Journée des droits des femmes : « Il y a une glamourisation du viol dans le choix du vocabulaire »
Violences sexuelles Les expressions qui entourent les violences sexuelles sont régulièrement questionnées par les associations féministes
- Ce mercredi 8 mars marque la Journée des droits des femmes alors qu’elles sont les premières victimes des violences sexuelles.
- Chaque année en France, 94.000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol.
- « Elle s’est fait violer », « elle a avoué son viol », etc. Le vocabulaire qui entoure les violences sexistes et sexuelles contribue à déguiser ou minimiser la réalité des faits.
Quand on évoque les viols, c’est souvent sous le prisme des chiffres. 94.000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol chaque année en France. Près de trois viols sont commis toutes les heures. Seules 12 % des victimes portent plainte. Moins d’un tiers des affaires de violences sexuelles font l’objet de poursuites. Une litanie de statistiques qui tentent de montrer l’ampleur d’un phénomène souvent assimilé à un drame ponctuel. Mais qu’en est-il des mots ? De ces expressions, ces constructions, ces structures que l’on utilise sans y penser pour évoquer les violences sexuelles ?
« Elle s’est fait violer », « elle a avoué son viol », « le violeur des parkings », « elle a confessé son agression sexuelle », etc. Les expressions qui entourent les violences sexuelles sont régulièrement questionnées par les associations féministes. « Dire "se faire violer", c’est ajouter au crime car dans l’expression "se faire violer", il y a presque l’idée de participation, de connivence, d’intention », décrypte la linguiste Véronique Perry. Si « elle se fait un café », c’est en effet « elle » qui « fait » l’action.
Il « m’a dit : "vous avez avoué votre viol." Mais moi, je n’ai rien à cacher »
Giulia Foïs, journaliste, a écrit le livre Je suis une sur deux sur le viol qu’elle a subi. Dans son parcours « vers l’après », les « mots [l]'ont sauvée », explique-t-elle. Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif féministe contre le viol, l’a aidée dans ce chemin en lui permettant de « poser les bons mots ». « Elle m’a dit : "tu ne t’es pas fait violer, tu n’y es pour rien. Tu as été violée." Cette phrase-là m’a enlevé un poids de dix tonnes », se souvient-elle.
Cette formulation « permet d’inverser la responsabilité alors que le responsable, c’est le violeur », abonde Emmanuelle Piet qui ajoute que c’est un mécanisme « assez spécifique au viol ». En s’exprimant publiquement sur le viol qu’elle a subi, Giulia Foïs, a été particulièrement exposée à ce vocabulaire. « Un jour, un journaliste m’a dit : "Giulia, vous avez décidé d’avouer votre viol." Mais moi, je n’ai rien à avouer. Je n’ai rien fait. Je n’ai rien à cacher », se souvient la journaliste. Parler de confession ou d’aveu dans un tel contexte, « c’est sous-entendre qu’avoir été violée est un stigmate éternel », note Véronique Perry. La linguiste ajoute que ces termes sont « toujours en lien avec une stigmatisation », comme dans l’expression tout aussi impropre « avouer son homosexualité ». « Il faut arrêter de rendre les femmes partiellement responsables. Quoi qu’on ait fait, on n’est jamais responsable d’avoir été violée », rappelle Emmanuelle Piet.
La « banalisation du mal »
Au-delà de l’inversion de la culpabilité, le vocabulaire des violences sexuelles masque aussi souvent les faits. Dans les médias, certaines affaires sont affublées de surnoms comme le « procès des tournantes », qui évoquait des viols en réunions sur deux jeunes filles mineures, ou le « violeur des parkings », qui désignait un homme qui a commis au moins dix-huit viols. « On parle de "tournante" mais ce n’est pas un jeu [au ping-pong, on parle d’une tournante quand plusieurs joueurs s’échangent des balles en courant autour de la table], c’est un viol en réunion. On parle de "violeur du parking", mais ce n’est pas des parkings qu’il viole », s’agace Emmanuelle Piet qui ajoute que le Collectif féministe contre le viol travaille sur le vocabulaire qui entoure les violences sexuelles et a énoncé des recommandations dès 1986.
« Cette banalisation du vocabulaire, c’est toute une banalisation du mal, comme le disait Hannah Arendt [une philosophe américaine] », analyse la linguiste Véronique Perry. « Ces mots ont de l’importance parce que minimiser le crime ou camoufler les victimes, ça aboutit toujours à la même chose : protéger les agresseurs », estime Emmanuelle Piet. Pour la présidente du Collectif féministe contre le viol, utiliser des mots comme « auteur » plutôt qu'« agresseur » ou « pédophile » plutôt que « violeur d’enfants » minimise les faits. « Il y a une glamourisation du viol à tous les niveaux dans le choix du vocabulaire » mais aussi dans la culture comme « les films ou les publicités », dénonce Giulia Foïs. C’est ce qu’on appelle la culture du viol.
La femme, cet « objet »
« Chaque mot est un préjugé », écrivait le philosophe Friedrich Nietzsche. Et la « glamourisation du viol » se tapit déjà dans le vocabulaire du sexe. On dit « tirer un coup », « se taper une femme », « défoncer une femme ». Des expressions qui s’alimentent du vocabulaire militaire. Un vocabulaire violent, guerrier. Un vocabulaire de conquête. Dans ce vocable, la femme n’est jamais le sujet. Ce n’est (presque) jamais elle qui « prend » l’autre, qui « baise » l’autre, qui « fait » l’action. Comme si, dans la sexualité hétéronormée, la femme n’était qu’un objet qu’on possède. On « se fait une femme », comme on « se fait un McDo ». Et c’est bien une question de genre. Car si les hommes sont parfois aussi violés, c’est dans des proportions infiniment moins importantes que les femmes et les violeurs sont à 98 % des hommes. « Dans ces mots-là, il y a déjà une forme de légitimation du viol », dénonce la linguiste Véronique Perry. La sexualité et le viol n’ont évidemment rien de commun. Il est question de violence. Mais dans le cadre d’un viol, « le lieu du crime et l’arme du crime, c’est le sexe », souligne Giulia Foïs. Et le viol est un crime qui dépossède les victimes.
« De sujet, on devient objet. Il faut accepter qu’on a été réduite à l’état d’objet », explique la journaliste. Or, dans le vocabulaire sexuel courant, la femme est déjà réduite, verbalement, à l’état d’objet. Et c’est très ancré dans les rituels sociaux. « Aux Etats-Unis, on parle de "date rape", c’est une ritualisation consumériste : je te paye le restaurant donc tu couches avec moi. C’est un contrat tacite qui pousse les femmes à céder », illustre Véronique Perry. « Les femmes ne sont qu’objets, c’est la culture du viol », synthétise Emmanuel Piet. Débattre des bons mots, de la bonne terminologie, de la juste verbalisation de ces violences sexuelles est souvent perçu comme un sujet secondaire.
Parfois même risible. « On trouvera toujours des gens pour dire que l’on se trompe de combat », souligne Giulia Foïs. « Mais tant qu’on dira "elle s’est fait violer", on confortera l’inconscient collectif dans l’idée qu’elle est en partie coupable. Il faut qu’on fasse très attention aux mots que l’on emploie pour enfin arriver à une juste représentation. Le viol est une violence et une violence de masse. Et avec 0,6 % de condamnations, la lutte se mène à tous les étages », conclut l’autrice de Je suis une sur deux.