Bastien Vivès peut-il vraiment « se donner le droit de tout dessiner », même de la pédopornographie ?

De la bulle au droit Dans « Petit Paul », un enfant de 10 ans au pénis démesuré est agressé sexuellement et même violé par des femmes de son entourage

Diane Regny
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Le dessinateur Bastien Vivès.
Le dessinateur Bastien Vivès. — JOEL SAGET / AFP
  • Le Festival international de la BD d’Angoulême, événement le plus important du 9e art, a annoncé mercredi l’annulation d’une exposition qui devait être consacrée à partir de fin janvier à Bastien Vivès.
  • Le dessinateur de 38 ans est accusé de promouvoir la pédopornographie dans certains de ses ouvrages et dans des déclarations publiques.
  • Certaines de ses œuvres mélangent des personnages mineurs et de la pornographie. Des éléments qui, au-delà de la polémique, posent question juridiquement.

« Moi, je me donne le droit de tout dessiner », lançait l’auteur de bandes dessinées Bastien Vivès en 2018. Une déclaration à laquelle il s’est toujours tenu : Les Melons de la colère en 2011, ainsi que La Décharge mentale et Petit Paul en 2018 mettent en scène des viols et des agressions sexuelles sur des mineurs. Accusé de promouvoir la pédopornographie, voire de faire l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité, l’auteur devait bénéficier d’une « carte blanche » au Festival international de la BD d’Angoulême. Bastien Vivès affirmait lundi dans Le Parisien : « Non, je ne suis pas pédophile et non, ce n’est pas mon fantasme. Si on veut lire honnêtement mes œuvres, on s’en rend compte facilement ».

Mercredi, prenant acte de la polémique et des « menaces physiques » reçues par l’artiste, le plus grand rendez-vous annuel de la bande dessinée a annoncé l’annulation de cette exposition. La mise en avant de cet auteur décrié, à l’occasion de la 50e édition de ce rendez-vous incontournable de la BD, a fait grandement grincer des dents. Pourtant, au-delà de la polémique, se pose la question de l’édition et de la diffusion de ces ouvrages. Est-il vraiment légal de dessiner et publier des images à caractère pédopornographique en France ?

Des images « explicites »

Dans Petit Paul, un enfant de dix ans au pénis démesuré est agressé sexuellement et même violé par des femmes de son entourage. « L’article 227-3 du Code pénal interdit toute production et réalisation d’images de mineurs à caractère pédopornographique ainsi que leur diffusion », pose d’emblée Emmanuelle Haziza, avocate pénaliste. Une personne poursuivie à ce titre risque cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. A l’origine conçue pour éviter les photographies et les vidéos à caractère pédopornographique, « la loi a évolué en 1998 et le terme "représentation" a été ajouté ».

« En 2007, la cour de Cassation, qui se penchait sur le cas d’un film d’animation japonais, a tranché : les images non réelles d’un mineur, lui-même non réel, entrent dans le cadre de la loi », rappelle la spécialiste des questions d’agressions sexuelles sur mineurs et de corruption de mineurs. Le caractère pornographique de l’œuvre est assez clair : un sticker stipulant « ouvrage à caractère pornographique » a été collé sur les couvertures de la BD. « La Cour européenne des droits de l’Homme défini comme pédopornographique les "exhibitions lascive des parties génitales ou de la région pubienne d’un enfant" et des "comportements sexuels explicites". A partir du moment où il y a une fellation, c’est clairement explicite », souligne Emmanuelle Haziza.

Du viol aux « accidents loufoques »

Si jamais la création, publication et diffusion de Petit Paul se retrouvaient devant un juge, l’élément matériel serait donc difficilement contestable. « Il reste un nombre important de gens qui ne saisissent même pas le problème des violences sexuelles, voire des crimes sexuels, et crient à la censure quand on leur demande de respecter la loi », regrette Mona Messine, autrice et éditrice. Jusqu’à présent, aucune plainte n’a été déposée mais Petit Paul a rapidement été retirée des rayons de Cultura et de Gibert. Reste à prouver l’élément moral, c’est-à-dire l’intention. « En cas de procès, tout serait débattu sur l’élément moral », affirme maître Haziza. « Quelqu’un qui ne connaît pas du tout Internet et qui tape : "photo enfant" dans un moteur de recherche et tombe sur un site pédopornographique par hasard ne sera pas incriminé », illustre-t-elle. Dans le cas de Petit Paul, de La Décharge mentale ou des Melons de la colère, l’intention de diffuser de la pédopornographie reste à démontrer.

