Mao Aoust, le baron marseillais du CBD qui mène la révolution culturelle du cannabis
PORTRAIT A 24 ans seulement, le Marseillais est à la tête de « High Society », société de vente de cannabis légal. Son empire compte 150 magasins et pèse plus de 20 millions d’euros. Rencontre avec ce CEO, condamné pour trafic de stupéfiants dans le passé
- Mao Aoust est le fondateur de « High Society », société spécialiste du cannabis légal.
- Le Marseillais a lancé son activité il y a un peu de plus de quatre ans et compte aujourd’hui près de 150 magasins en Europe.
- Rencontre avec un entrepreneur en herbe de 24 ans qui cultive son image et à la tête d'une qui société génère un chiffre d’affaires de 21 millions d’euros.
Printemps 2018, Zurich, Suisse. Des sacs sous vide de cannabis changent de mains. « La vie n’a vraiment pas changé », pense alors Mao Aoust en concluant la transaction. Et pour cause. La dernière en date qu’il avait réalisée s’était terminée menottes aux poignets, destination garde à vue. C’était en décembre 2017. La police marseillaise s’intéressait à lui depuis déjà plusieurs semaines déjà. Lors de la perquisition, les enquêteurs découvrent dans une maison en périphérie de la ville une salle de culture de cannabis et une poignée de kilos de marchandise.
Sa vie « n’a pas vraiment changé », à un détail près : la transaction qu’il réalise ce jour-là en Suisse n’a rien d’illégale. Il s’agit de CBD, ce cannabis légal car dépourvu de THC - la molécule aux effets psychotropes. La structure de revente aussi est dans les clous de la loi. Le jeune homme de 20 ans s’apprête alors à ouvrir dans le quartier branché du Cours Ju son premier magasin « High Society ». Quatre ans plus tard, il en existe aujourd’hui près de 200 - dont 150 en franchise - en France mais également en Espagne et Allemagne. Sa société génère un chiffre d’affaires de 21 millions d’euros et emploie plus de 150 personnes.
« Quand je me lance, mon entourage me dit : ''T’y es fou. Tu es en attente d’aménagement de peine, tu n’as pas saisi ce qu’il s’est passé, je crois''. Mais ça passe. » C’est avec une peine de prison d’un an, qu’il purgera sous bracelet, que ce jour de printemps 2018 Mao Aoust redescend de Zurich avec sa nouvelle vie dans le coffre et une facture en bonne et due forme pour sa marchandise. « Ce CBD, je l’avais quand même payé par virement bancaire au cas où », se souvient l’entrepreneur en herbe. Il passe la douane sans encombres. La police marseillaise a visiblement levé sa surveillance. « C’est moche, mais je suis blanc, je présente bien. T’as compris », résume-t-il aujourd’hui depuis la salle de conférences de son siège situé à Marseille.
Un look à la Steve Jobs en herbe
Mao Aoust ne cultive pas que de l’herbe, il sait aussi cultiver son image. A l’instar d’un Steve Jobs, il a adopté une tenue quotidienne : basket, pantalon et tee-shirt noirs en toutes circonstances. Ses yeux bleus sont perçants. « Il n’aime pas la lumière, mais partout où il passe tu te souviens de lui », estime Fanny Fontan, autrice-réalisatrice de documentaire qui suit « le baron du CBD » depuis un an et demi pour un projet de film.
« Son histoire est romanesque. C’est quelqu’un d’iconique en termes cinématographiques. Il représente aussi une forme de transgression sociale en passant de l’illégalité à la légalité, en évoluant désormais dans un milieu entrepreneurial qui n’est pas le sien à l’origine. Il représente aussi cette génération biberonnée au libéralisme. Mao, c’est un bébé Macron d’une certaine façon. C’est une success story à l’américaine. » De celle où les gens partent de rien et risque tout pour se bâtir un empire. Sans investisseur ni business angel. « Je ne suis pas passé par un incubateur de start-up », aime à expliquer Mao Aoust.
Le CEO (PDG) de « High Society » grandit dans le 5e arrondissement de Marseille, à la Plaine. Ses parents sont artisans, son père travaille dans le bâtiment. Il arrête l’école à 18 ans avec le bac technique . Déjà, il se passionne pour le cannabis. Il dévore tous les blogs de cannabicultlure et développe une connaissance empirique de la plante. D’abord ceux en français, puis il passe rapidement aux sites américains et anglais, langue qu’il lit et parle couramment dès le lycée. Un savoir développé lors de ses nombreuses heures passées à jouer aux jeux vidéo, une activité à laquelle il se livre encore pour se détendre.
