« Toucher aux menhirs, c’est comme si on touchait à nos ancêtres », assurent les auteurs de « Mégalithes de Bretagne »

Interview Joëlle Chautems et Pascal Lamour publient l’ouvrage « Mégalithes de Bretagne » où ils présentent cinquante sites mégalithiques de la région. Des lieux chargés d’histoire et d’énergie

Propos recueillis par Camille Allain
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La Suissesse Joëlle Chautems et le Breton Pascal Lamour ont coécrit l'ouvrage Mégalithes de Bretagne pour présenter cinquante sites remarquables.
La Suissesse Joëlle Chautems et le Breton Pascal Lamour ont coécrit l'ouvrage Mégalithes de Bretagne pour présenter cinquante sites remarquables. — Editions Favre
  • Début juin, l’annonce de la destruction de 39 menhirs de Carnac pour la construction d’un magasin de bricolage avait fait scandale.
  • Amoureux des pierres, Joëlle Chautems et Pascal Lamour ont arpenté la Bretagne pour dénicher les plus beaux sites mégalithiques.
  • Ils publient un ouvrage qui évoque à la fois l’histoire de ces pierres sacrées mais aussi les légendes et les énergies qui les entourent.

Ils sont posés là depuis des millénaires sans que l’on ne sache réellement expliquer qui les a mis là. Ni comment. Et encore moins pourquoi. Parfait mélange de puissance, d’immobilisme et de silence, les mégalithes ont vu leur tranquillité bousculée en juin, quand un archéologue amateur a révélé la destruction d’un alignement ancestral à Carnac. Dégagés par des engins de chantier pour faire place à un magasin Mr Bricolage, ces menhirs ont été au centre d’une tempête médiatique sans doute inédite en 5.000 ans d’existence. Un peu partout en France, des défenseurs autoproclamés du patrimoine breton ont crié au scandale. Preuve, s’il en fallait une, que ces mystérieuses pierres debout continuent de fasciner.

Un mois après le scandale des menhirs disparus, 20 Minutes a interrogé Joëlle Chautems et Pascal Lamour au sujet de leur ouvrage Mégalithes de Bretagne. Publié ce jeudi aux éditions Favre, le livre présente cinquante lieux mystérieux de la région mère du menhir. L’un parle couramment breton, l’autre ne peut cacher un léger accent suisse. Amoureux des mégalithes, les deux druides posent un regard admiratif sur ces pierres sacrées qu’ils décrivent comme chargées d’énergies. Interview à deux voix.

Comment avez-vous vécu l’annonce de la destruction des menhirs de Carnac ?

Pascal Lamour : Je trouve que ce qui s’est passé est inadmissible. C’est toujours la même chose. Chacun se renvoie la faute, en disant : ce n’est pas moi, c’est lui. On fait face à un mélange d’erreurs politiques, de guéguerres personnelles. Ces menhirs, tout le monde savait qu’ils étaient probablement très anciens. Il ne fallait pas délivrer ce permis de construire, c’était une erreur. Il fallait les protéger, et ça n’a pas été fait. Comment peut-on débattre de l’intérêt de pierres qui sont là depuis 6.000 ans. Qui sommes-nous pour faire cela ? J’ai trouvé ça choquant.

Êtes-vous surpris par le retentissement médiatique de l’affaire ?

P. L. : Beaucoup trop de choses ont été dites et on a eu tendance à tout mélanger. Mais ce n’est pas la première fois que ça se produit en Bretagne. Il y en a au moins un par jour qui disparaît dans la région. A Carnac, on estime que 60 % des pierres ont été déplacées ou ont disparu. Pendant un temps, on a voulu en faire des « menhirsland » mais on a fait n’importe quoi. Mais j’ai la sensation que la Covid a remué quelque chose en nous. Aujourd’hui, on sent que les gens font attention à leur environnement, qu’ils sont en quête d’authenticité. Avec Plogoff ou Notre-Dame-des-Landes, les gens ont vu que les Bretons ne se laissaient pas faire, qu’il y avait ici une culture de la contestation. Quand on touche aux pierres, c’est comme si on touchait à nos ancêtres.

Joëlle Chautems : Il y a toujours une fascination de l’humain pour les grands sites historiques. Comme avec les pyramides d’Égypte ou les temples incas. Nous sommes fascinés parce que nous pensons que l’homme moderne sait tout faire. On relègue l’humain du passé à une forme primitive tout en admettant qu’il savait faire des choses que nous ne savons plus faire aujourd’hui.

