Pénurie de carburant : Mais au fait, ça consiste en quoi une réquisition de grévistes ?
Grève Emmanuel Macron a répété qu’il utiliserait les réquisitions pour assurer la distribution de carburants
- La Première ministre Elisabeth Borne a lancé mardi la réquisition de salariés en grève pour ouvrir le dépôt de carburant d’Esso-ExxonMobil à Port-Jérôme, en Normandie.
- Le gouvernement espère ainsi refaire le plein des stations les plus touchées par la pénurie de carburant, et relancer la production dans un second temps.
- Comment réquisitionne-t-on un salarié ? Quelles sont les limites pour l’Etat ? Un gréviste peut-il refuser la réquisition ? 20 Minutes fait le point avec l’avocate spécialisée en droit du travail Marie-Océane Gelly.
De la menace d’Olivier Véran mardi à l’agacement d’Emmanuel Macron mercredi soir, les signes d’une certaine fébrilité du gouvernement sur la pénurie de carburant n’ont pas manqué. Il faut dire que les petits incidents à la pompe se multiplient, et qu’une partie des services du pays est à l’arrêt ou au bord de la paralysie. Alors il faut que l’essence coule à nouveau, « quoi qu’il en coûte ». Elisabeth Borne a ainsi décidé de forcer la main aux syndicats, en annonçant des réquisitions de personnels. Mais comment « réquisitionne-t-on » un salarié qui ne travaille pas ? Et que risquerait un gréviste à resquiller ? 20 Minutes fait le point.
Pourquoi le gouvernement lance-t-il ces réquisitions ?
Le gouvernement a lancé la réquisition dès mardi des personnels des dépôts de carburants du groupe Esso-Exxonmobil sur le site de Port-Jérôme, et du dépôt de TotalEnergies à Flandres ce jeudi. L’action reste donc pour le moment limitée aux stocks de carburants, et non à la production des raffineries. Elle « va permettre d’assurer l’expédition des produits », « normalement aujourd’hui vers la région parisienne » par oléoduc, a précisé mercredi une porte-parole d’Esso France.
L’objectif pour le gouvernement est donc de se ménager une période d’accalmie en alimentant les pompes franciliennes et des Hauts-de-France, deux régions particulièrement touchées par les fermetures de stations-essence. Par la suite, « comme vous allez pouvoir vider un peu du stock dans les centres de dépôt, vous allez pouvoir permettre aux raffineries de recommencer à fonctionner normalement, puisqu’elles pourront à nouveau stocker leur carburant dans les centres de dépôt », espère Olivier Véran.
Comment se passe une réquisition ?
Le recours aux réquisitions est « très rare » et « strictement encadré », précise l’avocate spécialiste en droit du travail Marie-Océane Gelly, interrogée par 20 Minutes. Elle cite trois cas : en cas d’urgence pour la santé publique ; pour répondre aux « besoins généraux de la nation », selon l’article L2212 du Code la Défense ; et en cas d’atteinte « constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique », selon l’article 2215-1 du Code général des collectivités territoriales.
C’est ce dernier cas qui est mis en avant par le gouvernement. Or, la décision de réquisition est prise par le préfet, ce qui est « une manière de leur renvoyer la responsabilité », estime l’avocate. Le préfet envoie alors un arrêté de réquisition, avec « une durée encadrée » et sur lequel « la prestation requise doit être précisée », à l’entreprise concernée. C’est ensuite à l’entreprise « de désigner les salariés et de les identifier auprès de la préfecture », poursuit Marie-Océane Gelly. Dans le cas de la raffinerie d’ExxonMobil à Port-Jérôme, quatre salariés, deux pour mercredi et deux pour jeudi, étaient concernés et avaient pour mission d'ouvrir les vannes du dépôt. En cas de besoin, la préfecture peut ainsi envoyer les forces de l’ordre au domicile du salarié réquisitionné pour lui notifier l’ordre du préfet.
Quelles sont les limites pour l’Etat et les grévistes ?
Une fois la police devant sa porte, ou venue déloger le piquet de grève, difficile de resquiller. « C’est un délit de ne pas exécuter une mesure prise par le préfet », signale Marie-Océane Gelly, et le contrevenant s’expose à six mois de prison et 10.000 euros d’amende. Mais il faudra d’abord voir si « ces arrêtés sont conformes au droit, validés par le tribunal administratif et le Conseil d’Etat », reprend l’avocate, mettant l’accès sur « la notion de nécessité ».
De même, l’arrêté doit être « limité territorialement » et « ne peut concerner que les personnels indispensables au bon fonctionnement » des dépôts. Impossible donc de réquisitionner un cadre ou un informaticien pour ouvrir les vannes à la place des opérateurs. Enfin, même en cas de refus d’obtempérer, Marie-Océane Gelly rappelle que le salarié « n’a pas à être sanctionné par son entreprise », puisqu’il exerce son droit de grève. Un droit « fondamental », répète l’avocate, qui se désespère d’une « manière brutale de procéder ».