Mao, c’est un bébé Macron d’une certaine façon. C’est une success story à l’américaine. »
C’est en partie cette aisance en anglais qui lui permet de trouver ses premiers fournisseurs et de lancer son activité. « En fait, dès que j’ai lu que le premier magasin de vente de CBD en France s’était ouvert à Besançon (en avril 2018), je me suis dit : ''mais c’est quoi ce délire, on peut vendre de la beuh légale ?'' Et j’ai foncé en commençant à chercher des fournisseurs sur Internet et en passant des coups de fil à l’étranger ». Le secteur est alors en pleine expansion et très rentable. Les marges réalisées sont sans commune mesure avec le marché illégal. « Je margeais quatre à cinq fois plus qu’avant. Et pourtant je vendais à 16 euros le gramme, là où les autres shop vendaient à 20 », explique Mao.
Dans la foulée du succès de son premier magasin du Cours Ju, il en ouvre rapidement un second, puis quatre autres sur Marseille. S’étend à La Ciotat, Aix-en-Provence, Montpellier. « Puis, arrivent le Covid et le lockdown. Dans la foulée, ça explose complètement. On fait quatre à cinq ouvertures de magasins par semaine. On subit un peu la croissance mais on donne tout ».
Pourtant tout aurait bien pu s’arrêter en pleine ascension. Le 30 décembre 2021, l’Etat français prend un arrêté interdisant la vente de fleurs de cannabis ayant un taux de THC inférieur à 0,3 %. La jeune union professionnelle du CBD, cofondée quelques mois plus tôt par Mao Aoust et présidée par Charles Morel, un avocat pénaliste de formation, réagit immédiatement. Le 24 janvier 2022, le juge des référés du conseil d’Etat, saisi en urgence, suspend cette interdiction par ordonnance, avant de l’annuler purement un an plus tard.
« Une putain de revanche »
Depuis, le marché « est en phase de stabilisation », comprend le jeune PDG. Après une croissance un peu désordonnée, son entreprise s’est correctement structurée. Il a recruté des profils expérimentés à des postes clefs à la direction administrative et financière. Il s’est doté d’un directeur général pour le suppléer. « Je ne peux pas me permettre de faire n’importe quoi, tu vois. J’ai 150 salariés et autant de familles derrière ». Pour ça, il soigne son hygiène de vie, ne se drogue pas (il a arrêté le cannabis réactif, il y a quatre ans), ne boit pas, fait du sport tous les matins et bosse six jours sur sept. A 24 ans, il fait preuve d’une maturité étonnante, un peu forcé par le destin. Son destin, d’ailleurs, il continue de l’écrire. Ses ambitions sont élevées pour 2023 : doubler le volume de vente en « all sale », c’est-à-dire comme grossiste à destination d’autres professionnels du CBD, et inonder les marchands de tabacs de ses produits - il est déjà présent chez 1.500 buralistes. Son entrepôt, auquel nous n’avons pas eu accès, fait aussi l’objet d’importants investissements. Une machine à rouler des joints a été acquise.
Dans quelques jours, Mao Aoust et des membres de son équipe s’envoleront pour la Thaïlande, pays qui vient de légaliser l’usage récréatif du cannabis, afin d’y ouvrir un « High Society ». « C’est un kif », se réjouit-il. « J’ai été condamné pour vente de cannabis et j’ai failli faire de la prison pour ça. Là je vais en vendre légalement à l’autre bout du monde. C’est une putain de revanche », savoure-t-il. Une revanche qu’il doit aussi, en un sens, à la police et à la justice qui l’ont coupé dans son activité illégale. Aujourd’hui, le jeune entrepreneur en a fini avec les démêlés avec la justice. Mais son activité interroge et suscite des convoitises du côté des voyous marseillais. « On bouge 18 tonnes de weed de par an. Ce n’est pas rien. Et tout le story telling, fait pas certains sur l’ancien-dealer-devenu-millionaire, n'arrange pas les choses », s’agace-t-il.
Reste que derrière lui, c’est aussi une révolution culturelle que Mao mène. « Je n’ai pas de problème moral à vendre des produits qui ont plus d’effets que d’autres », avertit-il. Le développement du CBD est une première marche vers la légalisation du cannabis récréatif. Soyons certains que lorsque ce jour arrivera, la « High Society » sera prête. « On est d’abord des spécialistes du cannabis », conclut-il. Et ça se sent dans les couloirs de son siège marseillais où parmi les huiles et autres infusions de CBD, règne une persistante odeur de weed qui émane de sacs et de têtes de beuh dépassant des cartons.