Avant la publication de Petit Paul, Bastien Vivès affirmait à nos confrères du HuffPost : « Il n’y a jamais de vice selon moi (…) Ce sont toujours des accidents loufoques qui arrivent à Petit Paul ». Dans l’une des scènes les plus critiquées de l’ouvrage, l’enfant de dix ans « accepte » une fellation de son institutrice. Or, depuis avril 2021 (soit après la sortie de l’ouvrage), la loi française a tranché : toute relation sexuelle d’un majeur avec un mineur de moins de 15 ans est un viol. C’est donc la représentation d’un viol sur mineur que l’auteur inclut dans ces « accidents loufoques ». Dans Les Melons de la colère, l’héroïne se fait violer à de nombreuses reprises puis, à son tour, agresse sexuellement son petit frère. Les agressions sexuelles incestueuses sont aussi présentes dans La décharge mentale où on peut notamment voir une enfant de 10 ans recevoir une éjaculation faciale de son propre père.

« L’inceste, moi, ça m’excite à mort »

« Mes livres s’inscrivent dans un genre burlesque humoristique. Ce ton provocateur, il m’est arrivé de le reprendre parfois, de manière maladroite, dans mes interviews », affirme l’artiste. Car au-delà de ses œuvres, Bastien Vivès provoque une levée de boucliers à cause de ses propos dans les médias. « L’inceste, moi, ça m’excite à mort (…) Vu que je peux pas faire d’inceste dans la vraie vie, et que je n’ai pas de grande sœur pour pouvoir faire ça, je fais ça dans mes livres », avait déclaré l’auteur en mai 2017 au site Madmoizelle. En faisant la promotion de Petit Paul, le dessinateur avait aussi déclaré au HuffPost : « Des proportions improbables, de l’humour, de la sexualisation à outrance… C’est le genre de BD que les gamins allaient piquer sur l’étagère du haut de leurs parents. Comme je le dis souvent, les BD pornos ce sont les adultes qui les achètent et les enfants qui les lisent. »

L’auteur affirme toutefois que son style « très cartoon » a été travaillé afin d’éviter tout « malaise intellectuel » ou « ambiguïté ». « Mais à aucun moment je n’ai voulu blesser des victimes de crimes et abus sexuels. Et je tiens évidemment, si mes propos ont pu heurter ces personnes, à leur présenter mes plus sincères excuses », a déclaré l’auteur ce jeudi. Reste à savoir si cela suffira à éteindre la polémique. Car la société a évolué depuis « Lemon Incest », que chantait Serge Gainsbourg avec sa fille en 1984, ou la séquence télévisuelle de 1990, lors de laquelle l’écrivain Gabriel Matzneff n’avait pas caché sa pédocriminalité face à Bernard Pivot. Le mouvement #MeToo a libéré la parole sur les violences sexuelles et fissuré l’omerta. Aujourd’hui, « la société remet en cause l’appellation "œuvre" pour un travail qui s’appuie sur des maltraitances, même fantasmées », explique Mona Messine.

Des hommes qui discutent de pédophilie sans que ça ne choque personne à des heures de grandes écoutes, c’est terminé »

Notamment sur l’inceste, que Bastien Vivès met en scène dans plusieurs ouvrages.  « La société est beaucoup plus attentive à ces sujets-là et le législateur suit. On assiste à un changement de mœurs, ce qui était possible il y a cinquante ans à la télévision, quand des hommes discutaient de pédophilie sans que ça ne choque personne à des heures de grandes écoute. Aujourd’hui, c’est terminé », juge Emmanuelle Haziza. « Le fantasme et la fiction ne sont pas illégaux, heureusement. Mais il est du devoir de l’artiste d’en interroger la provenance et cela n’est pas toujours fait », souligne l’autrice et éditrice Mona Messine, qui encourage à « plus de diversité dans le monde de l’édition » pour une plus grande éthique. Reste que les contours du début de la pédopornographie dans la BD et de la fin de la liberté d’expression ne pourront être tracés que par la justice.