Grève du 31 janvier: « Borne to be a lie », « A 64 on va caner », des chansons et slogans plus inventifs en manif

Réforme des retraites Le projet de loi du gouvernement sur les retraites a inspiré nombre de manifestants, dans tous les cortèges de France

G.N avec tous les bureaux région de 20 Minutes
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A Lille, on a le sens de l'autodérision.
A Lille, on a le sens de l'autodérision. — G. Dirand
  • Au-delà du nombre de présents, la qualité d’une manifestation se juge par ses slogans et chansons.
  • Il y a les classiques, entendus partout et tout le temps, mais il y a aussi les humoristiques et les parodiques.
  • 20 Minutes a fait le tour des cortèges de France et de Navarre pour dénicher les pépites de la manifestation du 31 janvier contre le projet de réforme des retraites.

Que serait une manif sans slogans ni chansons ? Une marche blanche. Et même si certains accusent Emmanuel Macron d’enterrer le système de retraites avec sa réforme, les chansons et slogans étaient bien présents dans les cortèges, partout en France. Petit tour d’horizon de ce qui a été repéré par les journalistes de 20 Minutes pour le deuxième jour de manifestation mardi 31 janvier.

Les indémodables

Ce sont les slogans ou chansons qu’on retrouve à quasi toutes les manifs. A Paris, on a ainsi pu entendre « Macron, Macron, ta réforme on n’en veut pas ! Aucu, Aucu, aucune hésitation, non non non ! » A Rennes, on signale le très classique : « On est là ! Même si Macron ne veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, même si Macron ne veut pas, nous on est là ».


Nathalie et son bob rouge.
Nathalie et son bob rouge. - G. Novello

Certains slogans sont adaptés en fonction des circonstances et prolongent leur durée de vie. C’est le cas du « La retraite, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder », chanté par Nathalie, micro en main et bob rouge sur la tête. Cette soignante à l’AP-HP et syndiquée CGT est la voix de la section « Santé Action sociale » depuis les grandes manifestations de 1995. « C’était un slogan qu’on avait utilisé pour la défense de la sécu et on l’a réarrangé en fonction de nos revendications », explique-t-elle.


Les jeux de mots

Les manifestants sont particulièrement inventifs, dès qu’il s’agit de mêler humour et politique. A Lille et Rennes, on a vu un « Tu me mets 64, je te re-mai 68 ». A Strasbourg, on a le choix entre, « on ne battra pas en retraite », « taxez les caca-rentes » ou, plus trivial, « baisez vos morts, pas nos retraites ». « On ne peut réagir que par le prisme de l’humour face à cette absurdité gouvernementale », explique Alex, dans le cortège toulousain. Le jeune homme qui a déjà participé à des mobilisations contre les retraites mais aussi pour le climat brandit une pancarte : « 64 ans ? Je ne suis pas Dalida, j’veux pas mourir sur scène ! »


Alex et son hommage à Dalida.
Alex et son hommage à Dalida. - B. Colin

Dans la Ville rose, dans la grande tradition des Chevaliers du Fiel, on a été particulièrement inventifs, avec dans le désordre : « Au royaume des aveugles, les « Borne » sont rois », « L’eau bout à 100°C le peuple à 49.3 », « L’injustice sociale nuit gravement à la santé », « Réforme Macron, retraités en caleçon ». Enfin à Rennes, on sent que le Dry January a du mal à prendre comme en témoignent ces pancartes dans le cortège :  » Tout travail mérite salaire, sa bière et sa retraite », « Travailler de 16/64 ans : mise en bière prématurée » ou encore « Moins de police, plus de 8.6 ».


De l'humour éthylisé du côté de Rennes.
De l'humour éthylisé du côté de Rennes. - J. Gicquel

Les slogans régionaux

Certains slogans se distinguent par leurs spécificités régionales comme sur les bords du Rhône avec « Lyon, debout, soulève-toi » ou à Rennes avec « Macron, la retraite c’est comme la galette, on la veut complète ». Dans le cortège provençal, le parler marseillais s’impose aussi en slogans et en pancartes. « 60 ans on t’a dit, mon vier » inscrit sur un panneau de chantier bordant le parcours de la manifestation. Ou, à l’image de Chantale, la cinquantaine, qui brandit une canne de marche surmontée d’un carton sur lequel on peut lire : « A 64 on va caner ».



« Caner » et « mon vier » deux mots bien marseillais. Le premier signifie « mourir » et utilisé ici en un jeu de mot compréhensible par tous les Français, mais avec un double sens plus profond pour les habitants de la ville. Le second, vulgaire, employé le plus souvent en interjection, exprime le désaccord, l’agacement. « Mon vier, ça suffit maintenant », pourrait dire (non) un enseignant face à une classe turbulente. Au sens strict, il désigne un sexe masculin. Et pour chauffer un cortège, quelques « aux armes », ce chant de supporters de l’Olympique de Marseille, résonne de temps à autre.



