« Faut se battre pour faire sa place… » Erwan le clown, entre passion et système D

en piste ! (5/5) On a rencontré Erwan, clown de 29 ans, quelques minutes avant son entrée sur scène d’un spectacle pour enfants à Paris. Il nous raconte les années de galère pour pouvoir vivre de sa passion

Thibaut Le Gal
Erwan prépare son maquillage.
Erwan prépare son maquillage. — TLG
  • C’est l’été, le cirque est en ville. L’occasion d’aller voir les clowns gaffer sur la piste. Mais qui se cache réellement derrière le nez rouge et le maquillage ? 20 Minutes est allé sous le chapiteau pour en savoir plus.
  • C'est quoi, être clown en 2023 ? Pour ce cinquième et dernier épisode de notre série « En piste ! », on a rencontré l’un d’eux, Erwan, auteur de spectacle pour enfants en région parisienne.
  • Loin des cirques et des chapiteaux colorés, l’intermittent du spectacle de 29 ans tente de vivre de sa passion, entre « petits boulots » et système D.

Sans l’impayable nez rouge, impossible d’imaginer son drôle de boulot. Erwan Page arrive vers 9 heures, en short et baskets, devant le petit théâtre Darius Milhaud, dans le XIXe arrondissement de Paris. Un coup d’œil inquiet vers les travaux au-dessus de l’entrée. « L’autre jour, il y avait d’énormes bruits de barres de fer quand j’étais sur scène, bang ! bang ! » 

Erwan, 29 ans, est clown pour enfants. Loin du cirque et des chapiteaux colorés, plus loin encore de l’imaginaire horrifique véhiculé par le cinéma. L’intermittent du spectacle tente de vivre de sa passion après des années de galère. « C’est un rêve depuis tout petit. J’ai toujours dit à mes parents que je serai clown, et aujourd’hui, ça commence à prendre forme », sourit-il.

« T’arriveras jamais à faire ce métier ! »

La vocation naît lors d’une semaine à l’école du cirque, en 2002. « Ils ont demandé qui voulait être clown, et comme le trapèze et le funambule, c’était pas mon truc… Sur la piste, j’ai eu un déclic. Je saurais pas l’expliquer, comme un flash... Je voulais absolument faire ça ». La passion le pousse à organiser des spectacles amateurs et à créer sa petite troupe pour des représentations à la maison de retraite de sa grand-mère pendant quatre ans. Le garçon se sent déjà plus à l’aise en cours de théâtre qu’à l’école, qu’il quitte à 16 ans. « Des profs me disaient : ''jamais t’arriveras à faire ce métier ! '' C’était le bazar dans ma tête, mais mes parents m’ont encouragé », souffle-t-il.

Après une formation de coiffure, Erwan enchaîne les boulots dans le monde artistique, puis quitte le Finistère pour Disneyland Paris. Il est C3PO, le droïde de Star Wars, dans plusieurs parades. Au hasard des rencontres professionnelles, il retrouve finalement son costume favori pour des goûters d’anniversaire. « Après un parcours semé d’embûches, je reviens au nez rouge. Mais même à Disney, je me disais ''c’est temporaire '', j’avais toujours le clown en moi ». Face à la concurrence, poursuit-il, « faut se battre pour faire sa place, réussir à se démarquer. Comme je n’ai pas fait d’école, j’étudie le sujet dans les livres, et j’apprends sur le tas ». 

Aujourd’hui, Erwan ne gagne pas sa vie avec son seul spectacle. Il propose de multiples prestations à domicile : spectacle de marionnettes pour goûters d'anniversaire, fêtes de familles ou d'entreprises, escape game pour les plus petits, maître de cérémonie pour séminaires professionels ou départs à la retraite...  Il est aussi régisseur événementiel dans le Val-de-Marne et parfois figurants sur les plateaux télé. Des « petits boulots » indispensables pour « faire ses heures » et obtenir son statut d’intermittent.

Ce quotidien est parfois bien éloigné des grands noms du cirque classique, Bouglione, Pinder, ou encore Zavatta, qui forgent l’image du clown dans l’esprit du grand public. « La vie d’itinérance, ça ne me fait pas rêver, répond Erwan. Ce n’est pas le nom qui fait le bon clown. J’ai des amis dans de petits cirques familiaux qui font du travail d’excellence, autant que les grands artistes. J’ai plus de respect pour eux, qui ont leur propre chapiteau à monter et démonter ». Une fois sur les planches, l’objectif est le même. « Jouer avec les émotions. Notre rôle, c’est d’offrir un moment d’évasion au public, faire oublier pendant quelques minutes les douleurs de la vie ».

Erwan fait des bulles de savon pour son jeune public.
Erwan fait des bulles de savon pour son jeune public. - TLG

Magasins discount et système D

Le jeune homme regarde sa montre : une heure pour tout installer. « C’est un spectacle que je joue tout seul, il n’y a personne au son ni aux lumières ». Dans la petite salle sombre, Erwan est seul face à trois valises. Tout est empilé là pour la mise en place. Pour assurer la lumière, les projecteurs de jardin ont été achetés dans un magasin discount. Une table « volante » dans le coin a été réparée au scotch noir. La pancarte principale est confectionnée par une copine. La poignée de costumes achetés sur Vinted. Il faut vérifier les ballons, les accessoires à bulles, la boîte à magie… « Je suis quelqu’un de débrouillard, j'ai récupéré pas mal de matériel d'occasion », dit-il. 

A ne pas oublier, la télécommande pour activer, en direct depuis la scène, la playlist enregistrée sur le smartphone et les lumières. « Si je devais me payer un technicien, je ne me paierai pas », glisse-t-il. « Je m’autoproduis, tout est acheté dans des magasins discount. C’est le système D, ça demande beaucoup d’investissement personnel, mais c’est devenu un jeu : comment faire un spectacle réussi avec trois bouts de ficelle ».

L’univers commence à prendre forme, mais plane une incertitude. Le public sera-t-il présent pour la cinquième de ses onze dates programmées cet été ? « Pour le moment, il n’y a pas de réservation, mais il faut toujours être prêt… », balaie-t-il en poursuivant son installation. A quelques minutes du show, on vient le rassurer depuis l'accueil : 19 billets vendus, dont une dizaine d’enfants. Soulagement sur le visage, qu’il faut maintenant maquiller par de légers coups de pinceaux. « Je ne voulais pas du gros nez rouge, ça fait un peu vieillot, mais quelque chose de plus moderne », assure-t-il devant le miroir. Avant d’entrer sur scène, il ajoute : « Les gens me demandent : ''mais tu vas faire ça toute ta vie ?'' Je réponds ''bah oui ; toi tu vas bien être banquier jusqu’à ta retraite''. Et tant que j’ai la passion… »