Harcèlement scolaire : Pourquoi harceler les harceleurs est une vraie mauvaise idée
Tribunal du net Dénonciation, affichage sur les réseaux, appels à la vengeance… Les récentes affaires de harcèlement scolaire dans le Nord et le Pas-de-Calais suscitent une émotion qui se traduit parfois par de dangereuses dérives sur les réseaux sociaux
- Deux affaires de harcèlement scolaire ont récemment ébranlé les départements du Nord et du Pas-de-Calais.
- Dans les cas de Lindsay ou de Shana, l’indignation collective s’est parfois traduite par des réactions délictuelles sur les réseaux sociaux.
- De l’affichage de données personnelles aux appels à la haine, ces comportements ont débouché sur plusieurs dépôts de plaintes.
Deux affaires de harcèlement scolaire ont récemment ébranlé la région des Hauts-de-France. Dans le Nord, avec la diffusion d’une vidéo montrant l’agression d’une collégienne de Tourcoing, et surtout dans le Pas-de-Calais, avec le suicide de Lindsay, une collégienne de Vendin-le-Vieil, âgée de 13 ans, qui ne supportait plus le harcèlement qu’elle subissait. Cette dernière affaire a d’ailleurs soulevé une vague d’indignation, dont l’écho est finalement remonté jusqu’au sommet de l’Etat. Indignation de la famille de Lindsay, d’abord, qui s’est traduite par le dépôt de plusieurs plaintes. Et indignation sur les réseaux sociaux, qui a parfois donné lieu a des dérives pénalement répréhensibles.
Au-delà de l’émotion qu’il suscite, le drame vécu par Lindsay, harcelée jusqu’à la mort, pose des questions auxquelles le gouvernement devra répondre. Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a reconnu un « échec collectif » et la Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé faire de la lutte contre le harcèlement une « priorité absolue ». D’un autre côté, plusieurs enquêtes ont été ouvertes, notamment judiciaire, avec la mise en examen de cinq personnes, et administrative, diligentée par l’académie de Lille.
Mais le temps de la justice n’est pas celui des réseaux et rapidement, toutes les informations personnelles des mis en cause ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo sur TikTok, effacée entre-temps, un internaute exposait les nom, prénom, photo et adresse de l’une des harceleuses présumées de Lindsay, le tout accompagné d’un appel à la vengeance.
Plusieurs plaintes déposées
« Faire cela est, au minimum, une atteinte à la présomption d’innocence », assure Mathieu Masse, avocat au barreau de Lille. « Dans ce cas précis, on peut dire qu’il s’agit d’une incitation à commettre un crime ou un délit. C’est un acte qui, s’il n’est pas suivi d’effet, est punissable de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende », ajoute-t-il. Dans le cas où la personne visée est finalement agressée, l’auteur de l’incitation peut même être considéré comme complice si le lien de causalité était démontré. Toujours est-il que les personnes physiques ou morales faisant l’objet de tels propos sur les réseaux peuvent saisir la justice.
C’est d’ailleurs ce que l’académie de Lille a fait dans le cadre de l’affaire Lindsay. « La rectrice condamne avec la plus grande fermeté les insultes, les intimidations, les appels à la haine, les menaces graves et le non-respect du droit à l’image dont font l’objet les personnels de l’établissement », a déclaré l’Académie, ce mercredi, ajoutant qu’une plainte avait été déposée. Même chose du côté de la direction du collège Marie-Curie, à Tourcoing, qui a déposé une plainte pour diffamation après avoir été accusée ouvertement d’inaction par le « lanceur d’alerte » qui a publié la vidéo de l’agression de Shana.
Justice pragmatique et justice expéditive
Ce même « lanceur d’alerte », Marvin Lengrand, assume aussi d’avoir diffusé sur les réseaux les visages et noms de deux jeunes filles, affirmant qu’elles sont les harceleuses de Shana. Un délit caractérisé par l’article 223-1-1 du Code pénal et puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. « Il est effectivement regrettable que les réseaux sociaux permettent toutes les dérives qui portent atteinte au droit à l’image ou à la vie privée », a réagi auprès de 20 Minutes la procureure de Lille, Carole Etienne. La magistrate rappelle que, dans ce cas, « plusieurs infractions peuvent être envisagées : la diffamation, l’injure, l’incitation ou la provocation à la violence, et même le harcèlement ». Autant de délits qui peuvent être punis aussi sévèrement, voire plus, que les faits qu’ils dénonçaient à l’origine.
Une vindicte populaire compréhensible dans une certaine mesure, certes, mais qui ne sert pas la justice, plus pragmatique. Pragmatique mais pas immobile. Dans l’affaire Shana, le parquet de Lille confirme que « deux mineures de 15 et 17 ans ont été interpellées et placées en garde à vue le 31 mai. Elles ont reconnu les violences, qui seraient une réponse à une première agression survenue en mars 2023 de la part de la plaignante ». La suite des investigations devrait permettre de « déterminer exactement le rôle de chacun », a ajouté la procureure.