Interdire les smartphones avant le collège pour protéger les enfants, une idée à suivre ?

Ecran noir En Irlande, des parents d’élèves ont collectivement interdit les portables à leurs enfants, et pourraient faire des émules

Xavier Regnier
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Dès l'école primaire, de nombreux élèves sont équipés d'un téléphone portable. (illustration)
Dès l'école primaire, de nombreux élèves sont équipés d'un téléphone portable. (illustration) — Canva
  • En Irlande, les parents d’élèves de la commune de Greystones ont décidé collectivement de ne plus donner de smartphone à leurs enfants avant l’entrée au collège.
  • Plusieurs études soulignent le lien entre un temps d’écran trop élevé chez les enfants et des problèmes de sommeil ou d’apprentissage, sans compter une exposition précoce aux images pornographiques.
  • L’interdiction avant un certain âge est-elle enviable et intéressante à mettre en place à plus grande échelle ? Ou faut-il d’abord mieux former parents et enfants aux problématiques liées au numérique ? 20 Minutes s’est entouré de deux expertes qui ne vont pas forcément dans le même sens pour tenter d’avancer sur la question.

La guerre des écrans est déclarée à Greystones. Dans cette petite ville d’Irlande, qui compte un peu moins de 20.000 habitants, les parents d’élèves des huit écoles primaires de la commune ont signé un « pacte » : ils ne fourniront pas de téléphones portables à leurs enfants avant que ceux-ci n’entrent dans le secondaire, vers 12 ans. L’idée est de réduire le temps d’écran de leurs enfants, en particulier dans un contexte pas forcément surveillé par les parents, et donc de limiter les risques d’exposition à des contenus sensibles ou aux réseaux sociaux. Une initiative saluée par des responsables politiques en Irlande. Une décision politique en France serait-elle possible en ce sens ?

Comme en Irlande, « beaucoup d’enfants ont un portable avant le collège », souligne pour 20 Minutes Marie-Claude Bossière, pédopsychiatre et membre de l’Institut Recherche et Innovation. Le temps passé devant un écran explose de plus en plus tôt. « Fin 2022, une étude d’Ipsos montrait que les enfants entre 0 et 3 ans passent 3h11 par jour en moyenne devant un écran », un chiffre qui monte « à plus de 6 heures chez les ados », rappelle-t-elle. Conséquence indirecte, 21 % des garçons de 10 et 11 ans consultent des sites pornographiques chaque mois, relevait récemment Médiamétrie.

Interdire ou former ?

Citant plusieurs études, Marie-Claude Bossière, aussi membre du CoSE (collectif Surexposition Ecrans) insiste : « plus les enfants passent de temps devant les écrans, plus ils ont de troubles du sommeil, de l’attention, de l’humeur… » La solution irlandaise serait-elle idéale pour protéger les enfants ? « Le problème de l’interdiction, c’est qu’on n’aide pas l’enfant à utiliser les outils numériques », relativise Marie Danet, psychologue et enseignante-chercheuse à l’université de Lille.

La question de remettre un téléphone dans la main des mineurs dépasse en effet la question de l’âge. En admettant qu’on supprime au maximum les écrans jusqu’à 11 ans, gare à ne pas « en donner un du jour au lendemain ». Ces enfants « seront potentiellement soumis à des contenus haineux ou des images inappropriés qu’ils n’auront pas appris à gérer », explique la Lilloise, plaidant plutôt pour une « éducation au numérique ».

« Le contrôle parental est presque contre-productif »

Mais à qui doit revenir la charge de cette éducation ? A l’école, « le numérique envahit tous les espaces », estime Marie-Claude Bossière, y compris la relation entre l’école et les parents. Si la présence de tablettes tactiles dans les classes est encore loin d’être généralisée, la politique menée par Emmanuel Macron va dans ce sens, avec par exemple la volonté de généraliser l’enseignement du code informatique au collège. A l’inverse, « la Suède a mis un terme au tout numérique à l’école », admettant qu’il n’y a « pas d’étude qui montre que les enfants apprennent mieux avec le numérique », défend la pédopsychiatre.

Si l’école française ne semble pas prête à lâcher du lest sur le numérique, les parents doivent aussi être mis à contribution. « Comment réagir aux contenus heurtant, comment être un citoyen numérique, vers qui se tourner quand on a été exposé » sont autant de pistes à suivre pour Marie Danet. Loin de défendre un « contrôle parental presque contre-productif », elle plaide en faveur d’un « dialogue ouvert », et d’un apprentissage au moyen d’un téléphone ou d’une tablette partagée. « Si les enfants se cachent, c’est difficile après de demande de l’aide », ajoute-t-elle.



Il n’en reste pas moins que si la question touche à l’intérieur de chaque famille, l’enjeu est collectif, et la manière d’y répondre aussi. « L’outil lui-même est addictogène » à tout âge, et comme avec d’autres équipements, les enfants « poussent à la consommation », relève Marie-Claude Bossière. « Si c’est interdit collectivement, c’est plus facile pour les parents », dit-elle en écho aux témoignages des parents de Greystones. « Il n’y a pas de grande campagne d’information sur les dangers du numérique », ni de « régulation », regrette la membre de l’Institut Recherche et Innovation. Quant à se décider à donner un téléphone à son enfant, « il faut que ça réponde à un besoin des parents et de l’enfant », tranche Marie Danet, plus adepte du cas par cas que de l’interdiction collective. Sur les réseaux sociaux, en Irlande ou dans les cours de récré françaises, le débat est loin d’être clos.