« On avait frôlé la guerre de l’eau »… En Provence, une ressource aux multiples usages sous tension

SécHERESSE La Durance et ses affluents venus des Alpes représentent 75 % de l’eau disponible en Paca. Une ressource partagée entre des multiples usages qui, en période de sécheresse, peut générer des tensions

Alexandre Vella
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Le Verdon est le principal affluent de la Durance. Les eaux de ce système « Verdon-Durance » sont essentielles à de multiples usages en Provence.
Le Verdon est le principal affluent de la Durance. Les eaux de ce système « Verdon-Durance » sont essentielles à de multiples usages en Provence. — Mario FOURMY
  • Plutôt abondante grâce à la rivière Durance qui descend des Alpes, l’eau en Provence a fait l’objet d’importants aménagements pour la répartir sur toute la région.
  • Tourisme, hydroélectricité, agriculture, eau potable, l’eau de la Durance qui représente 75 % de la ressource de la région, a des usages multiples.
  • Les sécheresses génèrent des tensions sur son usage et obligent à une nouvelle gestion.

Elle représente près de trois quarts de l’eau douce disponible en région Paca. La Durance et son principal affluent le Verdon, deux rivières prenant leurs sources dans les Alpes sont indispensables à la Provence. Ses eaux domestiquées parcourent près de 5.000 kilomètres de canaux qui irriguent plus de 170.000 hectares de cultures (sur les 581.000 utilisées, fourrage compris), des Alpes-de-Haute-Provence, du Var, des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse et coulent des robinets de trois des cinq millions d’habitants de la région, dont les villes d’Aix et Marseille.

L’été, des milliers de touristes profitent des activités qu’offrent ses lacs artificiels de moyenne altitude dont les aménagements d’EDF, édifiés à partir des années 1950, permettent de mobiliser une puissance hydroélectrique équivalente à deux tranches de centrale nucléaire. C’est dire l’importance souvent méconnue du « système Verdon-Durance » pour les activités humaines en Paca.

Un système qui « touche du doigt le changement climatique », observe Franck Belloti, directeur adjoint d’EDF hydroméditerranée. Sur ces rivières, EDF exploite 23 usines hydroélectriques et 16 barrages, dont trois géants, ceux de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), Sainte-Croix et Castillon (Alpes-de-Haute-Provence), stockent pour près de 2,3 milliards de mètres cubes d’eau. Des châteaux d’eau aux volumes tels qu’on les penserait inépuisable.

Mais les niveaux historiquement bas atteints l’été dernier sous l’effet d’une sécheresse intense se sont chargés de rappeler la précarité de cet équilibre. Avec pour conséquence une chute des capacités de production hydroélectrique. « En 2022, nous avons produit seulement 40 % de nos rendements habituels », illustre Franck Belloti. Des rendements qui d’ordinaire contribuent à hauteur de 35 % de la production électrique de la région Paca.

En 2022, la guerre de l’eau évitée de justesse

Et l’année 2023, frappée pour l’heure par une sécheresse hivernale tout aussi historique, semble partie sous les mêmes auspices même si les pluies de cet automne ont rechargé les retenues. Une ressource bienvenue qui a permis de faire face aux pics de consommation électrique de janvier. « En janvier, nous avons beaucoup produit. Environ 700 gigawatts heures, soit la consommation de 3,2 millions d’habitants. L’hydroélectrique est la seule énergie stockable. Son rôle est d’équilibrer le réseau et d’intervenir sur les périodes de pointe, le matin et le soir. En douze minutes, nous ouvrons les vannes et pouvons mettre sur le réseau l’équivalent de deux tranches nucléaires », explique-t-il.

L’heure est à présent, déjà, aux remplissages des retenues afin de ne pas revivre le même conflit de l’an dernier autour des usages de l’eau. « On avait frôlé de peu la guerre de l’eau », rappelle Christian Doddoli, directeur général du SMAVD, (Syndicat mixte d’aménagement de la vallée de la Durance) établissement public en charge de coordonner le partage des usages de l’eau. « Les gens du haut disaient c’est notre eau ! Ceux du bas disaient y avoir le droit. On a joué les casques bleus », résume Christian Doddoli.

Les acteurs du tourisme autour des lacs de Sainte-Croix et Serre-Ponçon avaient en effet fortement pâti des niveaux bas de ces retenues et les agriculteurs avaient été contraints de diminuer leur prélèvement de 25 % à 60 %, comme pour ceux de la vallée du Buëch, un affluent de la Durance. Avec des conséquences économiques très importantes pour ces deux secteurs d’activités capitales. Pour s’éviter cela cette année, un comité de suivi de la sécheresse, rassemblant les autorités publiques ainsi que les différents acteurs, a prévu de se réunir dès le 15 mars. Cela alors que la moitié des communes du Var sont déjà en alerte sécheresse et le département des Bouches-du-Rhône en « vigilance ».

Pour autant, « la situation sur le système Verdon-Durance est aujourd’hui moins difficile que l’an dernier » évalue-t-il. « L’enneigement des Alpes du Sud, dont la fonte alimente le lac de Serre-Ponçon, est supérieur de 50 % à celui de l’an dernier, même s’il reste inférieur de 20 % à la moyenne », illustre-t-il. « Mais, sans précipitations normales, on préconise de ne plus produire d’électricité d’ici à l’été » explique-t-il en s’appuyant sur des outils de modélisation.

L’enjeu dès lors est d’économiser la ressource afin d’en concilier tous les usages. Et avec un scénario façon 2022 appelé à devenir, si ce n’est la norme, de plus en plus fréquent se pose également la question de la modernisation d’outils qui datent du milieu du siècle dernier. « On estime qu’il y a près de 200 millions de mètres cubes d’eau de perdue dans les fuites des différents canaux », avance Christian Doddoli. Un « gaspillage » équivalent à 8 mètres de hauteur du lac de Serre-Ponçon.

Reste que ces aménagements ont permis de contenir le manque d’eau. « Les anciens avaient vu grand. Ces grandes retenues sont aussi une parade à ces changements climatiques et offrent une grande résilience. Elles mettent à l’abri les agriculteurs et les communes de pénuries d’eau », estime Franck Belloti. « Sans barrage, la Durance aurait été à sec à l’été 2022. C’est pour ça qu’ils ont été conçus aussi à l’origine, pas tant pour éviter ses crues qui ont pu être dévastatrices par le passé. Et sans ces aménagements, la vie ici ne serait pas la même », conclut Christian Doddoli. Il va juste falloir s’habituer à faire avec moins, pour que tout le monde puisse continuer à tirer profit de cette rivière emblématique et vitale en Provence.