Emeutes à Marseille : Les commerçants « à bout » tentent de se relever

reportage A Marseille, environ 400 commerces ont été la cible de pillages ou de dégradations, selon des chiffres remontés par la Chambre de commerce et de l’industrie

Alexandre Vella
Un magasin ouvert, malgré sa vitrine encore défoncée, à Marseille
Un magasin ouvert, malgré sa vitrine encore défoncée, à Marseille — A. Vella
  • A Marseille, les émeutes ont particulièrement affecté le centre-ville. Près de 400 commerces ont été dégradés ou pillés.
  • Magasin de téléphonie, restaurant, tailleur… Les pillages ont touché tout type de commerce. Les émeutes mettent à mal des magasins déjà touchés par les manifs des « gilets jaunes », celles contre les retraites et fragilisés par la crise Covid-19.
  • Pour parer au plus urgent, la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur a lancé un fonds de soutien avec la métropole doté de 10 millions d’euros et alimenté à 50-50. La mairie à elle également annoncé la mobilisation de deux millions d’euros

Les larmes lui montent aux yeux. Depuis trois générations que la famille d’Agnès tient la boutique de chaussures Richelieu, elle craint être celle qui fermera la boutique. « Je suis découragée, épuisée. Les commerçants sont à l’agonie. Le dépôt de bilan, c’est à la fin de l’année », a lancé Agnès à Jean-Luc Chauvin, le président de la Chambre de commerce et d’industrie, venu faire un tour du centre-ville de Marseille et apporter son soutien aux commerçants. Le patron de la CCI estime à « environ 400 » le nombre de commerces dégradés et/ou pillés à Marseille par les émeutes de ces derniers jours consécutives à la mort de Nahel, d’après les données qui lui sont remontées.

Si quelques pillages ont eu lieu en périphérie, la plupart l’ont été dans l’hypercentre, dans un triangle contenu entre la rue Paradis, la Canebière et Belsunce. Nombre de ces boutiques gardaient ce lundi leurs rideaux tirés. Ou plutôt des planches d’OSB, ces panneaux de bois agglomérés, cloués. Parce qu’on est lundi, et qu’en Provence, les commerces sont souvent fermés le lundi. Mais surtout le temps que les artisans viennent faire les réparations et le temps que les violences urbaines se calment aussi.

Adam, responsable du magasin Orange Canebière a évité le pire : « On a barricadé la boutique dès vendredi. Les gars ont fini de monter les dernières planches sous les émeutes. » Une précaution que n’avaient sans doute pas prise les boutiques voisines de Free et Bouygues. « Eux, ils sont fermés jusqu’au 15 juillet. » Tout comme les autres magasins Orange de Joliette et Bonneveine dont le dernier cité a été « attaqué à la disqueuse ». Adam a prévu de « garder encore un peu » ses protections de bois quoique la situation se soit légèrement calmée ces deux derniers jours. Le gérant du Dakao, un restaurant asiatique a lui consolidé une de ses portes avec son stock de sac de riz, en mode sacs de sable de tranchées. « Ils sont rentrés et m’ont piqué quelques trucs dans la cuisine, mais surtout le tiroir-caisse et le coffre-fort. Enfin, j’avais pris la recette donc ça va encore », témoigne-t-il.

« Je ne vais pas pleurer, je pleure quand il y a des morts »

Sur une rue perpendiculaire à la rue de Rome, un tailleur italien continue de travailler malgré le trou béant dans sa vitrine. Il a remis un semblant d’ordre dans son magasin. Un bac en plastique est plein d’éclats de verre. « Ils ont pu prendre que ce qu’il y avait sur les six mannequins accessibles au travers du rideau de fer qui a tenu bon. Enfin, c’est quand même des ensembles de costumes entre 1.000 et 1.500 euros », raconte Gilles qui a collecté quelques restes de mannequins, comme ici une jambe qui semble avoir servi de projectile sur la police. Il revient tout juste du commissariat de Noailles où il est allé porter plainte.

Devant ce même commissariat, on retrouve le propriétaire d’un bureau tabac. « Ils ont tout défoncé et emporté », explique-t-il dans l’attente de son rendez-vous pour déposer plainte à son tour. « Si je suis dégoûté ? Ah, ça va je ne vais pas pleurer. Moi, je pleure quand il y a des morts », exprime ce commerçant dans un élan de compréhension.

Versement de 10.000 euros sous quinze jours sans critère

Plus largement, cette série d’émeutes et de pillages vient pour les commerçants prolonger une série noire qui dure depuis bientôt cinq ans. Entre les « gilets jaunes », le Covid-19, les manifestations contre les retraites et maintenant les émeutes, « je suis à bout de forces », complète Agnès. « On se prend tout dans la figure et personne nous aide. On ne peut plus continuer à travailler avec les manifestations qui passent tout le temps, la hausse des loyers et les charges démentielles », poursuit-elle alors qu’un camion d’artisan « Miroiterie de Marseille » passe à sa hauteur.

Pour parer au plus urgent, la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur a lancé un fonds de soutien avec la métropole doté de 10 millions d’euros et alimenté à 50-50. Il doit permettre de verser 10.000 euros sous quinze jours, sans critère. La mairie à elle également annoncé la mobilisation de deux millions d’euros, notamment afin d’aider au remplacement des vitrines cassées ou à aider les associations de commerçants.