« Ça ne fera pas revenir les papillons »… En Alsace, coup d’arrêt à un contournement et colère des habitants
Reportage Le contournement de Châtenois (Bas-Rhin) a été suspendu le 12 mai par le tribunal administratif. Alors que des travaux, commencés en 2019 et estimés à 60 millions d’euros, devaient se terminer à Noël… De quoi susciter incompréhension et colère
- En Alsace, un chantier de contournement de cinq kilomètres a été stoppé par le tribunal administratif de Strasbourg. Alors que les travaux, commencés en 2019, étaient presque terminés…
- La raison ? « Plusieurs conditions majeures » posées par le code de l’environnement et pointées par l’association Alsace Nature n’ont pas été respectées.
- Comment réagissent le maire et les habitants ? 20 Minutes est allé les rencontrer.
Il n’en reste plus qu’une. Sur les quelque cinq kilomètres du futur contournement de Châtenois (Bas-Rhin), une seule tractopelle s’affaire encore ce mardi matin. « On bouche les accès », indique un ouvrier après avoir déposé un tas de terre à l’une des entrées du tronçon.
Depuis le 12 mai, l’homme au gilet fluo a vu la plupart de ses collègues déserter le chantier. Pas la peine de rester : les travaux sont suspendus par décision du tribunal administratif de Strasbourg. Celui-ci a annulé l’autorisation environnementale accordée en 2019. La raison ? « Plusieurs conditions majeures » posées par le code de l’environnement et pointées par l’association Alsace Nature n’ont pas été respectées. La préfecture et la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), maître d’œuvre, « n’ont pas justifié de compensations suffisantes » face aux sept hectares de zones humides détruits par le projet.
Des arguments que ne digère pas le maire de la commune. « Vous les voyez là, ces haies ? Il y en a deux kilomètres comme ça », fulmine Luc Adoneth en pointant une rangée de jeunes frênes. Juste à côté, la 2x2 voies est à l’état de gravier, avec des tuyaux d’évacuation dans les accotements quasiment terminés. « Tout devait être fini à Noël. Il ne restait presque plus que l’asphalte à poser… On est scandalisé, outré, révolté, je ne sais même plus quel synonyme employer », peste encore l’élu sans étiquette.
Ce contournement, il n’était pas le seul à l’attendre. Le dossier est sur la table « depuis au moins quarante ans » et avait donc vu le jour en 2019. Avec un objectif bien précis : désengorger le trafic sur la Nationale 59 qui traverse en partie cette petite ville (4.300 habitants) située à quelques kilomètres du célèbre château du Haut-Koenigsbourg.
20.000 véhicules par jour
« On est à la confluence de deux vallées, celle de Villé et de Sainte-Marie-aux-Mines. Ça veut dire qu’on est un point de passage obligé pour ses habitants qui travaillent par exemple à Strasbourg ou Colmar et qui vont rejoindre l’autoroute. Et à cela il faut ajouter tous ceux qui viennent ou vont à Nancy ou dans les Vosges par le tunnel », détaille l’édile. Résultat, 20.000 véhicules passent chaque jour sur cette voie, avec des ralentissements réguliers matin et soir.
« C’est bouché tous les jours et ça me met constamment en retard », confirme Audrey, auxiliaire de vie habituée des lieux. Comme beaucoup de personnes croisées, elle ne comprend pas la décision de justice rendue et surtout le timing. « C’est du n’importe quoi ! Pourquoi arrêter à six mois de la fin des travaux ? J’attendais vraiment que ça se termine, j’aurais pu gagner dix à quinze minutes. »
Vanessa, elle, aurait gagné en tranquillité. Sa maison est installée juste à côté de cette fameuse N59. « On était locataire et on s’en va ! », lance-t-elle avant d’expliquer que le déménagement n’est « pas lié » à la situation actuelle. Quoi que… « On ne peut pas ouvrir les fenêtres, c’est un bruit permanent et continu. Le 50 km/h, les motos et camions ne doivent pas le voir ! », pointe la « Castinétaine » en évoquant également la pollution engendrée. Plusieurs de ses voisins ont d’ailleurs installé des panneaux le long de la route pour faire état de leur « colère ».
D’autres slogans sont visibles sur les ronds-points, dont ce « oui à l’écologie intelligente, reprenez les travaux » ou ce « on a assez donné ». Une dernière référence liée aux compensations environnementales déjà validées mais aussi à l’argent dépensé ans le projet. Un budget de 60 millions d’euros qui ne manque pas non plus de faire réagir. « De l’argent public balancé si ça en reste là, déplore Luc Adoneth, très remonté à l’encontre d’Alsace Nature. Ils ont une idéologie antisociale. L’arrêté avait été obtenu avec toutes les autorisations possibles et on nous dit que ça ne va pas quatre ans après ? Ce n’est pas le fait d’arrêter le chantier qui va faire revenir les papillons ! »
« Ce contournement finira par se faire »
« C’est le juge qui a jugé, pas nous, répond le directeur de l’association écologiste Stéphane Giraud. C’est la responsabilité de ceux qui ont pris l’arrêté et de ceux qui ont commencé les travaux, pas la faute d’Alsace Nature. Nous avions largement prévenu avant de déposer un recours en 2019. » Il salue, au contraire, « le message fort envoyé par le tribunal administratif ». « Ça veut dire qu’on doit avoir maintenant d’autres ambitions sur le plan environnemental. La situation est purement catastrophique et j’espère maintenant que les décideurs augmenteront le curseur de deux ou trois crans dans les dossiers qu’ils déposeront. »
Le dirigeant l’avoue, il n’est pas dupe, « ce contournement finira par se faire ». Quand ? Comment ? La justice le dira dans les prochaines semaines voire les prochains mois. La CeA va déposer « très rapidement » une demande en référé suspension auprès de la cour d’appel de Nancy, afin que les travaux reprennent. Elle prévoit aussi de faire appel sur le fond de la décision du tribunal administratif et espère une décision « d’ici à la fin de l’été », comme l’a annoncé son président Frédéric Bierry. Ce dernier a également révélé ce que coûtait la fermeture du chantier : « 1,7 million aux collectivités et 250.000 euros en plus par mois de retard ».
Samedi, plus d’un millier de manifestants, parmi lesquels des sénateurs et députés locaux, s’étaient réunis pour réclamer la reprise du chantier.