« The Boyfriend Experience », ou comment se payer le mec parfait sans y toucher

Fake love Depuis quelques mois, un site français propose de louer les services d’un petit ami à l’heure, mais sans relations physiques

Xavier Regnier
Et si vous vous offriez votre balade romantique sur la plage idéale ?
Et si vous vous offriez votre balade romantique sur la plage idéale ? — Montage XR/20 Minutes
  • Il y a quelques mois, Sarah Fordebras a fondé The Boyfriend Experience, un site qui permet de louer un faux petit ami sur-mesure, mais avec qui il n’y a pas de relation physique. Un modèle qui existe déjà au Japon et aux Etats-Unis.
  • Loin des clichés de « l’escort », le boyfriend est d’abord sélectionné pour « ses qualités humaines » et son sens de l’écoute, appuie la fondatrice du site, ainsi que ses capacités à répondre aux attentes de la cliente, comme parler portugais ou jouer de la guitare. Ce qui n’empêche pas d’être sacrément beau gosse…
  • Avec ce service, « on rémunère quelqu’un pour le temps passé à votre service, on ne loue pas un corps », défend par ailleurs la sociologue Janine Mossuz-Lavau.

Les habitués des sites de rencontre sont bien placés pour le savoir : le date parfait n’existe pas. Mais s’il pouvait s’acheter ? Pas d’accord avec ses copines qui « se plaignaient que les bons soient tous déjà pris », Sarah Fordebras a commencé pendant le confinement à réfléchir à un moyen de « faire passer un bon moment aux hommes et aux femmes ». Elle a ainsi fondé The Boyfriend Experience, un site qui propose de louer un petit ami à l’heure, moyennant un tarif à partir de 175 euros, sur la base d’un concept qui existe notamment au Japon et aux Etats-Unis.

Pas question pour elle de parler d’un système « d’escort » toutefois. « C’est souvent associé à du négatif, à la prostitution, à quelque chose de dangereux. Je propose plutôt une vraie rencontre humaine, dans laquelle on ne parle pas du tout de sexe », clarifie Sarah Fordebras. Le contrat est très clair, autant pour le boyfriend que pour la cliente, et mis à l’écrit à l’avance : pas de relation physique. En rendez-vous, « le feeling est naturel et placé au bon curseur ensemble », témoigne Alexandre, boyfriend depuis quelque mois. « On sait qu’on n’ira pas au-delà d’un certain cap », et en restant attentif aux signaux, le boyfriend peut « orienter le rendez-vous autrement ».

Un boyfriend dans la friendzone

« Je ne peux pas contrôler l’attachement, mais on peut aussi se projeter avec son plombier ou son psy », sourit Sarah Fordebras. Si le rendez-vous peut prendre la forme d’un date plus ou moins scripté, la romance n’est pas obligatoire, puisque « de toute façon, c’est de la friendzone », appuie-t-elle. Par ailleurs, même si l’idée a pu être évoquée sur le vif d’un premier rendez-vous, « mais plus pour un dîner ou l’accompagnement à une soirée », Alexandre n’a encore jamais eu de second rendez-vous avec une cliente.

Le jeune homme, qui « travaille dans le soin à la personne » à côté, met en avant « l’expérience inédite » que peut constituer un moment avec un boyfriend, voire les « émotions fortes » qui peuvent être créées. Et les clientes, même si elles « savent que la relation est superficielle », se prêtent au jeu, se réjouit Sarah Fordebras. Ces clientes, ce sont surtout « des femmes de plus de 35 ans, gagnant plutôt bien leur vie », et qui peuvent être « mariées, célibataires ou divorcées » !

Divertir et écouter

« Ce n’est pas nouveau et ça existe depuis longtemps », souligne la sociologue Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherches au CNRS et au Cevipof, qui rebondit sur l’un des services proposés par The Boyfriend Expérience : l’accompagnement à des soirées ou à des expositions. « Dans certains cercles, ce n’est pas génial d’arriver seule », indique-t-elle. Au contraire, arriver en compagnie d’un beau jeune homme, « c’est très valorisant ».

