Seine-et-Marne : TotalEnergies sommé de revoir son projet de reconversion pour Grandpuits

ENVIRONNEMENT L’Autorité environnementale s’inquiète notamment des éventuels rejets de polluants dans la Seine qui pourraient être induits par le projet

Aude Lorriaux
L'ancienne raffinerie de Grandpuits.
L'ancienne raffinerie de Grandpuits. — PATRICK GELY
  • L’ancienne raffinerie de TotalEnergies à Grandpuits veut se reconvertir en bioraffinerie, doublée d’une centrale photovoltaïque et d’une unité de production d’hydrogène, notamment, pour produire un carburant d’avion « durable » au bilan carbone inférieur à celui du kérosène.
  • Mais le projet tel qu’il est exposé actuellement présente des zones d’ombre, selon l’Autorité environnementale, qui formule des recommandations à l’encontre du géant pétrolier, notamment sur la pollution atmosphérique et la gestion des déchets qui pourraient se déverser dans la Seine.
  • Autre élément troublant, l’organisation a constaté lors d’une visite du site des rejets d’hydrocarbures en dehors du périmètre de l’ancienne raffinerie.

C’est sur le papier une totale reconversion. L’ancienne raffinerie de TotalEnergies à Grandpuits (Seine-et-Marne) doit accueillir à l’horizon 2025 une centrale photovoltaïque, une unité de production d’hydrogène et une bioraffinerie, censées verdir le bilan du géant pétrolier. Mais est-ce vraiment le cas en l’état du projet ? Pas sûr, selon l’Autorité environnementale, qui adresse à TotalEnergies toute une liste de recommandations dans un avis rendu public ce vendredi 23 décembre.

Le projet de reconversion de cette raffinerie de Seine-et-Marne, pour plus de 500 millions d’euros d’investissements, a été annoncé en septembre 2020. La production fossile est à l’arrêt depuis 2021 mais le site continue de faire du stockage de produits pétroliers et du dépotage. Une centrale photovoltaïque de 25 hectares a été ouverte en octobre, qui fait partie du nouveau projet, qui ambitionne entre autres de fabriquer des carburants à partir d’anciennes huiles de cuisson recyclées et non plus de pétrole.

Il y aura aussi une unité de recyclage de plastique et un site de production de plastique biodégradable et recyclable. S’ajoute de quoi produire de l’hydrogène, avec pour objectif d’aboutir à du carburant d’avion « durable » au bilan carbone inférieur à celui du kérosène.

Une « part d’ombre »

L’ensemble du projet doit être approuvé par l’Etat, qui s’appuie pour cela sur l’Autorité environnementale, dont les avis n’ont pas force de loi mais sont très écoutés. Ils sont souvent utilisés par les juges par exemple dans les décisions de justice.

Or l’avis rendu public ce 23 décembre identifie deux gros points critiques : les effets sur les sols et milieux naturels d’un côté tout comme les effets sur la population via la pollution atmosphérique et la pollution sonore sont insuffisamment documentés. « On formule des recommandations lorsqu’on a des doutes sur la façon dont le porteur de projet formule les choses. Cela veut dire que le maître d’ouvrage a laissé une part d’ombre, soit parce que ça a été mal rédigé soit parce qu’il ne souhaite pas donner certaines informations », explique Philippe Schmidt, le président de la Mission régionale d’autorité environnementale (Mrae) Ile-de-France.

Rien sur les particules très fines, les plus dangereuses

L’avis de la Mrae recommande premièrement de « réaliser un bilan de l’efficacité des installations de traitement des eaux usées », de « mettre en place les mesures de correction le cas échéant nécessaires ainsi qu’un suivi écologique en Seine au regard des rejets prévus ». En clair, selon Philippe Schmidt, « sur ce qui va être fait pour évacuer les déchets, on a très peu d’éléments dans le dossier ».

Deuxièmement, la pollution atmosphérique engendrée par le site est insuffisamment documentée, estime Noël Jouteur, le rapporteur de l’avis. « Le maître d’ouvrage met en avant les baisses d’émissions en dioxyde d’azote, soufre et poussière. Le problème c’est que tous les polluants n’ont pas été mesurés », et notamment les PM2,5, ces particules fines de 2,5 microns de diamètre ou moins qui provoquent des maladies cardiovasculaires et respiratoires, ainsi que des cancers, et que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de limiter. Seules les PM10 sont évaluées par le projet, or les PM2,5 sont « encore plus nocives pour la santé » selon l’OMS car elles peuvent « franchir la barrière pulmonaire et entrer dans la circulation sanguine ».



« Il y a des rejets en dehors du périmètre du site »

Enfin, autre élément troublant qui invite la Mrae à interpeller le public, à l’occasion d’une visite du site, les experts de l’Autorité environnementale se sont rendu compte qu’il y avait des pollutions aux hydrocarbures autour de l’usine.  « Le dossier nous dit c’est une usine propre qui évite que les pollutions débordent, nous, ce qu’on constate c’est que ce n’est pas complètement le cas, il y a des rejets en dehors du périmètre du site, il nous paraît important que cela soit expliqué et réparé », précise Philippe Schmidt. La Mrae en appelle aux services de l’Etat sur ce point, qui ont déjà contrôlé le site.

L’avis de l’Autorité environnementale n’est en rien un « feu rouge », qui mettra un coup d’arrêt au projet de TotalEnergies, mais le géant pétrolier va devoir se justifier. Comme le résume Philippe Schmidt, « même si juridiquement Total n’est pas tenu de nous suivre il est tenu de nous répondre ». Charge ensuite aux habitants et habitantes, associations civiles et lanceurs d’alerte de toutes sortes ou même à l’Etat de s’en saisir, s’il juge justifications insuffisantes.