C’est cette fascination qui a fait naître votre passion pour les mégalithes ?

P. L. : Les pierres, moi, je suis né dedans. J’ai grandi à Theix et les pierres étaient partout. Je me souviens des travaux de remembrement chez mes parents quand j’avais 12 ans (en 1970). J’ai vu des lignes entières de dolmens détruits pour agrandir les champs. Et tout ça avec l’aval des institutions ! A l’époque, les pontes de l’équipement gardaient même les plus belles pierres pour les mettre dans leur jardin, parce que ça faisait bien. C’était un vrai choc pour moi. C’est là que j’ai pris conscience de la fragilité du milieu. Je me suis dit que j’allais faire en sorte que ça ne se reproduise pas.


Les alignements de Kerzergho, à Erdeven, dans le Morbihan, font partie des sites mentionnés dans l'ouvrage de Pascal Lamour et Joëlle Chautems.
Les alignements de Kerzergho, à Erdeven, dans le Morbihan, font partie des sites mentionnés dans l'ouvrage de Pascal Lamour et Joëlle Chautems. - M. Gile/Sipa

J. C. : J’ai toujours eu un lien avec la nature. Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours aimé les pierres. Il en existe en Suisse où j’habite mais beaucoup ont été détruites. Chez moi, on a beaucoup perdu le lien avec les rites d’autrefois. La Bretagne a su garder ce lien. On a l’impression que c’est une terre riche de souvenirs, que nous, nous n’avons plus en Suisse. Quand je vais en Bretagne, j’ai l’impression de reconnecter ce lien avec la nature, de retrouver ce questionnement autour des cultures anciennes et du temps qui passe. Ce qui me questionne, c’est surtout de savoir à quoi cela pouvait servir.

Avez-vous trouvé la réponse ? Même pour les plus grands experts, le rôle de ces mégalithes reste un mystère.

J. C. : C’est une question qui me taraude. J’ai plein de pistes mais je ne suis convaincue de rien. Pour moi, cela pourrait être des directions, des voies ou des chemins vers quelque chose. Une sorte de cartographie. L’hypothèse qui me plaît le plus, c’est la dimension de l’au-delà. Les dolmens et les chambres représentent la terre mère. Avec les pierres, nos ancêtres devaient recréer une forme d’utérus dans la terre. J’aime cette dimension. Savoir d’où je viens et où je vais, à travers le cycle du temps et de la mort. Le dolmen représenterait le lien avec l’au-delà. Il y a une dimension qui nous échappe.



P. L. : Contrairement à nous, nos ancêtres ne se mettaient pas au centre du monde. Ils exprimaient des choses avec ces pierres. Mais pourquoi une telle passion pour la taille de pierres alors qu’il y avait déjà tant à faire pour survivre ? Ça me fascine de penser que des gens ont trimbalé des pierres sur plusieurs kilomètres.

Quel plaisir prenez-vous à explorer ces sites ?

J. C. : C’est une quête sans fin. Il y a sans doute encore des sites enfouis sous terre ou sous l’eau qui n’ont pas été découverts. Surtout, il n’y a jamais deux pierres pareilles. On le sent quand on s’approche. Quand on allait visiter les sites avec mes filles, elles étaient parfois très calmes et à l’écoute et parfois très joueuses, à sauter et courir partout. On sent une véritable énergie. Je ne vénère pas l’objet du menhir, ce n’est pas une icône. C’est plutôt l’état qu’il génère en moi qui me plais.

N’avez-vous pas peur de dénaturer certains sites en les faisant connaître du grand public ?

J. C. : Nous avons fait attention à ne pas mentionner certains sites qui nous semblaient trop fragiles. Parfois, en arrivant sur place, je ressentais une énergie et je disais à Pascal : celui-là, on ne le mettra pas dans le livre. J’ai pris le risque de déposer une dimension énergétique dans ce livre, de partager des émotions. J’aimerais que les visiteurs viennent avec un regard très large, que cela donne à chacun l’envie de se questionner. Ce n’est pas un musée ! Quand je me suis rendue à Carnac, j’ai été frappée de voir que certains touristes visitaient les alignements comme s’ils regardaient une exposition de voitures. Pour moi, il y a une forme de vénération, c’est comme un temple. La dimension de respect est importante.

P. L. : Nous avons essayé de ne présenter que des sites accessibles du grand public mais pas les plus connus. Nous avons voulu partager notre connaissance, mais aussi nos sensations, notre ressenti des lieux. Chacun doit rester libre. Nous voulons laisser une part de rêve aux visiteurs.