Académie française : Beigbeder et Duteurtre recalés… Les Immortels peuvent-ils vraiment rajeunir ?
COUP DE SEMI-JEUNE L’institution de 388 ans, qui apparaît poussiéreuse aux yeux de nombreux Français, affiche une moyenne d’âge de 70 ans
- Les écrivains Frédéric Beigbeder et Benoît Duteurtre s’affrontaient ce jeudi pour un siège à l’Académie française, mais ont tous les deux été recalés.
- Les auteurs de 57 et 62 ans espéraient rajeunir une assemblée qui en a bien besoin.
- Mais les immortels peuvent-ils vraiment rajeunir, alors qu’ils défendent une idée bien particulière de la langue française depuis près de 400 ans ?
Le duel promettait d’être serré et les deux aspirants repartent sans siège. Ce jeudi, les écrivains Frédéric Beigbeder et Benoît Duteurtre se sont affrontés dans une élection à l’Académie française. A respectivement 57 et 62 ans, les deux auteurs espéraient rajeunir l’institution où la moyenne d’âge s’établit à 70 ans et dépasse d’une courte tête celle des lecteurs de 20 Minutes (on rigole). Le coup de jeune aurait tout de même été assez relatif pour cette institution vieille de 388 ans qui apparaît poussiéreuse aux yeux de nombreux Français.
Difficile de se renouveler au quai de Conti, les fauteuils se conservant jusqu’à la mort. Frédéric Beigbeder et Benoît Duteurtre sont toutefois des auteurs très médiatisés et auraient pu aider à « rajeunir l’image de l’institution » ce qui peut être une « stratégie afin d’avoir plus de légitimité dans la population générale », souligne Mary C. Lavissière, maîtresse de conférences à Nantes Université et chercheuse en langues appliquées et en linguistique historique.
Une institution en décalage
Reste que l’Académie française n’aurait pas fait sa révolution interne en intégrant l’un des deux écrivains populaires. « Être jeune ne signifie pas obligatoirement être subversif, qu’ils soient jeunes ou vieux, ça dépend plutôt de leur rapport à la langue », souligne la linguiste Véronique Perry. Et dans le monde des immortels, pas question d’être subversif.
En novembre 2021, le dictionnaire en ligne du Robert a intégré le mot « iel », provoquant une myriade de réactions outrées. Le député de la majorité François Jolivet avait alors dénoncé l’arrivée du pronom agenré et saisi les immortels. En 2017, l’Académie avait qualifié l’écriture inclusive de « péril mortel » pour la langue française. L’institution est souvent en décalage avec l’usage de la langue. Le « gardien de la langue française » s’exprime le plus souvent pour décrier des mots ou des expressions qui apparaissent sur les lèvres des locuteurs.
« Une aigle » mais « la Covid »
Lors de la pandémie, « l’Académie française a décidé qu’il fallait dire "la Covid" alors que l’usage général était "le Covid", ce que tous les locuteurs ont accepté », rappelle Mary C. Lavissière. Les immortels choisissent des « normes qui ne sont pas forcément ce qui se dit le plus généralement mais plutôt les normes de ce qui "devrait être dit", c’est une institution qui se voit gardienne d’un français "correct" », explique la maîtresse de conférences.
Un français « correct » et surtout celui des classes sociales supérieures. L’Académie française estimait en 2008 que la reconnaissance des langues régionales revenait à un « déni de la République ». Quant à l’écriture inclusive, il s’agirait d’un « péril mortel » et le franglais une « inquiétude ». « Pourtant, l’institution n’a pas hésité à accéder à la requête de Napoléon Bonaparte qui souhaitait qu’une aigle devienne "un aigle" », rappelle l'écrivaine Audrey Alwett. En effet, l’empereur désirait en faire son emblème et le féminin était (est) considéré comme dégradant. Les immortels ont donc promptement accédé à sa requête.
Une langue « classiste, sexiste et raciste »
« La langue appartient au peuple et régenter la langue par le biais d’une académie est en soi une forme d’autoritarisme et d’appropriation », dénonce Véronique Perry, pour qui l’institution est une « aberration ». Créée en 1647, sous la houlette du cardinal de Richelieu, l’Académie française a toujours eu pour objectif de surveiller la langue française ou une certaine idée de la langue française. « L’objectif était de donner une règle, mais aussi d'imposer, car la langue a un pouvoir politique, économique et même culturel », précise Mary C. Lavissière. L’Académie est donc protectrice d’une langue « pure », selon ses propres définitions, qui s’avère « classiste, sexiste et raciste », d’après Véronique Perry.
Ainsi, « le grammairien Claude Faivre de Vaugelas fixe [en 1647] les règles de l’accord établissant que "la forme masculine a prépondérance sur le féminin, parce que plus noble" », ce que l’autre grammairien Nicolas Beauzée confirmera en 1767 en ajoutant « à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », explique la linguiste dans ses travaux. Dans l’Hexagone, les classes supérieures mettent un point d’honneur à sacraliser la langue de Molière. Alors que Voltaire s’amusait à faire des fautes d’orthographe pour agacer l’institution, « la société [continue de] juge[r] la qualité de l’autorité d’une personne par rapport à son accent ou son langage », souligne Mary C. Lavissière.
« Un rapport affectif à la langue »
En près de 90 ans, les immortels n’ont pas produit un seul dictionnaire complet, la neuvième édition n’étant pas encore achevée. Les immortels s’expriment surtout sur l’usage d’un mot ou d’une expression nouvelle qu’elle refuse d’approuver. Pour Véronique Perry, experte du langage, l’Académie française « ne devrait pas exister ». « Ce sont tous des écrivains qui ont un rapport affectif à la langue et non pas scientifique. Dès qu’il s’agit de réforme, que le peuple ou que d’autres personnes qu’eux-mêmes veulent donner un avis sur la langue qu’ils ont sacralisée, ils s’insurgent », regrette la chercheuse.
« Les institutions sont en général conservatrices, notamment l’Académie. Mais le risque c’est de devenir entièrement détaché de l’usage de la langue française et de la personne lambda » et donc, à terme, de finir « écarté de la conversation sur la langue » et ses évolutions, explique Mary C. Lavissière. A force de tenter de figer la langue française, l’Académie risque en effet d’apparaître comme un symbole du passé et de se déconnecter du reste de la population française qui, elle, ne cesse de s’amuser et se taquiner au sujet de sa diversité linguistique. Tancarville ou étendage, pain au chocolat ou chocolatine, mouillettes ou bûchettes à tremper dans son œuf à la coque… Quel que soit le nouvel immortel, l’usage continuera à triompher.