Parcoursup : « Avec la plateforme s’est imposée une généralisation de la sélection », estime Johan Faerber

interview Dans un essai qui paraît ce vendredi, l’enseignant décrit les travers du système d’orientation dans l’Enseignement supérieur

Limay le 03 avril 2012. Illustration lycee Condorcet a Limay dans less Yvelines. Classe. Eleves.
Limay le 03 avril 2012. Illustration lycee Condorcet a Limay dans less Yvelines. Classe. Eleves. — A. GELEBART / 20 MINUTES
  • Dès le 18 janvier, les élèves de terminale et les candidats en réorientation pourront s’inscrire sur la plateforme d’admission post-bac Parcoursup.
  • Dans son essai Parlez-vous le Parcoursup ?* qui parait ce vendredi, Johan Faerber décrit les effets négatifs de la plateforme.
  • Il apporte aussi ses idées pour améliorer le dispositif.

Depuis son démarrage en 2018, Parcoursup fait l’objet de critiques. Alors que les inscriptions sur la plateforme d’orientation dans l’Enseignement supérieur démarrent le 18 janvier, Johan Faerber, enseignant au lycée et à l’université, en dresse un portrait sombre dans son essai Parlez-vous le Parcoursup ?*, qui parait ce vendredi. Il décrit le sous-investissement de l’Etat dans l’Enseignement supérieur, le stress des lycéens, une « fabrique du consentement »… 20 Minutes a rencontré l’essayiste.


Johan Faerber
Johan Faerber - HermanceTRIAY


Votre ouvrage est très critique envers Parcoursup. Mais ce système n’a-t-il pas remédié à l’injustice du tirage au sort qui existait sur APB (Admission postbac) pour départager les candidats souhaitant intégrer une filière en tension ?

Avec APB, des milliers de candidats étaient tirés au sort, ce qui constituait une vraie injustice. Si l’arrivée de Parcoursup était une bonne nouvelle pour y remédier, il n’en a pas supprimé la cause pour autant. Je veux parler du manque de places dans l’Enseignement supérieur. Par ailleurs, avec Parcoursup s’est imposée une généralisation de la sélection.

Vous montrez que Parcoursup a changé la scolarité des lycéens, préoccupés dès la seconde par leur orientation dans le supérieur. Mais sont-ils tous conscients que leurs choix de spécialités en 1re peuvent leur fermer des portes sur Parcoursup ensuite ?

Non, pas tous. Car il existe une forme d’inégalité face à l’enjeu qu’est l’orientation : tous les élèves ne disposent pas du même niveau d’informations sur les filières. Parcoursup a créé un stress lors de cette année de seconde qui n’existait pas dans le système précédent. Et demander à un élève de 15 ou 16 ans de faire des choix d’orientation si tôt, c’est ne pas tenir compte de l’évolution d’un adolescent, qui change d’intérêts en fonction de ses découvertes.

Ceux qui ne choisissent pas la spécialité maths ont-ils vraiment moins de chances d’être pris dans des formations sélectives ?

Cela dépend lesquelles, mais il est vrai que Parcoursup donne l’illusion du choix. L’élève croit qu’il a accès à une grande offre de formations, alors que la réalité est plus difficile : beaucoup de filières sont sélectives. Et les maths demeurent la voie royale pour y accéder. Avec le risque pour celles et ceux qui n’ont pas pris la spécialité en 1re d’être laissés sur le bas-côté et d’éprouver un sentiment de frustration.

Parcoursup contribue-t-il à accroître la pression sur les notes dès la 1re ?

La plateforme a bouleversé le rapport de l’enseignant à l’élève. Car pour être sûr d’obtenir une place dans la filière de son choix, ce dernier doit avoir le meilleur dossier possible. Et comme 40 % de la note du bac provient des évaluations en contrôle continu, l’élève a l’impression d’être en surveillance permanente.

Dès le début de la 1re, c’est comme si chaque devoir était une épreuve terminale. Il ne peut pas échouer. Ce système supprime la valorisation de la progression, qui est pourtant l’un des fondements de la pédagogie. Par ailleurs, ne pas comprendre un chapitre du cours, cela arrive. Cela ne devrait pas occasionner une telle tension pour se rattraper. Le lycée est devenu une usine à stress.

Vous écrivez que Parcoursup est né de la volonté de limiter l’accès au supérieur. Mais le problème n’est-il pas plutôt un manque de places dans les filières en tension qu’un manque global de places dans le supérieur ?

Il existe un problème général d’investissement car ces dernières années, le gouvernement n’a pas créé suffisamment de places pour les étudiants, ni de postes d’enseignants-chercheurs pour accompagner la poussée démographique. Il n’y a pas de plan d’investissement à long terme corrélé au baby boom des années 2000 par exemple.

Or, en d’autres temps, cela a été fait. En 1990, Lionel Jospin avait ainsi créé 8 universités et 24 instituts universitaires de technologie (IUT) pour prendre en compte la massification de l’Enseignement supérieur. Parcoursup est, en ce sens, un outil de gestion de la pénurie.

Certains bacheliers sont-ils plus mal servis que les autres, notamment les bacheliers technos et pros ?

Ce sont les principales victimes de Parcoursup. Les bacheliers pros et technos qui n’obtiennent pas une place en BTS ou en BUT sont démunis. Ils finissent souvent par accepter une place dans une formation qu’ils n’avaient pas voulue, ce qui augmente les risques d’échec.

Fin septembre, la quasi-totalité des candidats finissent généralement par avoir une place dans l’Enseignement supérieur. Ceux qui acceptent une inscription par dépit sont-ils nombreux ?

Beaucoup de bacheliers atterrissent dans une filière où ils ne sont pas à leur place. Ils s’y inscrivent pour conserver leur bourse ou par peur de l’année blanche. Le nombre de candidats en réorientation est en hausse constante, ce qui prouve bien que beaucoup d’élèves n’ont pas été satisfaits par leur première inscription dans le supérieur.

Vous dénoncez un manque de transparence concernant l’algorithme Parcoursup. Quelles informations devraient être données aux candidats ?

Dans un rapport publié en 2020, la Cour des comptes soulignait l’opacité de certains critères de sélection à l’entrée dans le supérieur. Notamment le rôle que peut jouer le lycée d’origine. On ne sait pas comment les notes d’un élève sont pondérées en fonction de son lycée. La Cour des comptes réclamait aussi de « rendre publics les algorithmes locaux utilisés par les commissions d’examen. »

Parcoursup a-t-il contribué à l’essor des établissements privés. Lesquels particulièrement ?

De nombreuses places ont été créées dans les universités privées. Car beaucoup de bacheliers, craignant de ne pas avoir de place dans une université publique, jouent la carte de la sécurité en misant sur un établissement privé.

Au final, quelles seraient les mesures d’urgence à prendre pour améliorer Parcoursup ?

Le gouvernement doit créer des places, en priorité dans les filières les plus en tension. Il faut aussi augmenter le nombre de postes de maîtres de conférences, de professeurs à l’université… Pour permettre des TD en groupes plus restreints, afin de faire progresser chacun et de limiter l’échec à l’université.

*Parlez-vous le Parcoursup ?, Johan Faerber, Seuil/Libelle, 4,50 euros.