Soumission chimique par un proche : « On n’a aucune idée de l’étendue des dégâts »
Violences Une campagne de sensibilisation a été lancée afin d’alerter sur ces agissements dans la sphère privée et alors que les victimes « s'ignorent pour la plupart »
- Une campagne de sensibilisation surnommée #MendorsPas a été lancée lundi afin d’alerter sur la soumission chimique dans la sphère privée.
- En 2021, 727 cas d’agressions « facilitées par les drogues » ont été recensés mais la plupart des victimes ont des amnésies à cause des produits qu'on leur administré à leur insu.
- Caroline Darian, l'une des responsables de cette campagne, a elle-même été victime collatérale de ce crime, souvent silencieux. Son père est en détention provisoire, accusé d’avoir drogué, violé et livré sa mère à des dizaines de violeurs pendant dix ans.
« Tout le monde pense que la famille est un lieu de sécurité », glisse la gynécologue Ghada Hatem-Ganzer. Pourtant, la sphère familiale est le lieu de toutes les violences. Elles s’y insinuent avec plus d’impunité qu’ailleurs, dissimulées derrière les volets du foyer. Et quand il s’agit d’impunité, la soumission chimique est d’une redoutable efficacité. Droguer sa victime permet à l’agresseur de commettre un crime sans témoin. En 2021, 727 cas d’agressions « facilitées par les drogues » ont été recensés, affirme Leila Chaouachi, docteure en pharmacie qui a participé à l’enquête nationale sur la soumission chimique auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Mais, en réalité, « on n’a aucune idée de l’étendue des dégâts », pose Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol. Désorientées et souffrant d’amnésie, « les victimes s’ignorent pour la plupart », abonde Caroline Darian. Elle-même victime collatérale de la soumission chimique, la quadragénaire a lancé lundi une campagne de sensibilisation #MendorsPas afin d’alerter sur cette violence, bien souvent invisible. Son père est en détention provisoire, accusé d’avoir drogué, violé et livré sa mère à des dizaines de violeurs pendant dix ans. Une décennie d’esclavage sexuel silencieux.
« Le continuum des violences conjugales »
Piqûres en boîte de nuit ou GHB glissé dans un cocktail en soirée, la soumission chimique a été médiatisée dans le milieu festif. Mais « dans l’inconscient collectif, la soumission chimique se restreindrait à du GHB dans les milieux festifs », regrette l’autrice de Et j’ai cessé de t’appeler Papa. Mais « dans 90 % des cas, quelle que soit la méthode, c’est le proche l’ennemi, c’est le proche qui viole », rappelle Emmanuelle Piet. « Personne n’imagine que dans la sphère intime, familiale, on puisse être maltraité ou abusé chimiquement. Pourtant, c’est un phénomène beaucoup plus banal et fréquent que ce qu’on se figure », estime Ghada Hatem-Ganzer, gynécologue et fondatrice de la Maison des Femmes 93.
« La manipulation des médicaments par les hommes violents est un ressort très connu », rappelle Emmanuelle Piet qui prend pour exemple ces hommes qui confisquent ou jettent les médicaments dont leur compagne a besoin, comme de l’insuline. « On peut voir la soumission chimique comme le continuum des violences conjugales. Quand la victime ne se souvient plus, c’est aussi un levier pour l’humilier. Pour lui dire : "Tu ne te souviens jamais de rien, tu n’as rien dans la tête ma pauvre femme" », illustre la présidente du Collectif féministe contre le viol.
« Ça peut toucher n’importe qui »
Ghada Hatem-Ganzer, qui participe à cette campagne de sensibilisation espère qu’en « matraquant l’information », les Français comprendront qu’ils « peuvent être concernés, que leurs proches peuvent être concernés ». « Il faut absolument le faire savoir au plus grand nombre. Parler des symptômes, dire que ça peut être possible, que ça peut toucher n’importe qui », martèle Caroline Darian. « Si on m’avait parlé de la soumission chimique, si on avait évoqué publiquement les symptômes qui se cachent derrière ce voile, j’aurais pu essayer d’emmener ma mère dans les bonnes structures pour faire des analyses toxicologiques », souffle-t-elle.
Droguée à son insu par son mari, sa mère présentait de nombreux symptômes comme des trous noirs, des insomnies ou la perte de ses cheveux. Dans l’espoir de trouver une solution à ces symptômes, elle s’est tournée vers le corps médical. Durant cette décennie de violences sexuelles camouflées par la drogue, elle a consulté plusieurs généralistes, trois neurologues mais aussi son gynécologue. Aucun de ces soignants n’a pensé à une soumission chimique. « Les professionnels de santé ne sont absolument pas formés à reconnaître ce type de cas dans leur patientèle », renchérit Caroline Darian qui espère que cette campagne nationale permettra de mettre en place une formation pour les soignants.
« On n’a jamais réussi à obtenir une recherche toxicologique »
C’est la première étape car « si vous ne savez pas que vous êtes sous soumission chimique, vous n’allez pas voir la police », souligne Ghada Hatem-Ganzer. Mais « il faut mettre en place des actions ciblées pour que les policiers aussi soient habilités à comprendre et considérer que, potentiellement, il peut y avoir une soumission chimique », assure Caroline Darian, ajoutant qu’il est urgent que « toutes les parties prenantes soient sensibilisées ». Une idée qui séduit Emmanuelle Piet qui regrette que « les professionnels soient très loin de penser à ça ».
La présidente du Collectif féministe contre le viol se souvient d’ailleurs d’une affaire où une « fille avalait un liquide amer le soir et se réveillait sans aucun souvenir le lendemain matin, dans le lit de son père ». « On n’a jamais réussi à obtenir que la police ou le tribunal fasse une recherche toxicologique », regrette-t-elle, ajoutant que « ça devrait pourtant faire partie de l’arsenal policier et judiciaire ». Dans son association, qui reçoit des appels de victimes mais les accompagne aussi parfois jusqu’au procès, « nous avons très peu de cas de soumission chimique », précise-t-elle toutefois. Avant d’ajouter : « Mais à partir du moment où on commence à en parler, il est possible qu’on ait bien plus à présent. »
Si vous êtes victime, vous pouvez contacter des dispositifs d’écoute anonymes et gratuits :
- France Victime : 116 006 (tous les jours, 24h/24)
- Viols Femmes Info : 0 800 05 95 95 (du lundi au vendredi de 10 à 19 heures)