Pourquoi les blackfaces ne sont pas condamnées par la justice ?
Racisme Des « blackfaces » dans le public ont gâché la victoire de l’équipe de basket de Roanne contre celle du Portel. Si la démarche de blancs grimés en noirs est généralement qualifiée de raciste, elle n’a jamais fait l’objet de condamnation pénale
- Samedi, lors d’un match de basket au Portel, dans le Nord, trois spectateurs se sont déguisés en « blackface ». Une attitide dénoncée sur Twitter par un joueur de l’équipe adverse.
- La ligue nationale de basket doit se prononcer, mercredi, sur d’éventuelles suites, voire des sanctions envers le club. Il y a peu de chances néanmoins qu’il y ait des conséquences judiciaires.
- Dans les faits, selon une avocate, il n’existe pas de jurisprudence de personne condamnée pour avoir fait un « blackface » en France.
Quand un blanc se peint le visage en noir et se déguise pour imiter un Africain, on appelle ça un « blackface ». A l’époque de l’esclavage, notamment aux Etats-Unis, les blancs pratiquaient le blackface pour diaboliser ou se moquer des noirs. Pas étonnant, donc, que cette pratique, qui existe aussi en France, passe pour du racisme même si ceux qui la pratiquent s’en défendent. Samedi, c’est un joueur de l’équipe de basket de Roanne qui s’est ému de la présence de trois blackfaces parmi les supporteurs de l’équipe adverse, le Portel, dans le Nord. Un événement dont s’est saisie la Ligue nationale de basket (LNB) en vue d’éventuelles sanctions. Sauf que l’histoire ne devrait pas aller plus loin, judiciairement parlant néanmoins.
Des affaires de blackfaces, il y en a eu beaucoup concernant des milieux très variés. Dans la police, au Kremlin-Bicêtre, en 2014, avec cette « soirée négros » où les participants étaient grimés en noirs et qui avait donné lieu à une enquête de l’IGPN sur dénonciation. Dans une entreprise privée, où des photos d’un couple de salariés, déguisés en Africains pendant une soirée privée, avaient fuité sur Internet. Au carnaval de Dunkerque, en 2018, lorsque le Cran (Conseil représentatif des associations noires) avait dénoncé la tenue de la « nuit des noirs ». Les suites ? Nulles. « C’est pour l’histoire des policiers que l’affaire est allée le plus loin juridiquement », se souvient Ghyslain Vedeux qui était président du Cran à l’époque.
« Une vision péjorative et humiliante des personnes noires »
Son association avait saisi le Défenseur des Droits, lequel avait mis trois ans pour rendre son avis. « Sans qu’il ait été nécessaire pour les policiers de connaître l’origine historique de cette pratique nommée ''Blackface aux Etats-Unis'', nul n’ignore que le fait de se grimer en noir renvoie à une vision péjorative et humiliante des personnes noires », avait écrit Jacques Toubon. Il recommandait ensuite « que des poursuites disciplinaires soient engagées » à l’encontre des policiers « pour avoir porté atteinte à leur devoir d’exemplarité et pour avoir manqué de discernement en publiant sur les réseaux sociaux des photographies à caractère raciste ». Un avis qui n’a jamais été suivi d’effet. « Aucun n’a été sanctionné, ni pénalement, ni disciplinairement, déplore Ghyslain Vedeux. La loi ne condamne pas cet acte raciste. »
Même cas de figure à Dunkerque, en 2018, pour la « nuit des noirs ». Saisi en référé par le Cran pour en interdire la tenue, le tribunal administratif de Lille avait rejeté la requête de l’association tout en reconnaissant le « caractère choquant » de la manifestation. « Il n’y a pas d’illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale à ne pas interdire cette soirée dès lors qu’elle s’inscrit dans le contexte burlesque général des festivités du carnaval de Dunkerque », avait argumenté le juge des référés, insistant sur le fait qu’il n’y avait pas de « justifications de risques de commission d’infractions à caractère racial ». L’argument du « carnaval » est aussi celui avancé par les trois spectateurs du Portel, grimés en blackface, samedi.
« On cherche d’autres moyens d’agir, comme la prévention »
« Il y a une différence fondamentale à faire entre ce que condamne le juridique et ce que condamne la morale », estime maître Odile Belinga, avocate et ancienne membre d’une task force contre le racisme au barreau de Lyon. Pour elle, « il n’y a pas lieu que la justice se saisisse de cela dès lors qu’il n’y a pas d’incitation à la haine raciale, comme c’est le cas des cris de singe lors de matchs de football ». Et, de fait, la justice ne condamne pas les blackfaces. « Il n’y a absolument aucune jurisprudence à ce sujet », confirme maître Françoise De Saint Sernin, avocate à Paris. Le Cran en a d’ailleurs fait les frais, en perdant systématiquement tous les procès intentés à ce sujet. « On cherche d’autres moyens d’agir, comme la prévention, l’éveil des consciences, puisque ça ne fonctionne pas pénalement », concède Ghyslain Vedeux.
« Pour moi, les blackfaces, c’est davantage de la connerie qu’une volonté raciste », avance maître Belinga. Elle trouve d’ailleurs qu’il est contreproductif d’amener cela devant un tribunal. « Le vrai racisme ne s’expose pas forcément au grand jour, c’est celui qui vous empêche de progresser dans la vie, insiste l’avocate. Engager et perdre des actions en justice pour des blackfaces peut même renforcer l’extrême droite qui y verra autant de petites victoires. »