Guerre en Ukraine : A Saint-Malo, le désespoir des marins russes bloqués sur un cargo immobilisé depuis un an
Arrêt au port Victime du gel des avoirs russes, le « Vladimir Latyshev » n’a pas quitté le port malouin depuis une livraison de magnésie en mars 2022… Et personne ne sait quand il pourra repartir
- Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’Etat français a gelé des biens appartenant à la Russie, comme certains navires de commerce.
- A Saint-Malo, le cargo Vladimir Latyshev est immobilisé depuis un an, sans que l’on ne sache quand il pourra reprendre la mer.
- A bord, une dizaine de marins est régulièrement renouvelée par l’armateur, qui s’acquitte de ses factures. Mais pour combien de temps ?
Il n’a pas quitté son bassin depuis un an et le début de l’offensive russe en Ukraine. Posé sur les eaux calmes du port de Saint-Malo, le Vladimir Latyshev est une victime collatérale du conflit armé qui oppose les deux pays depuis le 24 février 2022. Depuis un an et son arrivée en Bretagne, le cargo russe de 141 mètres de long est bloqué là, en raison du gel des avoirs russes décidé par la France. Quand pourra-t-il repartir ? Personne ne peut aujourd’hui le dire, ce qui suscite des inquiétudes pour l’avenir de ce bateau, mais aussi pour les marins russes qui occupent le navire fantôme depuis un an, assignés à résidence dans un pays qu’ils ne connaissent pas.
Sa longue carcasse bleu marine n’est pas très discrète. A Saint-Malo pourtant, on ne voit que très peu le Vladimir Latyshev. Amarré le long d’un quai de chargement de la Timac Agro, filiale du groupe Roullier, le navire russe est à l’abri des regards. Le grand public ne peut pas accéder au cargo et seuls les salariés de l’entreprise de nutrition animale peuvent s’en approcher. A bord du navire immobile, une petite dizaine de marins vit là, à plus de 3.000 kilomètres de Moscou. « Ils sont libres de leurs mouvements, ils peuvent sortir quand ils le veulent. La seule chose qu’on leur demande, c’est d’enfiler un gilet jaune quand ils traversent le site pour éviter les collisions avec nos engins », explique un salarié de la Timac.
Peu à l’aise en anglais, les marins russes ont peu d’échanges avec la population locale. Mais ils s’aventurent parfois jusqu’aux célèbres remparts de la cité corsaire. L’été dernier, ils allaient même régulièrement à la plage située à une dizaine de minutes à pied. « La situation était surtout compliquée au début. Ils ont appris l’invasion russe en arrivant au port. Ils voyaient des manifestations, ils avaient peur », témoigne Laure Tallonneau, inspectrice russophone de l’ITF (International transport workers' federation), une fédération internationale qui accompagne les gens de mer.
En France, elle est l’un des seuls contacts de ces marins assignés à résidence à cause d’un conflit qui les dépasse largement. « Il y a des relèves régulières mais ils restent en général quatre ou cinq mois. Être loin de chez eux, ils ont l’habitude, ce sont des marins. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas grand-chose à faire. Pour eux, il n’y a pas d’horizon, pas d’objectif. Il y a un peu de maintenance à bord mais comme le bateau ne navigue pas, ce n’est pas compliqué », poursuit Laure Tallonneau.
« Se faire plaisir »
Difficile pour eux d’aller « se faire plaisir » avec un salaire d’environ 500 euros par mois, dont une bonne partie est souvent envoyée au pays pour aider la famille. Il y a bien eu quelques conflits à bord, peut-être liés à la promiscuité et l’ennui. Mais dans l’ensemble, l’arrivée du navire russe n’a pas fait de vagues dans le port de la cité corsaire.
On les voit parfois partir en ville en marchant là. On n’a aucun problème avec eux
Le Vladimir Latyshev devait livrer de la magnésie à une autre filiale du groupe Roullier, ce qu’il a pu faire. Les bobines de cuivre, qu’il devait ensuite amener en Afrique du nord, ont été transbordées. Depuis, les cales du bateau sont vides et le cargo reste amarré à un quai que la Timac doit parfois utiliser pour l’export de marchandises. En un an, le navire a dû être bougé cinq à six fois. « La difficulté, c’est que la procédure de saisie du bateau est maîtrisée par les douanes. Nous n’avons aucune information. Nous sommes spectateurs. Nous n’avons aucune idée du temps que cela va durer », reconnaît Stéphane Perrin-Sarzier, vice-président de la région Bretagne, qui exploite le port. Saisie par l’armateur, la justice française pourrait statuer lors d’une audience en mai, mais rien ne le garantit.
L’armateur paye 7.000 euros par mois
Chaque mois, l’armateur russe doit tout de même s’acquitter de 7.000 euros de frais de port, et parfois de quelques achats annexes en carburant ou en matériel. « Ça a toujours été payé, on n’a aucune difficulté à recevoir les paiements », assure l’élu. L’armateur doit également payer l’équipage qui reste à bord du navire. La question qui se pose, c’est combien de temps le fera-t-il ? « Notre crainte, c’est que l’armateur abandonne le navire. Là, on se retrouvera avec une situation vraiment compliquée à traiter. Pour l’instant, il n’en est pas question car le bateau est en bon état, il a une valeur marchande. Mais pour combien de temps ? », s’interroge l’élu régional.
Laure Tallonneau s’inquiète quant à elle pour les marins. Que se passera-t-il si leur armateur se retire ? « Ils n’y sont pour rien dans ce conflit. On peut aussi s’interroger sur l’immobilisation du bateau. A quoi sert véritablement cette sanction ? La France est le seul pays à avoir bloqué les navires de commerce. Il faut qu’elle libère ce bateau », assure la membre de l’ITF. Pour l’heure, tous les courriers et demandes adressées à l’État français sont restés sans réponse. Ailleurs, des bateaux immobilisés ont déjà été « dégelés ». Mais pas le Vladimir Latyshev ni le Victor Andryukhin, qui est en carafe à Marseille. Il semblerait que ces deux navires appartiennent à un ministère russe. Mais dans la jungle du monde maritime, il est difficile de le vérifier. En attendant, l’escale s’éternise pour le commandant et ses marins.