Mort de Morgan Keane : Deux ans après, le débat sur la sécurité à la chasse est très loin d’être apaisé

ProcEs Ce jeudi, le chasseur qui a tué il y a deux ans le jeune homme, alors qu’il coupait du bois chez lui, et son « directeur de battue » sont jugés pour « homicide involontaire » à Cahors

Béatrice Colin
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Un homme avec un fusil lors d'une partie de chasse (Illustration).
Un homme avec un fusil lors d'une partie de chasse (Illustration). — K. Grinvalds
  • En décembre 2020, Morgan Keane, un jeune Lotois de 25 ans est tué par le tir d’un chasseur alors qu’il se trouvait dans son jardin.
  • Ce jeudi, le chasseur à l’origine du tir mortel et le directeur de la battue sont jugés à Cahors pour « homicide involontaire ».
  • Depuis deux ans, et sous l’impulsion des amies de Morgan Keane, le débat sur la sécurité à la chasse a été relancé et suscite de vives oppositions. Le gouvernement a annoncé un plan à venir sur ce sujet, avec des annonces qui entreront en vigueur d’ici à la fin de l’année.

Le 2 décembre 2020, Morgan Keane était en train de couper du bois à une centaine de mètres de sa maison du Lot, sur son terrain, lorsqu’il a été touché mortellement par la balle d’un chasseur. Ce jeudi, le tireur et le directeur de la battue au sanglier seront jugés à Cahors pour « homicide involontaire ». Sur le banc des parties civiles, il y aura le frère du jeune homme de 25 ans, Rowan, avec qui il vivait dans sa petite maison du village de Calvignac.

Mais aussi, ce qui pourrait paraître plus surprenant, la fédération départementale de chasse du Lot. « On se doit d’être là, pour comprendre ce qui s’est passé. Tout n’a pas été respecté et on ne cautionne en rien l’acte du chasseur. Dans nos formations, les règles de sécurité sont primordiales, on apprend aussi que ne pas tirer est un acte de chasse », rappelle Michel Bouscary, son président, qui sera présent à l’audience.

A l’instar de Willy Schraen, le patron des chasseurs français, il met en avant la responsabilité individuelle du tireur de 35 ans, originaire de l’Aveyron, venu ce jour-là dans le Lot alors que la France vivait son second confinement. Et il ne cache pas qu’à la suite de cet accident mortel, « la chasse a subi un préjudice moral, a été attaquée de toutes parts ».

« Débanaliser » les accidents

Sur cette question de société, où les prises de position sont souvent tranchées, il y a en effet eu un avant et un après « Morgan Keane ». Depuis deux ans, plusieurs proches du Lotois se sont mobilisées à travers le collectif « Un jour un chasseur » pour faire évoluer la législation concernant cette activité pratiquée régulièrement par plus de 1,1 million de Français. « On a rendu le sujet politique. Je ne dis pas qu’on n’en parlait pas en avant, mais on n'a jamais autant parlé de la chasse que durant ces derniers mois et ces dernières semaines. Avant, les accidents étaient relatés de manière anodine, comme si c’était normal de mourir. Cela participe à débanaliser. Aujourd’hui, ils ne peuvent plus ignorer qu’il y a un problème avec la pratique actuelle de la chasse. Si le gouvernement décide de ne rien faire, c’est vraiment un choix conscient », estime Léa Jaillard, l’une des amies de la victime à l’origine du collectif.

Sur les réseaux sociaux, avec les autres cofondatrices, elles ont pointé régulièrement les incidents survenus sur le terrain ou donné la parole à ceux qui en ont été victimes. Mais au-delà de ce recensement, elles ont lancé l’an dernier une pétition citoyenne sur le site du Sénat. Un moyen de soumettre plusieurs propositions aux parlementaires, notamment celle d’une formation plus stricte, d’un meilleur contrôle et suivi des armes, des sanctions pénales « à la hauteur des délits commis » mais aussi des journées sans chasse les mercredis et dimanches.

Cette demande, reprise par des élus, mais aussi des candidats à la présidentielle comme Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, a relancé le débat. La mission du Sénat sur « la question de la sécurité à la chasse », mise en place lorsque la pétition a dépassé les 100.000 signatures, a rendu son rapport en septembre dernier. Elle ne reprend pas l’idée d’interdire la chasse certains jours, mais préconise que les préfets aient la possibilité de « limiter les jours et horaires de chasse pour assurer la sécurité des personnes ». Une série de 30 propositions qui s’est attiré les foudres aussi bien des partisans que des opposants à cette pratique, à l’origine de 90 accidents, dont huit mortels, au cours de la saison 2021-2022. Les membres de la mission sénatoriale ont par exemple proposé d’interdire l’alcool lors de la chasse, à l’origine de 9 % des accidents selon leur rapport.

Alcool, angle de tir, mais pas de jour sans chasse à l’étude

Une idée reprise depuis par le gouvernement qui a dévoilé il y a trois semaines son plan pour sécuriser la pratique de la chasse. Il porte notamment sur la formation en amont des chasseurs, les conditions dans lesquelles la chasse se déroule, de l’information des usagers ou du partage de l’espace. Ou encore « l’intégration de la règle de l’angle de tir de 30° », sans en dévoiler un calendrier pour l’appliquer. « Cette question de l’angle de sécurité existe depuis plus de vingt ans et on en parle lors de nos formations. Concernant l’alcoolémie, nous sommes d’accord. Il faut qu’on se base sur la législation du Code de la route, on ne doit pas boire qu’on soit au volant d’une voiture ou qu’on ait une arme à la main », approuve Michel Bouscary qui compte 6.500 chasseurs actifs au sein de sa fédération départementale. Il reste par contre opposé à une journée d’interdiction au motif du partage de la nature, rappelant qu’une majorité des parties de chasse se déroulent sur des terrains privés. « Après il y a des règles de sécurité très claires, on ne doit pas tirer en direction des chemins de randonnées ou d’habitation », assure ce pratiquant.



« Ils parlent de 80 % de terrains privés, mais les chasseurs ne possèdent pas 80 % des terrains en France. C’est une hypocrisie », critique Léa Jaillard pour qui les annonces du gouvernement sont très loin d’être suffisantes. Pour le collectif « Un jour, un chasseur », la question des journées de chasse doit être traité au niveau national et non local, comme cela a été un temps évoqué. « Sept Français sur dix demandent une interdiction le dimanche, les jours fériés, voire vacances scolaires. Ce n’est pas normal de se demander à chaque fois que l’on sort de chez soi si on va se prendre une balle dans la tête, dans le bras ou les jambes. On voit bien que rien n’est fait dans le sens des citoyens et tout va dans le sens des chasseurs, c’est un problème », déplore l’amie de Morgan Keane qui espère qu’une peine d’interdiction de chasser à vie sera prononcée à l’issue du procès. Il encourt aussi jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.

Mais au-delà d’une condamnation, pour Léa Jaillard « l’important c’est que l’on se rende compte qu’il y a des responsabilités à plusieurs niveaux et que l’on arrête de considérer que c’est banal de tuer quelqu’un en chassant ».