Harcèlement scolaire : « J’ai peur d’être ridicule en public »… Adultes, ils en gardent des séquelles

EDUCATION Près d’un élève sur dix est victime de harcèlement au cours de sa scolarité et en garde parfois des stigmates

Delphine Bancaud
Près d'un élève sur dix est victime de harcèlement au cours de sa scolarité, selon les chiffres communiqués par le ministère de l'Education.
Près d'un élève sur dix est victime de harcèlement au cours de sa scolarité, selon les chiffres communiqués par le ministère de l'Education. — Canva
  • A l’occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, qui aura lieu jeudi, 20 Minutes s’est intéressé aux séquelles qu’ont gardées les adultes d’un harcèlement scolaire subi dans leur jeunesse.
  • De nombreux lecteurs nous ont écrit pour raconter ce qu’ils avaient vécu et les stigmates qu’ils en ont conservés.
  • Car le harcèlement scolaire passé a parfois des incidences sur la vie sociale, sentimentale et professionnelle des années plus tard.

Une blessure qui a laissé des cicatrices. Selon le ministère de l’Education nationale, le harcèlement scolaire touche a minima 10 % des élèves au cours de leur scolarité, sachant que les faits sont souvent sous déclarés en raison de la peur des représailles éprouvées par les victimes. Si ces violences physiques ou verbales, ces humiliations, ces mises à l’écart causent une grande souffrance dans l’enfance ou l’adolescence, elles laissent souvent des traces durables chez l’adulte.

« L’enfant ressent un fort sentiment d’impuissance. D’autant plus si l’établissement a peu réagi et si la victime n’a pas pu se sortir elle-même de cette spirale infernale en désamorçant l’agressivité. Et le fait d’avoir subi le harcèlement pendant plusieurs années, et dans plusieurs établissements, augmente les risques d’en garder des séquelles », explique Philippe Aïm, psychiatre et spécialiste du sujet *. Chez certains, les mauvais souvenirs donnent lieu à des flash-back, comme chez les personnes sujettes à des syndromes post-traumatiques. C’est le cas pour Assia, 27 ans : « Des fois, il m’arrive de penser à toutes les méchancetés auxquelles j’ai pu être confrontée. Cela remonte à la surface et me fait mal, j’en pleure. »

« J’ai de grosses difficultés à me défendre en cas de conflit »

C’est surtout sur la vie sociale que le harcèlement passé peut avoir des incidences. Même des années plus tard, les anciennes victimes peuvent avoir du mal à faire confiance à d’autres personnes et douter de leurs propres qualités. « L’enfant a subi la méchanceté gratuite, ce qui a forgé chez l’adulte la croyance que n’importe où, quelqu’un pourrait le détester, le maltraiter verbalement. D’où une inquiétude face aux réactions des autres, une difficulté à s’affirmer », souligne le psychiatre. Jeanne, harcelée au collège car elle était ronde et bonne élève, témoigne de ce manque de confiance en elle : « Ce harcèlement m’a modelée, il a clairement joué sur ma perception des autres et de moi-même. Avec un besoin exacerbé de séduire, de plaire, d’être appréciée ».

Dans les cas les pires, ces expériences douloureuses ont généré une anxiété sociale perpétuelle. Comme pour Wilfrid, harcelé tout au long de sa scolarité : « Je suis rongé par la timidité, j’ai peur d’être ridicule en public. J’éprouve des difficultés de communication avec les autres et à faire la différence entre la critique constructive et la vraie critique. » L’estime de soi de Pauline reste aussi fragile : « Je fais toujours passer les besoins des autres avant les miens (parce que je pense ne pas être importante), je souffre d’anxiété sociale. J’ai beaucoup de mal à me faire de nouveaux amis, et même ceux avec qui je suis amie depuis longtemps, parfois, je doute. Je me demande s’ils sont vraiment sincères ou s’ils se moquent de moi derrière mon dos. » Céline, elle, estime même avoir développé une forme de paranoïa, « jusqu’à presser le pas dès que quelqu’un rit en me croisant dans la rue. Et j’ai de grosses difficultés à me défendre en cas de conflit, comme si j’avais intégré qu’il ne fallait pas répondre. »

« Cela a rétréci ma capacité au bonheur »

