Comment des chiens « superhéros » soutiennent les jeunes victimes face à la justice
Good boys Coussinet après coussinet, les chiens s’immiscent dans le système judiciaire français afin de soutenir les victimes et libérer leur parole
- Les chiens d’assistance judiciaire accompagnent les victimes de la déposition à un éventuel procès.
- Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a annoncé son intention d’en former un par département.
- Mais quels sont les bénéfices d’un soutien canin face au système judiciaire ?
Au milieu des robes des avocats et des uniformes de gendarmes, les salles d’audience verront bientôt plus de truffes, de poils et de compagnons à quatre pattes. Ce mardi, le garde des Sceaux s’est rendu au tribunal judiciaire d’Orléans afin de rencontrer deux chiens d’assistance judiciaire. Ces travailleurs poilus permettent d’aider notamment les victimes de viols, de tentatives d’homicides et les enfants maltraités durant les procédures judiciaires. Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a annoncé l’intention du gouvernement de généraliser ces compagnons à quatre pattes.
L’objectif est d’avoir « un chien par département » en France pour accompagner les victimes mineures. Aux Etats-Unis, près de 300 chiens remplissent déjà ce rôle, précise Laurence Paoli, autrice de Quand les animaux nous font du bien (éditions Buchet-Chastel). En France, c’est en 2019 que Frédéric Almendros, alors procureur de Cahors, avait conduit une expérimentation. Lol, un labrador noir, porte fièrement le titre de premier chien d’assistance judiciaire en France. Aujourd’hui, l’association Handi’chiens a fourni dix chiens dans tout l’Hexagone, huit dans des instances judiciaires, un en gendarmerie et un dans un commissariat. Dix autres ont été demandés et sont en attente de formation.
Des « doudous vivants » qui ne jugent « jamais »
« Cette annonce est extrêmement positive », se félicite Laurence Paoli, spécialiste des relations entre humains et animaux. « C’est très récent en France et jusqu’ici il s’agissait d’initiatives personnelles, pas de celle de l’Etat alors qu’il est prouvé que le chien d’assistance judiciaire a un effet bénéfique pour certaines catégories de victimes », souligne-t-elle. Pour les enfants victimes de maltraitance ou d’abus, prendre la parole et raconter est une épreuve particulièrement difficile. Or, « c’est plus facile pour un enfant de raconter les choses à un chien plutôt qu’à un humain qui a des codes différents », ajoute Laurence Paoli. D’autant que l’animal ne demande jamais à « ce que vous portiez sa peine et vous regardera toujours de la même façon. Par exemple, il ne vous regardera jamais comme une victime. »
D’autant que le meilleur ami de l’homme n’est jamais dans le jugement. « L’amour des animaux est extraordinaire et inconditionnel », abonde Yolaine de La Bigne, coautrice des Intelligences animales (éditions Health Media). « L’animal va toujours vous écouter, vous aimer et ne jamais vous juger. Si vous êtes laid, handicapé ou mauvais en classe, il vous aimera toujours », énumère-t-elle. Les chiens suivront à pas de loup l’enfant du « début » de la procédure jusqu’à « la fin » lors d’un éventuel procès, a précisé le ministre de la Justice. Ces « doudous vivants », comme les a surnommés Eric Dupond-Moretti, permettront de libérer la parole des enfants alors que 160.000 mineurs sont victimes de violences sexuelles chaque année, selon un rapport publié en septembre par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).
Moins de stress, plus d’amour
Certaines victimes ayant traversé un violent traumatisme se retrouvent ensuite dans des labyrinthes administratifs, perdues dans des dédales glaciaux d’articles de loi et de procédures aseptisées. La présence du chien permet d’humaniser la justice. « Les animaux ont quasi tous une intelligence émotionnelle très importante, ce qui n’est pas forcément le cas des humains. Nous sommes capables d’aller sur la Lune et de lire des projets techniques, mais nous avons perdu le contact avec les émotions pures que les animaux ont, eux, gardé », décrypte Yolaine de La Bigne. La simple présence d’un animal dans le quotidien d’un humain améliore sa santé. « Ce sont les rois de l’émotion, ils nous provoquent un bien-être physique réel », ajoute-t-elle.
Plusieurs études montrent ainsi qu’en présence d’un animal de compagnie, nos taux d’ocytocine, surnommée l’hormone de l’amour, augmentent drastiquement. A contrario, le taux de cortisol, associé au stress, baisse en présence de nos amis à quatre pattes. « Au Canada, un directeur d’oncologie pédiatrique avait mis en place un programme de médiation animale. Confortés par la présence du chien, les enfants mangeaient mieux, prenaient plus facilement leur traitement et vivaient l’expérience de façon plus positive », illustre Laurence Paoli. Certaines maisons de retraite adoptent des chats afin d’aider les pensionnaires. Les félins sont connus pour leur ronronnement, véritable anxiolytique naturel. On parle d’ailleurs de ronronthérapie.
Ces « superhéros » à truffe
Mais le canidé dispose d’un autre atout dans sa manche de fourrure. A l’hôpital comme devant un tribunal, il n’est pas rare de se sentir impressionné, intimidé voire terrifié. Or, le chien a une figure de « protecteur ». « Certaines personnes qui témoignent accompagnées d’un chien d’assistance judiciaire se cramponnent à l’animal. Le chien leur donne le courage nécessaire, et personne ne peut leur faire du mal tant qu’il est là », explique Laurence Paoli. Une réassurance bienvenue quand une victime doit faire face à son agresseur. De plus, la simple présence d’un animal permet de « pacifier les relations », note Yolaine de La Bigne. Partager un regard complice à propos de l’adorable boule de poils qui s’assoit précautionneusement dans la salle d’audience ou un regard de connivence amusé quand elle éternue permet de s’évader ensemble un instant. Loin des tragédies qui hantent souvent les tribunaux.
Les chiens d’assistance sont des « super chiens, des chiens superhéros », lance Laurence Paoli. Choisis pour leur caractère et leur empathie, ils sont formés pendant plus d’un an et demi. « Il faut que ça soit des chiens qui ont une appétence naturelle pour les humains et un goût pour l’humain et le contact physique », rappelle la spécialiste du lien à l’animal. Reste que le bien-être de ces aidants à fourrure est crucial.
Les chiens doivent rester « bien dans leurs pattes » et, véritables éponges émotionnelles, ils ont régulièrement besoin de repos. Par exemple, Lol a des pellicules dans son pelage après les interventions. Un signe que le labrador a besoin d’une respiration. « C’est stressant pour eux, une formation en éthologie est essentielle pour faire attention au bien-être du chien. Il faut aussi que les chiens tournent », explique Laurence Paoli. Un chien par département sera donc insuffisant, mais la formation d’un superhéros canin coûte 17.000 euros, d’après Handi’chiens. Il faudra donc pour le moment se contenter des humains pour de nombreuses audiences afin d’éviter des burn-out canins.