La sono syndicale

Autre classique des manifestations, la sono syndicale, généralement installée dans une camionnette ou un utilitaire. A Nantes, nous avons rencontré Matthias, DJ et formateur de professions, qui, grâce à ses deux platines est en charge du son dans les grandes manifestations CFDT depuis environ 10 ans.

La musique, c’est une composante importante d’une manif réussie. Il y en a, de plus en plus. Le matériel a évolué et nous sommes beaucoup mieux équipés. Les titres diffusés dépendent du moment et de la composition du cortège. Aujourd’hui, c’est très familial par exemple, donc on a voulu privilégier quelque chose de dansant, dynamique, mais surtout pas agressif : Yannick Noah (Aux arbres citoyens), NTM, La Chanson du dimanche (Petit cheminot)… Le 19 janvier, c’était des titres plus engagés, il fallait marquer le coup ».

Pour Matthias, les grands classiques à passer en manif restent Trust, Noir Désir, Rage against the machine (RATM), Gainsbourg… Yann, responsable de l’animation sonore pour Force ouvrière et abonné aux manifs depuis les « grandes grèves de 1995 », joue sur la même partition puisque parmi ses incontournables, on retrouve Trust, RATM, Noir désir mais aussi Survivor, ACDC, Mano Negra, HK et les Saltimbanks, Damien Saez, Lavilliers…  « Plutôt du rock, pour donner envie de se bouger, explique-t-il. Les chanteurs à texte comme Renaud ou Souchon c’est intéressant aussi, mais c’est plus difficile à capter. »


Matthias et son DJ Set.
Matthias et son DJ Set. - F. Brenon

Et comme partout il faut savoir s’adapter avec son temps. « Avant on ne se posait pas trop la question, on choisissait des titres très engagés ou un peu rétro, confie Matthias. Mais depuis quelques années on a compris que si on voulait attirer les jeunes en manif, il fallait passer des titres du moment. Aujourd’hui c’est Dua Lipa, Orelsan, Rosalia, Big Flo & Oli… »

Ainsi, certains titres ultra-diffusés sont clairement passés de mode. « Zebda, Tryo, La Rue Kétanou, Sinsemilia… C’était des tubes de manif mais, aujourd’hui, c’est trop marqué d’une époque, ajoute-t-il Pareil pour Johnny, c’était incontournable il y a 15 ans. Maintenant les gens n’en veulent plus. » Même destin, en moins marqué toutefois, pour les chants militants, comme L’Internationale ou Bella Ciao. « Ça se fait un peu moins, il faut se renouveler un peu », commente Yann.

Mais cette montée en puissance de la sono syndicale suscite des regrets chez certains nostalgiques. « Ça prend un peu le pas sur les slogans ou messages parfois », déplore Jean-Paul, syndiqué FO et « de toutes les manifs depuis plus de 20 ans ». Même sentiment chez Annick, 69 ans, militante CGT. « Il y a 30 ans il n’y avait pas toutes ces sonos. On chantait beaucoup plus, on écrivait des textes différents pour chaque manifestation. Il y avait davantage d’instruments, des fanfares venaient. Diffuser de la musique c’est bien mais c’est une solution de facilité je trouve. » Ah la jeune génération !

Les tubes revisités

A Lille, c’est le classique de Claude François Viens à la maison qui est devenu par la voix d’un certain Guillaume Tiens, c’est l’inflation. A Rennes, c’est une version féministe de Freed from Desire qui a été entendue pour dénoncer le patriarcat. Dans les rues de Lyon, une pancarte scandait un « Borne, Borne, Borne, to be a lie », en hommage à Patrick Hernandez. Enfin place d’Italie à Paris, au départ de la manifestation, c’est la chorale des profs du collège Joliot-Curie de Pantin qui reprenait des classiques de la variété française pastichées en diatribes contre le projet de réforme.



Le refrain de Mon fils, ma bataille de Daniel Balavoine devient ainsi « Travailler sans fin/ça me fait trop peur/Ma retraite, ma bataille/Faudrait pas qu’elle s’en aille » Et celui de Pour que tu m’aimes encore (Céline Dion) est transformé en « J’irai chercher l’pognon/Dans les caisses des patrons/C’est pour ça qu’on fait grève/Il n’y aura pas de trêve ». Derrière 90 % des textes revisités, on trouve Elisabeth, une prof de français. « Il faut prendre des classiques qui sont intergénérationnels puis dès qu’on a l’accroche d’une chanson, on réécrit les paroles en utilisant des mots-clés comme pension, retraite, grève » détaille-t-elle. Certaines chansons existent depuis 2019 mais deux nouveaux textes sont apparus en 2023. Il n’a fallu à la prof de français que deux jours pour les terminer. « Macron est ma muse », rigole-t-elle.