Lyon : Démission de l’équipe médicale, violences… Que se passe-t-il au centre de rétention administrative ?

PROBLEMES Le médecin en poste depuis cinq ans au centre de rétention administrative de Lyon a démissionné car « il était impossible d’y faire du soin ». Depuis un mois, les services de l’Etat peinent à le remplacer

Elise Martin
Le centre de rétention administrative de Lyon vient d'ouvrir mais présente plusieurs problème selon l'ancienne équipe médicale (Illustration)
Le centre de rétention administrative de Lyon vient d'ouvrir mais présente plusieurs problème selon l'ancienne équipe médicale (Illustration) — SIPA
  • Ouvert en janvier 2022, le nouveau centre de rétention administrative de Lyon présente plusieurs problèmes selon l’ancienne équipe médicale.
  • Composée de cinq infirmières et d’un médecin, cette équipe ne pouvait pas « faire de soin » dans les conditions dans lesquelles elle travaillait.
  • Depuis leur démission en décembre dernier, l’Etat en partenariat avec les Hospices civiles de Lyon peine à recruter.

Le centre de rétention administrative (CRA) de Lyon Saint-Exupéry est tout neuf. Il vient de fêter son premier anniversaire en janvier. Ses 140 places avaient même été inaugurées par le ministre de l’Intérieur lors de sa visite à Lyon en août. Gérald Darmanin en avait d’ailleurs profité pour annoncer l’ouverture d’un autre établissement similaire en 2023, ce nouveau CRA étant un « projet pilote » censé être dupliqué partout en France.

Pourtant, dans ces nouveaux locaux, « il y est impossible de faire du soin », affirme le docteur Thomas Millot. Au point où l’intégralité de l’équipe médicale – composée de cinq infirmières et de ce médecin – a décidé de partir mi-décembre.

Le bâtiment a été « mal construit »

Thomas Millot a exercé cinq ans au CRA de Lyon. En « y allant », il avait conscience des conditions de travail. Il « savait » ce que soigner des « personnes détenues, sans-papiers, destinées à l’éloignement » - le mot utilisé par les services de l’Etat « pour ne pas dire expulsion » - impliquait. Il exerce dans le milieu fermé depuis plus de dix ans.



De 2017 à 2022, ce professionnel de santé a alors passé cinq demi-journées et demie par semaine à prodiguer des soins au centre, « c’était supportable, vivable », qualifie-t-il. Ce qui l’a poussé à partir, c’est le déménagement près de l’aéroport. « Il a été mal construit et les services n’ont pas jugé utile de mettre des policiers à l’intérieur », poursuit le médecin, lassé de ce système.

« Après les événements de cet été, la préfecture a voulu, en quelque sorte, nettoyer la délinquance en prenant tous ceux qui mettaient le chantier dans la rue pour les enfermer dans ce centre. » Le médecin est ferme : « Le CRA c’est l’outil de l’Etat qui permet de mettre en prison des personnes sans-papiers pendant trois mois sans avoir besoin de la justice ». Selon lui, ces individus « retournent là où ils étaient » une fois qu’ils sont libérés et ne sont pas forcément expulsés du pays.

« On ne peut pas enfermer des gens et fermer la porte »

L’ambiance est devenue encore « plus agressive » à partir des épisodes de l’été et « la volonté du préfet ». « Tout ça combiné au bâtiment mal pensé et sans police, il était impossible de faire de la médecine, appuie-t-il. On ne peut pas enfermer des gens et fermer la porte. Il faut des personnes au contact des détenus. Il ne suffit pas d’un beau bâtiment avec des verrous. »

Depuis le départ de l’équipe médicale, c’est-à-dire, plus d’un mois, « il y a eu une longue période sans personne ». Thomas Millot est en lien avec celle de Lyon sud, gérée par les Hospices civiles de Lyon (HCL). Il sait alors que pour assurer « une continuité dans les soins » et parce que l’Etat ne peut enfermer des personnes sans assurer un dispositif de santé, « c’est une société privée qui fait de l’intérim médical » qui a été sollicitée.

Ce que la préfecture confirme en ces termes : « Un travail de recrutement, d’intégration et de fidélisation des effectifs médicaux est mené conjointement par l’Etat et les Hospices civiles de Lyon (HCL) ». Elle affirme que les soins « sont assurés pour les retenus par un partenariat mis en place par les HCL avec une présence paramédicale à temps plein, la présence d’un médecin à hauteur de 3,5 demi-journées par semaine, complétée par un projet de mise en place d’un dispositif de téléconsultation ».

L’ancien médecin du CRA conclut : « Plus personne du service public ne veut travailler dans ces conditions ».

Des réclamations faites

Des conditions qu’il a voulu améliorer durant les années où il travaillait pour le CRA. Thomas Millot a passé son temps à demander « d’avoir un psy sur place, de s’organiser pour des soins dentaires, ainsi qu’en addictologie ». Cette dernière spécificité, il a fini par la passer pour « avoir toutes les casquettes » dans ses prochaines missions. Il résume : « Finalement, le fondamental n’existe pas ». Avant d’ajouter : « On a aussi demandé à avoir un policier au service pour assurer notre sécurité ».

La préfecture du Rhône, de son côté, assure avoir entendu ces réclamations. « Des réunions sont régulièrement organisées pour améliorer le fonctionnement », explique-t-elle. Actuellement, les services de l’Etat travaillent sur « des ajustements du fonctionnement des locaux pour sécuriser au maximum les conditions de travail du personnel médical vis-à-vis des retenus dont certains profils peuvent être violents, et assurer les soins de ces derniers ».

Selon celui qui est désormais urgentiste au SMUR de Villefranche-sur-Saône, le CRA de Lyon, est « un Titanic ». « Ça prend l’eau de tous les côtés », image-t-il. Un détail important à partager alors cette expérimentation a vocation à se démultiplier. « Nos améliorations serviront pour les autres qui ouvriront plus tard », répond alors la préfecture.