« Code orange ou bleu ? »… La police tente de soigner l’accueil des victimes de viols ou de violences
Confidentialité Imaginé par un policier du Mans pour protéger les victimes de violences conjugales, un système de vignettes de couleur a été mis en place dans des commissariats pour un meilleur accueil
- Un système de vignettes de couleur a été mis en place dans de nombreux commissariats de police français afin d’offrir davantage de confidentialité.
- A Rennes, l’affichage a été renforcé afin de rendre plus visible ce nouveau dispositif destiné aux victimes de viols, de violences sexuelles ou conjugales.
- Régulièrement critiquée pour son accueil des victimes, la police tente de soigner le recueil de la parole.
« Bonjour madame. Vous êtes en orange ou en bleu ? » A l’accueil du commissariat de police de Rennes, la question est désormais systématique. Pour améliorer la prise en charge des victimes de violences sexuelles ou conjugales, la police nationale a mis en place un système de vignettes de couleur. Les victimes d’agressions sexuelles, de viols, de violences conjugales ou de violences intrafamiliales sont considérées comme « code orange ». A l’accueil, leur prise en charge est plus discrète et se fait en priorité. Les autres faits considérés comme « vignette bleue » restent quant à eux traités « normalement ».
Mis en place en 2021 à Rennes, le dispositif n’a jamais pris. Alors pour le montrer, les policiers ont placardé leurs vignettes partout. Sur les grilles extérieures de l’Hôtel de police, sur les murs de la salle d’attente, sur le plexiglas protégeant les agents. Et surtout sur le comptoir d’accueil de tous les commissariats de Rennes. Avec ce système de vignette de couleur, les policiers espèrent offrir plus de discrétion dans les halls d’accueil souvent très sonores. Un manque d’intimité qui peut rebuter certaines victimes, craignant de devoir expliquer ce qui leur est arrivé aux oreilles de nombreux inconnus. « Nos commissariats sont vieillissants avec des interphones pas toujours performants et des locaux qui nous obligent à parler fort. Ce n’est pas le meilleur endroit pour respecter la confidentialité des victimes », reconnaît le commandant David Flageul.
Son commissariat n’est pas le premier à avoir adopté ce système de vignettes. S’inspirant d’une initiative née au Mans en 2019, de nombreuses villes l’ont mis en place, non sans mal. L’an dernier, un tweet de Gérald Darmanin saluant cette initiative à Orléans avait provoqué un tollé. La photo relayée par le ministre de l’Intérieur laissait penser qu’une file réservée aux victimes de viols avait été créée, accentuant la stigmatisation de celles-ci. Une critique qui perdure avec ce système de vignette. « Il n’y a pas de stigmatisation. Le code orange permet simplement la confidentialité. Nous avons formé nos agents pour qu’ils l’appliquent et évitent les questions intrusives. Notre société a changé, la police s’est adaptée », assure Céline Touati. A son arrivée dans la police il y a plus de vingt ans, la capitaine de police avait été outrée de voir l’accueil réservé à certaines victimes. « J’ai vu des policiers arriver dans le hall pour demander tout fort qui était la femme victime de viol, devant tout le monde. Ça n’arrive plus aujourd’hui », assure-t-elle.
En soignant sa prise en charge, la police espère rassurer et encourager les victimes à venir déposer plainte. Ici comme ailleurs, tout le monde sait que la marge de progrès est encore énorme. Un rapport caché et récemment dévoilé l’avait d’ailleurs appuyé. Pauline peut en témoigner. Victime d’une agression sexuelle par un professeur, la jeune femme s’est présentée il y a un an au commissariat de la Tour d’Auvergne, après trois jours d’hésitation. Elle n’a pas été déçue.
La première fois que je suis venue, on m’a dit qu’il était un peu trop tard, que les faits n’étaient pas assez graves et qu’il valait mieux que je revienne plus tard. J’étais blessée qu’on hiérarchise ainsi la gravité des faits ».
Pauline l’a très mal pris mais elle est revenue. Bien d’autres ne le font pas. « Une femme, un homme ou un enfant qui voit qu’on ne l’écoute pas, il ne reviendra pas. Il est primordial d’entendre la personne, même si elle doit revenir pour compléter. C’est systématique maintenant », assure la capitaine Touati.
« Il m’a demandé si j’avais eu une attitude provocante »
Le problème, c’est que quand Pauline est revenue, elle a encore été sérieusement chamboulée. « Le système de vignette venait d’arriver mais on m’a quand même demandé pourquoi je venais, là, à la grille dehors. Ça m’a vraiment gêné de devoir dire "agression sexuelle" en pleine rue. Et puis j’ai dû le répéter une fois à l’accueil. Ça m’a rendue triste. » La jeune femme a ensuite été reçue par un policier dans un bureau à l’écart du tumulte de l’accueil. « Il m’a demandé si j’avais eu une attitude provocante ou si j’étais alcoolisée, ça m’a blessée. Il ne m’a pas entendue, comme s’il voulait me dissuader de porter plainte », raconte l’étudiante.
« En France, pour condamner, il faut apporter des preuves de la culpabilité. Certaines questions peuvent paraître choquantes mais elles sont là pour blinder le dossier, pour fermer des portes. Quand on demande à une femme victime d’agression sexuelle comment elle était habillée, ce n’est pas pour la juger. Mais il sera plus facile de prouver un viol sur une femme qui était en jupe que si elle était en jean et en doudoune », répond la capitaine Céline Touati.
Au cours de cette expérience avec la police, Pauline est revenue une troisième fois où elle a rencontré une policière « très gentille ». « Elle a su m’écouter, elle a pris ma plainte et m’a réconfortée », raconte la jeune victime. Était-ce parce que c’était une femme ? « Je ne sais pas mais je me suis sentie comprise. » Sa plainte sera finalement classée sans suite, sans que l’homme que Pauline décrivait comme son agresseur ne soit entendu. En France, certaines sources évoquent un taux de classement sans suite de près de 80 % pour les plaintes pour violences conjugales. En Ille-et-Vilaine, le procureur avait expliqué que ce chiffre était en baisse continue et était passé sous la barre des 40 %.
Une manifestation festive samedi
Plus de 110 féminicides déjà enregistrés en France en 2022. Pour alerter la population sur les violences faites aux femmes, le collectif #NousToutes 35 et d’autres associations appellent à deux rassemblements à Rennes. Une manifestation festive a lieu ce samedi 19 novembre au départ de la place de la République. Un rassemblement commémoratif est également programmé le vendredi 25 novembre au départ de la dalle Kennedy pour rendre hommage aux victimes de ces violences.