A l’inverse, d’autres sont toujours sur la défensive. Comme Laetitia : « Ça m’a forgé un caractère très dur, je ne suis pas quelqu’un qui me laisse faire. » Pierre, 48 ans, observe le même effet chez lui : « J’ai voulu me construire autour d’une image exagérée de gros dur qui ne correspondait pas exactement à qui je suis en réalité. Cela a rétréci ma capacité au bonheur », estime-t-il. De son côté, Audrey reconnaît que son « agressivité et son impulsivité sont comme blindage émotionnel ». « Certaines ex-victimes font preuve d’agressivité car elles considèrent les autres comme de potentiels ennemis », analyse Philippe Aïm.

Les répercussions peuvent aussi se faire sentir dans la vie professionnelle. Comme l’explique Cyrielle, qui se méfie toujours de ses collègues : « Lors des situations de harcèlement, la majorité des témoins encourage la situation par leur inaction, leur admiration ou leur crainte des grandes gueules qui font la loi. Tous ces profils sont présents en entreprise, je suis restée vigilante vis-à-vis d’eux », confie-t-elle. Dany, 26 ans, harcelé lors de son adolescence à cause de son acné, est persuadé que son physique sera un barrage à l’emploi : « Je ne trouverai pas de travail. Je vais avoir un diplôme, mais ce monde complètement pourri jusqu’à l’os fait que les gens ne voient que le physique. » Les choix de carrière peuvent aussi être influencés par ces expériences, selon Philippe Aïm : « Ils ne vont pas aller vers des postes à responsabilité pour ne pas trop s’exposer aux critiques. »



« J’ai trop peur de souffrir à nouveau pour oser m’engager »

L’impact de ce vécu douloureux se perçoit par ailleurs dans la vie sentimentale. « Là encore, ils vont éviter de nouer des relations pour éviter d’être critiqué », souligne Philippe Aïm. Claire, 36 ans, harcelée entre 13 et 16 ans, illustre parfaitement cette situation :  « L’image de mon corps est totalement dégradée et je vis encore très mal le regard des autres. J’expose rarement mes sentiments et mes émotions par peur qu’on s’en serve contre moi. Je suis une thérapie depuis un an à la suite de nombreux échecs dans mes relations J’ai trop peur de souffrir à nouveau pour oser m’engager et exposer mes sentiments à mon conjoint. »

Beaucoup d’anciennes victimes ont aussi adopté une hypervigilance vis-à-vis de l’école de leurs enfants. A l’instar de Cyrielle : « Je porte une attention plus grande vis-à-vis de leurs relations avec leurs camarades. Pour que "des histoires entre enfants qui doivent rester entre enfants" n’en égratignent pas certains au passage. » Chantal, elle, tente de les protéger au maximum : « Pendant toutes leurs années collège, j’ai toujours veillé aux codes vestimentaires par peur qu’ils soient exclus et n’aient pas d’amis. » Quant à Mégane, elle a décidé de mettre sa fille dans une école privée par précaution : « Là-bas, ils ne prennent pas ce genre de choses à la rigolade », se persuade-t-elle.

« Je me considère comme un survivant »

Pour digérer le passé, certains ont pris le taureau par les cornes, comme Guillaume : « J’ai vu un psy l’année dernière pour essayer de surmonter cette solitude. Heureusement, depuis quelques mois, j’ai trouvé de vrais amis, qui sont toujours là pour moi quand j’ai un coup de mou. » Audrey a aussi l’impression d’avancer : « J’ai vu deux psychologues, ce qui m’a permis de verbaliser ce que j’avais vécu et de reprendre confiance en moi. Actuellement, je suis des séances d’hypnose qui m’aident beaucoup. Mon compagnon est aussi un pilier indispensable à mon cheminement. »

Quant à Wilfrid, sa thérapie, c’est d’aider les autres : « J’ai ouvert un groupe sur Facebook, via lequel j’aide beaucoup de parents avec leurs enfants victimes de ce fléau. J’ai 32 ans et je me considère comme un survivant du harcèlement. »

* Philippe Aïm est l’auteur d’Aider l’enfant à se sortir du harcèlement scolaire, 2021, Marabout, 7,90 euros.