Train Lyon-Bordeaux : Le pari de Railcoop est-il trop grand ?
TCHOUTCHOU Lancée il y a trois ans, la coopérative Railcoop rêve de relancer la ligne de train Lyon-Bordeaux, mais fait face à de nombreuses difficultés qui retardent la mise en service pour les voyageurs
- Railcoop est une coopérative qui s’est lancée sur le marché ferroviaire grâce à l’ouverture à la concurrence, avec comme projet de relancer la ligne de train Lyon-Bordeaux, abandonnée en 2014.
- La société vient de décaler une nouvelle fois le lancement de son service voyageur à juin 2024.
- Certaines personnes jugent « utopique » ce projet et ne croient pas vraiment à sa réalisation, ce à quoi la directrice générale adjointe répond « qu’en trois ans, beaucoup d’étapes ont déjà été franchies ».
« Tous les voyants sont au vert pour la ligne Lyon-Bordeaux ! », a tweeté fièrement Grégory Doucet, le maire de Lyon. Le 15 décembre, le conseil municipal a voté l’entrée au capital de la société de coopérative Railcoop en investissant 20.000 euros dans le projet. Un mois plus tard, la métropole suivait le pas en mettant 80.000 euros.
Ces collectivités rejoignent les « pratiquement 14.000 » sociétaires de cette SCIC dont beaucoup de communes se trouvent sur le tracé Lyon-Bordeaux. Depuis trois ans, Railcoop a fait le pari de réhabilitater ces lignes de train interrégionales délaissées par la SNCF depuis 2014, faute de moyens donnés par l’Etat. Après avoir annoncé un lancement pour les voyageurs à l’été 2022, puis décembre 2022, Railcoop vient de décaler à nouveau la mise en service pour juin 2024. À condition de réunir 4,1 millions d’euros d’ici là. Les voyants sont-ils tous réellement au vert ?
Rendre des comptes aux sociétaires
« Je ne recommanderai pas de se lancer dans l’aventure », tranche Sébastien*. Depuis deux ans, il s’intéresse grandement au sujet Railcoop, étant lui-même dans le ferroviaire depuis 22 ans. « C’est un pari très risqué, poursuit-il. L’entreprise est déficitaire et ça ne risque pas de s’arranger face à tout ce qu’il reste à faire ». Il illustre : « Le sociétaire qui avait mis 100 euros il y a trois ans n’a plus que 62,97 euros aujourd’hui. A l’échelle d’une collectivité qui a investi des dizaines de milliers d’euros et qui doit rendre des comptes à ses administrés, ça commence à faire beaucoup de pertes et long pour avoir des résultats. »
Ces collectivités sociétaires ont d’ailleurs demandé à Railcoop une livraison « bout en bout » en priorité, d’où ce changement de stratégie et l’annonce d’une version « frugale » pour juin 2024, qui sera discutée en assemblée générale le 22 février. Aujourd’hui, il est question de livrer seulement un aller un jour avec un retour le jour suivant en se concentrant sur Lyon-Bordeaux. L’ambition à l’origine est deux allers-retours par jour pour cette ligne et celle de Limoges-Lyon ainsi qu’un aller simple Montluçon-Lyon. Un projet qui s’élève alors à 42 millions d’euros.
Railcoop tend vers le « Railflop » ?
Pour Sébastien, cette annonce signifie qu’il n’y « aura pas de transformation des rames » vu le budget escompté. « L’idée est louable mais est-ce qu’elle se fera au détriment de la révision de ces trains diesel, qui coûte très cher ? », s’interroge-t-il. Celui qui est devenu « expert » à force d’éplucher le sujet met surtout en avant les paradoxes entre « les promesses et la réalité ».
C’est aussi le cas de Laurent*, conducteur de train depuis 20 ans. Connaisseur des aspects techniques, il juge « utopique » ce projet. Il craint que le matériel acquis - les rames TER cédées par la région Auvergne-Rhône-Alpes - soit « le pire qu’il puisse y avoir ». « Je me demande si le train pourra faire tout le trajet sans perdre un moteur », lance le conducteur. Avant d’ajouter : « C’était une bonne idée à la base mais il faut des techniciens et de l’argent pour réaliser un projet d’une telle envergure ».
« Rien qu’une rame, c’est 10 millions d’euros et très peu de matériel existe dans le marché de location. Pour le ticket d’entrée sur le réseau, c’est un million de plus. Sans compter la maintenance rigoureuse des machines », énumère-t-il avant de rebaptiser Railcoop en « Railflop ».
Une entreprise qui a déjà fait « beaucoup en trois ans »
Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de Railcoop, reconnaît sans mal « un excès d’optimisme ». « On a sous-évalué les difficultés telles que l’accès au réseau, au matériel roulant et le financement, développe-t-elle. On a aussi sous-estimé la frilosité des banques à s’engager. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on a décidé de proposer un service incomplet dès 2024, pour arrêter d’attendre et essayer de se débrouiller avec nos petits moyens. »
Elle sait qu’il existe « un risque » de ne « pas y arriver ». « Dès le début, on nous a dit qu’on était des rêveurs, poursuit-elle. Oui, c’est difficile. Oui, c’est ambitieux, donc risqué, mais on a déjà franchi beaucoup d’étapes. » Elle cite : « En trois ans, on est devenu une entreprise ferroviaire, c’est-à-dire qu’on a obtenu un certificat de sécurité, on a embauché des conducteurs, on a acheté deux rames de trains voyageurs et on fait rouler des trains de marchandises. Ça ne va pas aussi vite que ce qu’on avait imaginé mais on a des perspectives intéressantes pour 2023. Plus on avance, plus on sécurise notre ambition, plus on a des soutiens et plus on crédibilise le projet. »
La directrice générale adjointe prend en exemple Enercoop, une coopérative qui s’est montée à l’ouverture du marché de l’énergie et a proposé de l’énergie renouvelable. « C’est possible d’y arriver. C’est du concret et ce le sera aussi pour nous », assure-t-elle.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.