique Nicolas Cadène. Pour être conforme à la loi, il faudra bien que cette circulaire rappelle le caractère systématique du port de cette tenue pour qu’elle soit considérée comme un signe religieux. Si, dans le cas contraire, elle n’est pas assez précise et cible des robes longues de manière générale, elle risque d’être soumise à un recours et d’être retoquée en justice. Gabriel Attal a toutefois précisé qu’il n’éditerait pas une autre circulaire, mais qu’une note serait émise sur le sujet. Il enverra ensuite une lettre aux chefs d’établissement. « Je ne laisserai jamais les chefs d’établissements seuls face à ces situations », promet le ministre. « Je suis conscient que pour certains établissements, ce sera plus difficile ». Il mettra en place un accompagnement avec des formateurs laïcité, des référents laïcité pour échanger avec les familles.

Le corps enseignant restera alors vigilant. Si Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat des enseignements de second degré (SNES-FSU), salue une « parole forte [du ministre de l’Education nationale] qui vient réaffirmer le principe de la laïcité », elle insiste sur le respect du « dialogue ». « Il y a un risque de braquer les élèves et de les pousser à quitter l’enseignement public vers un enseignement privé confessionnel, et cela serait un échec de l’école publique », prévient-elle. Par ailleurs, Sophie Vénétitay met en garde contre les « visions réductrices de la laïcité ». « Si on en vient à mesurer la longueur des robes, ça risque d’être compliqué », illustre-t-elle. La mesure pourrait en effet être contre productive et risque de renforcer les provocations contre le principe de laïcité.

De manière générale, la solution répressive n’est pas la plus efficace pour lutter contre ce que le gouvernement appelle le « communautarisme ». Selon Vigie de la laïcité, créer de la mixité socioculturelle à l’école est la manière la plus utile pour éviter un repli culturel et religieux. « Dans chaque établissement où elle a été renforcée, les atteintes à la laïcité ont drastiquement chuté, soutient l’organisme indépendant et citoyen dans un communiqué. Cette annonce du ministre de l’Education nationale ne doit donc pas être une façon de négliger cette action de fond. »

Quelle est l’ampleur du port de l’abaya dans les établissements scolaires en France ?

Selon la note des services de l’État sur les atteintes à la laïcité, « l’année scolaire 2022-2023 a été marquée par une forte hausse du nombre de signalements d’atteintes à la laïcité et de la catégorie port de signes et tenues ne respectant pas la loi du 15 mars 2004 ». Concernant plus précisément les abayas, « le nombre de jeunes filles portant de telles tenues au sein d’un même établissement est parfois relativement important, supérieur à 30 par jour », assure un acteur de terrain cité par Le Figaro.

Le phénomène peut devenir préoccupant dans certains établissements localement. Mais « ce n’est pas le problème principal de la rentrée », nuance Sophie Vénétitay qui regrette que « cette question marginale éclipse le reste des problèmes comme le manque de professeurs ou la question du nombre d’élèves par classe ».