« Les femmes sont encore cantonnées dans des métiers moins bien payés que les hommes » constate Michelle Perrot
INTERVIEW À l’occasion du Festival international du film d’Histoire de Pessac, qui se penche sur les rapports hommes/femmes, « 20 Minutes » a interrogé l’historienne Michelle Perrot
- La 32e édition du Festival international du film d’Histoire de Pessac, se penche cette année sur l’histoire des rapports hommes/femmes.
- L’historienne Michelle Perrot ouvre le festival ce lundi soir avec une conférence au cinéma Jean-Eustache.
- « Les rapports entre les sexes se reconstruisent constamment, analyse cette spécialiste du mouvement féministe, et aujourd’hui nous sommes dans une phase très importante ».
Du début du féminisme au lendemain de la Révolution française, jusqu’à l’Affaire Weinstein, le Festival international du film d’histoire de Pessac (Gironde), qui s’ouvre ce lundi, embrasse dans toute sa largeur la thématique de cette 32e édition : « Masculin/Féminin, toute une histoire ». Quelque 120 films, fictions et documentaires, dont une quarantaine d’avant-premières, seront projetés tout au long de la semaine, et quarante-cinq rencontres sont programmées. Parmi elles, une conférence de l’une des principales historiennes du féminisme en France, Michelle Perrot, ce lundi à 18 heures. 20 Minutes l’a interrogé.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du mouvement féministe depuis que vous le suivez ?
Le féminisme est quelque chose d’intermittent, car il ne s’appuie pas sur des structures stables comme un parti ou un syndicat. Il survient dans les failles du pouvoir quand il y a des révolutions, des crises, ou des problèmes majeurs comme aujourd’hui. En revanche, il repose sur quelque chose d’assez constant depuis deux siècles, qui est la demande des femmes d’accès à l’égalité et à la liberté. Le système de rapport entre les sexes a été construit sur la domination masculine, ce qui est resté une évidence pendant longtemps pour les femmes, puis elles ont demandé de plus en plus à avoir la même chose que les hommes, ce qui est devenu aux XIXe et XXe siècles, quelque chose d’essentiel.
A quelle époque situe-t-on exactement le point de départ d’une « révolte féminine » ?
On pourrait en trouver beaucoup de traces dans les siècles passés, mais cela s’organise davantage à partir de la Révolution française. La Révolution a donné aux femmes des droits civils importants, mais leur a refusé les droits politiques, elles n’étaient donc pas citoyennes à part entière. C’est à ce moment-là, surtout dans les villes, que les femmes ont vraiment pris conscience d’une inégalité, et peu à peu le féminisme apparaît, même si le mouvement n’en porte pas le nom puisque le mot « féminisme » n’existe que depuis 1872. En 1848, des femmes s’organisent pour protester et demander le droit de vote, ce qu’elles continueront de revendiquer jusqu’en 1944.
Vous disiez il y a quelques années que « les femmes sont les grandes oubliées de l’Histoire, parce que celle-ci a été rédigée par les hommes », est-ce qu’à la faveur de l’évolution de travaux historiques, la connaissance sur l’histoire des femmes s’améliore ?
Oui, cela change, surtout depuis les années 1970. Faire l’histoire des femmes, c’est les rendre visibles, et voir qu’il y avait des mouvements de résistance, de grignotage du pouvoir. On les voit beaucoup plus vivantes, actives, résistantes, parlantes, que ce que l’on pouvait croire.
Aujourd’hui, quels sont les domaines où il y a selon vous le plus d’inégalité entre les hommes et les femmes, du moins en France ?
Le salaire, sûrement, et la formation aussi. Les femmes sont encore cantonnées dans des métiers qui sont moins bien payés que les hommes, qui est la grande raison de cette inégalité salariale. Il y a eu beaucoup de progrès ces dernières décennies, notamment en politique à la faveur de la loi sur la parité, mais il en reste encore pas mal à faire.
Surtout quand on regarde certains plateaux télé où on invite encore que des hommes, ou quand on voit récemment la Une du Film français qui n’avait convoqué que des hommes pour un sujet sur l’avenir du cinéma. Est-ce que cela vous choque ?
Il y a en effet des milieux dans lesquels cela progresse moins vite, les médias en font partie. Au cinéma, il y a un tel héritage de la femme « actrice-objet », que c’est long à changer. Il y a davantage de réalisatrices femmes, mais il n’y en a pas tant que cela. Et dans les milieux économiques enfin, l’inégalité est encore plus importante, notamment dans les directions de grands groupes. Plusieurs domaines restent encore des bastions masculins.
Vous dites que le féminisme est quelque chose d’intermittent, est-ce que selon vous il faut rester vigilant par rapport à des droits acquis qui pourraient être remis en cause ?
Il y a toujours des reculs possibles, et dès que la démocratie recule, les droits des femmes reculent aussi. Par exemple, quand il y a aux Etats-Unis un recul sur le droit à l’avortement, on ne peut pas s’empêcher de se dire que cela pourrait arriver chez nous. Il faut donc faire attention, car lorsque les femmes obtiennent des avancées, certains hommes prennent peur.
Quel regard portez-vous sur le mouvement #MeToo qui fête ses cinq ans, et sur la libération de la parole des femmes sur le harcèlement sexuel qu’elles peuvent subir ?
MeToo a été un mouvement très important, et depuis il y a une accélération de la prise de conscience. Les femmes ont su s’emparer des réseaux sociaux et toucher des millions de personnes. C’est une libération fondamentale d’une parole contenue, sur des choses qu’elles n’osaient pas dire, l’inceste, le viol, le harcèlement sexuel. Les rapports entre les sexes se reconstruisent constamment, et aujourd’hui nous sommes dans une phase très importante, car les hommes en prennent conscience aussi.
#MeToo est-il l’événement le plus important pour les femmes de ces dernières années ?
Je pense que le mouvement de libération des femmes des années 1970 est fondamental, et probablement plus important que ce qui se passe actuellement. A ce moment-là, les femmes ont gagné le droit à l’interruption volontaire de grossesse, et un enfant si je veux, quand je veux, c’est la véritable révolution. Les femmes devenaient maîtresses de leur sexualité. Ce qui est gagné aujourd’hui est très important, mais c’est dans la continuité de ce mouvement.
Festival international du film d’histoire de Pessac, jusqu’au lundi 21 novembre.