Sarah Fordebras identifie deux types de clientèle : « des femmes qui veulent juste se divertir, passer une soirée qui change, aller à une soirée », ou découvrir Paris dans le cas de certaines touristes, et des femmes « qui se sentent seules et ont besoin d’écoute ; ce sont elles qui ont le plus besoin du service. » La capacité d’écoute est ainsi la clé pour être un bon boyfriend. « Il faut avoir une intelligence des relations humaines, car chaque cliente est différente », relève Alexandre.

Boyfriend sur-mesure

« La gentillesse, la bienveillance et l’humour » sont ainsi les principales qualités du (faux) petit ami idéal demandé par les clientes de Sarah Fordebras, qui ajoute en rigolant « et qu’il sache faire la cuisine ». Des demandes qui peuvent sembler basiques, mais « si ces femmes en sont à louer des hommes, c’est que les hommes qu’elles ont eus avant n’ont pas forcément été gentils, donc ça fait naturellement partie de leurs exigences », explique Janine Mossuz-Lavau.

Dans le formulaire qu’elles remplissent, les clientes sont invitées à détailler autant que possible leurs demandes et ce qu’elles attendent du boyfriend. « Parler portugais, jouer de la guitare, ou lire des poèmes », cite Sarah Fordebras, qui effectue ensuite une présélection qu’elle envoie à sa cliente, en bonne « bookeuse ». Le boyfriend choisi fera ensuite le maximum pour coller aux demandes. « C’est un accompagnement sur mesure, mais tout le travail en amont ne doit pas se voir », raconte Alexandre. Ce besoin de « se renouveler » et le « côté caméléon » font partie de ce qu’il aime dans le métier : « C’est en partie un boulot d’acteur, comme Alain Delon, qui peut jouer plusieurs rôles tout en y mettant sa personnalité », image-t-il.



Reste que les boyfriends proposés par le site sont, avouons-le, sacrément beaux gosses. « C’est vrai », s’esclaffe Sarah Fordebras, qui retrouve vite son sérieux. « C’est comme une agence de mannequin : leur métier c’est l’apparence », et comme la Boyfriend Expérience « reste un service payant » (cher), « ça me semble évident » que la cliente voudra un Brad Pitt ou équivalent, justifie-t-elle. « J’ai conscience qu’il y a une certaine injustice, et si les clientes demandent plus de normalité, je n’ai rien contre l’idée, le service peut évoluer. » « J’aimerais avoir plus de diversité », et d’ailleurs « je recrute ! », ajoute-t-elle, pleine de malice.

« On rémunère quelqu’un pour le temps passé à votre service, on ne loue pas un corps »

Celle qui a d’abord embauché dans son cercle d’amis précise vouloir « l’élite » et affirme que « la valeur humaine » reste le critère numéro un. Elle met aussi en avant une « démarche féministe » apportant plus « d’équilibre », à la fois en « rendant un service aux femmes et en leur rappelant que les hommes bien existent », tout en donnant un modèle aux hommes pour « mieux se comporter avec les femmes ». Il y a un côté « je fais ce que je veux » qui « renverse les rôles », confirme Janine Mossuz-Lavau, même si Sarah Fordebras insiste sur le respect mutuel entre le boyfriend et la cliente.

L’entrepreneuse rêve aussi « d’ouvrir les idées dans la société », ne ferme pas la porte aux clients masculins et espère un jour pouvoir louer des femmes aux hommes, « mais il y a trop de mauvaises habitudes », notamment liées à cette fameuse image de « l’escort » que Sarah Fordebras veut décoller. Avec ce service, « on rémunère quelqu’un pour le temps passé à votre service, on ne loue pas un corps » puisqu’il n’y a pas de relation physique, approuve Janine Mossuz-Lavau. « Toutes sortes de métiers du service à la personne reviennent à ça », souligne-t-elle, citant les infirmières et les femmes de ménage. Alors jouer les accompagnateurs à une soirée mondaine, « est-ce si différent ? », interroge la sociologue.