Pénurie des enseignants : Un « CDD » de très longue durée pour les contractuels, une bonne solution ?

EDUCATION Alors que le métier connaît une crise d’attractivité forte, la Cour des comptes propose, dans un rapport publié ce mercredi, un nouveau mode de recrutement des enseignants

Delphine Bancaud
 Plus de 4.000 postes d’enseignants sur un total de 27.332 n’ont pas été pourvus lors des concours 2022.
Plus de 4.000 postes d’enseignants sur un total de 27.332 n’ont pas été pourvus lors des concours 2022. — Canva
  • La crise du recrutement des enseignants fait rage, les académies de Créteil et Versailles étant les plus touchées.
  • Dans son dernier rapport paru ce mercredi, la Cour des comptes préconise que les rectorats puissent recruter des enseignants via un contrat de longue durée (trois à cinq ans) dans les académies en difficultés et les disciplines en tension.
  • Une idée qui rebute les syndicats de profs, qui y voit un affaiblissement du statut de fonctionnaire et une fausse solution à un vrai problème.

On n’a pas encore tout essayé pour endiguer la crise du recrutement des enseignants. C’est ce que croit la Cour des comptes, qui publie ce mercredi un rapport sur le sujet. Car les chiffres sont tenaces. En juillet dernier, le ministère de l’Education nationale annonçait que plus de 4.000 postes d’enseignants, sur un total de 27.332, n’avaient pas été pourvus lors des concours 2022. Les deux plus grandes académies (Créteil et Versailles) connaissent des tensions majeures, surtout dans le second degré et dans une moindre mesure dans le premier. Et au niveau national, certaines disciplines sont particulièrement touchées par la désaffection des candidats (maths, allemand, lettres…)

Une situation qui a obligé la Rue de Grenelle à recruter 4.500 nouveaux contractuels à la dernière rentrée. En septembre, sur France Info, le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, dénombrait au total 35.000 contractuels, représentant « 1 % des effectifs dans le premier degré et 6,5 à 8 % des effectifs dans le second degré ».

« Un recrutement direct sur diplôme et entretien »

Cette difficulté croissante de recrutement, la Cour des comptes l’attribue à une perte d’attractivité du métier. Raisons évoquées par les Sages : « La baisse du nombre d’étudiants dans certaines filières universitaires, (…) la dégradation de l’image du métier enseignant, ses conditions d’exercice et sa rémunération. » Pas question de baisser les bras pour autant. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, propose donc d’expérimenter une nouvelle voie de recrutement au métier d’enseignant dans les académies en difficultés et dans les disciplines les plus en tension.

Celle-ci prendrait la forme « d’un recrutement direct sur diplôme et entretien, en contrepartie d’une affectation sur un poste précis avec l’engagement de rester sur la durée du contrat (de trois à cinq ans). Il s’agit d’un contrat à moyen terme », précise-t-il. Une idée qui fait bondir Sophie Vénétitay, la secrétaire générale du Snes-FSU : « Cette proposition installe le recours aux contractuels comme une "solution" pérenne pour faire face à la crise de recrutement de nos métiers. » Pour Stéphane Crochet aussi, cette proposition des Sages est un pis-aller : « Ces mesures ciblées à l’échelle de l’école ou de l’établissement pour s’éviter des réponses globales, et donc coûteuses, seraient inefficaces et dangereuses : elles ne feraient qu’accroître l’illisibilité des voies de recrutement et des rémunérations », déclare le secrétaire général du SE-Unsa.

« Attirer d’autres publics vers le métier d’enseignant »

Dans le détail, ce serait à chaque rectorat de sélectionner ces candidats, qui seraient recrutés au niveau master. L’idée étant de cibler en premier les étudiants des masters Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) ne souhaitant pas passer le concours. Et de faire appel aussi aux « étudiants en seconde année de master » dans d’autres disciplines et aux « personnes en reconversion professionnelle ». Les nouvelles recrues bénéficieraient « d’un complément de formation de 10 à 20 jours », aurait droit à un tuteur, à « un suivi plus personnalisé par des corps d’inspection », voire à une décharge partielle d’activité (moins de cours à donner) la première année.

A l’issue de ce « super » contrat, l’enseignant pourrait demander un contrat à durée indéterminée (CDI) ou opter pour une autre carrière. Selon Pierre Moscovici, cette nouvelle voie de recrutement « permettrait d’attirer d’autres publics vers le métier d’enseignant ». Ce dont doute Sophie Vénétitay : « La presse se fait largement l’écho de la précarité des contractuels : retard de paiement, rupture de contrats… »

Les avantages pour les principaux concernés

Pour justifier leur proposition, les Sages avancent moult démonstrations. « De plus en plus d’étudiants choisissent d’être contractuels, surtout dans le second degré », écrivent-ils, assurant que la nouvelle génération « n’envisage pas une carrière complète d’enseignant ». Un argument que Sophie Vénétitay juge un peu facile : « Certains "jeunes" collègues ne se projettent pas forcément sur une carrière entière dans l’Education nationale, mais plutôt que de passer par la contractualisation, il faudrait développer les passerelles entre les métiers existants », estime-t-elle.



Selon Nacer Meddah, le président de la troisième chambre de la Cour des comptes, ce dispositif permettrait « une stabilité d’affectation » aux contractuels, alors qu’à l’heure actuelle, ils sont recrutés pour un an. Et même s’ils rempilent, ils n’ont aucune assurance d’être affectés dans le même établissement.

Vers une remise en question du statut de fonctionnaire ?

Une chose est sûre : cette idée des Sages va d’autant plus faire parler que le 24 janvier, Pap Ndiaye a évoqué à l’Assemblée Nationale une nouvelle piste de « recrutement d’élèves professeurs qui seraient titularisés au bout de cinq ans » et qui concernerait uniquement le premier degré. « C’est une hypothèse sur laquelle nous travaillons », a-t-il ajouté.

Ce qui laisse craindre à Sophie Vénétitay un affaiblissement progressif du statut de fonctionnaire. « On sent la volonté politique qu’il y a derrière. Emmanuel Macron n’a jamais caché son hostilité au statut qu’il considère comme incompatible avec l’esprit "start up nation" de flexibilité ».