Accident de Pierre Palmade : Y a-t-il un juste prix pour indemniser les préjudices des victimes de la route ?
Justice Amputation, paralysie, décès d’un enfant… Autant de drames ouvrant la voie à une indemnisation pour les victimes d’accidents de la route. Que cela se règle devant un juge ou par un accord amiable, comment chiffrer l’inestimable ?
- Dans l’accident de la route impliquant Pierre Palmade, une femme enceinte a perdu le bébé qu’elle portait.
- Se pose alors la question de comment sont indemnisées les personnes victimes d’accidents corporels.
- Deux avocats spécialisés expliquent à 20 Minutes les rouages de procédures très techniques pour chiffrer les préjudices.
Comment estimer l’inestimable ? Chaque drame de la route recèle son lot de souffrances, inscrites aussi bien dans la chair que dans l’âme des victimes. Des vies brisées, des membres amputés, des proches décédés, des traumatismes psychiques qui ne s’éteindront parfois qu’avec le dernier souffle de ceux qui les supportent. Et pourtant, tout cela, il faudra un jour le chiffrer en euros. Un exercice périlleux, objet de tractations de marchands de tapis entre assureurs et avocats. Au regard de l’accident causé par l’humoriste Pierre Palmade, 20 Minutes a interrogé deux spécialistes en droit routier et indemnisation des victimes.
Il n’existe pas, à proprement parler, de barème d’indemnisation des victimes d’accidents de la route qui chiffrerait la perte d’un membre à tant, une paralysie à tant, la mort à tant. Pour autant, il existe tout de même « un guide pour chiffrer les préjudices en fonction de différents postes, comme les souffrances physiques, psychiques, la perte de gain ou le préjudice sexuel », explique maître Antoine Regley, avocat des victimes de la route à Lille. Par exemple, selon ce guide donné à titre indicatif par l’association Aide indemnisation victimes, un préjudice esthétique peut être chiffré entre 1.500 et plus de 30.000 euros. Un préjudice sexuel à 15.000 euros. Le décès d’un conjoint ou d’un enfant, entre 20.000 et 30.000 euros.
« Les assurances tentent de s’en sortir à moindre coût »
Pour maître Sandra Bellier, avocate en droit routier à Lyon, « le principe est celui de la réparation intégrale des préjudices en droit français », même si, « à l’amiable, les assurances essayent toujours de s’en sortir à moindre coût si le dossier n’est pas bâti correctement ». « Il faut se méfier des offres des compagnies d’assurances dont les sommes peuvent sembler importantes pour des profanes mais qui n’assurent pas en réalité une juste indemnisation des préjudices subis », assure-t-elle. « On peut aussi tenter d’imputer aux victimes une part de responsabilité qui fait baisser le montant de l’indemnisation », ajoute maître Regley. Il a eu le cas pour un de ses clients, un cycliste fauché par une voiture qui a été amputé des deux jambes. « La partie adverse a tenté de faire jouer le fait qu’il avait de l’alcool dans le sang alors que c’est tout à fait illégal », s’emporte-t-il. Et si ce dossier n’est pas clos, le cycliste a néanmoins déjà empoché 550.000 euros d’indemnisation provisionnelle.
Le fait que rien ne soit écrit rend chaque dossier unique et peut aboutir à des indemnisations très inégales. « On chiffre l’indemnisation en fonction de l’impact de l’accident sur la vie de la victime », poursuit maître Bellier. C’est le cas d’une de ses clientes, violoncelliste de très haut niveau, qui a perdu l’usage d’un bras et, par conséquent, ne pourra plus exercer son métier. « Son préjudice ne sera pas le même que quelqu’un qui n’utilise pas son bras de manière intense dans son travail », estime l’avocate, dont certains de ses clients ont été indemnisés à hauteur de plus d’un million d’euros.
28.000 euros pour la perte de son fils
Encore plus difficile à déterminer que le préjudice corporel, il y a le préjudice moral. C’est dans cette catégorie qu’entre, notamment, la perte d’un proche, d’un conjoint ou d’un enfant. Pour la mort de son fils de 22 ans dans un accident de la route, une cliente de maître Regley a touché un chèque de 28.000 euros. « C’est comme lui jeter des pièces jaunes au visage, s’insurge-t-il. Quel est le prix pour la perte de l’être le plus cher ? », questionne l’avocat. Qu’en est-il pour une victime d’accident qui perd le bébé dont elle est enceinte comme c’est le cas dans le drame impliquant Pierre Palmade ? « Il y a de la jurisprudence qui reconnaît, dans certains cas, le préjudice moral des parents lorsqu’un enfant à naître décède dans un accident », affirme maître Bellier. Sauf que cela reste assez rare et qu’il s’agissait de cas de grossesses bien avancées. Se pose la question de savoir quand commence la vie. « Cela devrait se décanter avec le temps et les lois bioéthiques qui distinguent l’embryon et l’enfant à naître. Une distinction qui apparaît plus juste que celle d’enfant ''viable ou non'' », précise-t-elle.
En l’état actuel du droit, on n’en est pas encore là. « Pour ce cas, il faudra attendre le résultat de l’autopsie de l’enfant et savoir s’il a respiré ou pas. Cela déterminera si la mère peut prétendre à l’indemnisation prévue pour les proches de personnes victimes d’homicide involontaire », explique Antoine Regley. Si le fœtus n’était pas considéré comme viable, « la mère n’aura droit qu’à son propre préjudice psychologique », ajoute-t-il. Pourtant, la différence ne se jouera qu’à quelques dizaines de milliers d’euros. « Quand on file 25.000 euros à une mère qui perd son enfant, de qui se moque-t-on ? », et « même si aucune somme ne ramène l’enfant qu’on perd, une somme à 6 chiffres est une sorte de reconnaissance de la douleur des parents », insiste l’avocat lillois.