Harcèlement scolaire : Pourquoi les violences sont-elles plus fréquentes au collège ?

EDUCATION Si certaines agressions démarrent en primaire, c’est au collège que les victimes disent en avoir subi le plus…

Delphine Bancaud
Selon une étude d'Apprentis d'Auteuil, 71% des victimes de violences scolaires disent avoir été agressées au collège.
Selon une étude d'Apprentis d'Auteuil, 71% des victimes de violences scolaires disent avoir été agressées au collège. — Canva
  • Selon le baromètre sur les violences scolaires de l’association les Apprentis d’Auteuil dévoilé ce jeudi, 7 jeunes sur 10 déclarent avoir déjà subi des violences au sein de leur établissement.
  • Ces violences ont majoritairement lieu au collège (cité par 71 % des répondants) et dans une moindre mesure en élémentaire (27 %), au lycée (26 %) et en maternelle (6 %).
  • Une récurrence qui s’explique notamment par l’effet de groupe, très fort au collège. Mais aussi au fait que le portable fait son entrée dans la vie des ados…

Presque aucun élève n’est épargné. Selon le baromètre de l’association les Apprentis d’Auteuil dévoilé ce jeudi, 7 jeunes sur 10 déclarent avoir déjà subi des violences au cours de leur scolarité. Celles-ci sont protéiformes : 64 % des victimes disent avoir déjà subi une agression verbale (insultes, moqueries…), 44 % une violence psychologique (harcèlement moral, humiliations liées aux résultats scolaires, cyberharcèlement…) et 38 % une atteinte physique (bousculades, coups…).

Selon l’étude, ces violences ont majoritairement lieu au collège (cité par 71 % des répondants), et dans une moindre mesure en élémentaire (27 %), au lycée (26 %) et en maternelle (6 %). Elles ont des conséquences graves, car elles entraînent une baisse de confiance en soi (pour près de 50 % des victimes), du décrochage et de la phobie scolaire (près de 30 %), et ont des effets néfastes sur leur santé mentale et physique (22 %).

« Les agressions vécues à cet âge-là, on s’en souvient toute sa vie »

« C’est d’autant plus grave que les années que l’on vit entre 11 et 14 ans sont les plus décisives dans la vie d’un être humain : c’est le moment où l’on est en pleine construction personnelle. Or, les violences scolaires détruisent l’image que le jeune a de lui et lui donnent l’impression que l’adulte ne joue pas son rôle de protecteur », explique Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie et initiateur du programme pHARe, destiné à lutter contre le harcèlement scolaire. « Les agressions vécues à cet âge-là, on s’en souvient toute sa vie », renchérit Pascale Lemaire-Toquec, experte des questions d’éducation à Apprentis d’Auteuil.

Si les violences sont si importantes au collège, c’est que le terrain est propice, souligne Jean-Pierre Bellon : « Ces violences prennent naissance à l’école élémentaire : on considère que ce sont des chamailleries entre élèves, on n’y porte pas beaucoup attention. Du coup, le phénomène se consolide au collège. » Par ailleurs, 44 % des jeunes interrogés évoquent l’effet du groupe comme la première raison poussant des jeunes à se montrer violents vis-à-vis de leurs camarades. « Le meilleur moyen de se faire accepter dans un groupe est d’adopter un ennemi commun. Il faut avoir une sacrée force de caractère pour s’opposer à la puissance d’un clan », décrypte Jean-Pierre Bellon.

« Ils ne se ressentent pas comme agresseurs »

L’entrée au collège, c’est aussi le moment où les adolescents acquièrent un téléphone portable et peuvent potentiellement se livrer au cyberharcèlement. « Ils ont accès de plus en plus tôt à des contenus inadaptés pour leur âge. Ce qui contribue à banaliser la violence et les insultes. Et comme ce sont des éponges, ils reproduisent ces comportements. Au début du collège, ils ne sont que peu sensibilisés aux questions d’identité de genre, d’orientation sexuelle et d’égalité hommes-femmes. D’où la récurrence des propos sexistes ou homophobes », ajoute Nora Fraisse, fondatrice de l’association « Marion la main tendue ».  « Ils ne sont pas formés au bon usage des réseaux sociaux. Certains ne pratiquent pas l’autocensure et n’ont pas conscience de l’effet amplificateur des critiques qu’ils postent à propos de leurs camarades », observe aussi Pascale Lemaire-Toquec.

En effet, rares sont les collégiens violents qui se perçoivent comme tels : « Ils ne se ressentent pas comme agresseurs lorsqu’ils reprennent le surnom méchant qu’on a donné à un camarade. Ils considèrent que c’est de l’humour », constate Jean-Pierre Bellon. Et cette absence de culpabilité va contribuer à la multiplication des violences.

Les parents pas souvent au courant

Les problèmes scolaires sont aussi un terreau favorable pour ces agressions, comme le constate Nora Fraisse : « C’est au collège que certains élèves commencent à décrocher. Et les problèmes scolaires qu’ils rencontrent suscitent de l’anxiété et de la violence chez eux, qu’ils retournent bien souvent sur leurs camarades ».

Enfin, si les violences prospèrent au collège, c’est aussi parce que les élèves changent de prof à chaque matière. Ce qui rend plus difficile la détection des cas de détresses par les enseignants. Et rares sont les collégiens agressés qui en parlent à leur famille : « Notre étude montre que 78 % des parents pensent que leurs enfants se confient à eux quand ils sont victimes de violences, alors que seulement 54 % des jeunes le font », relève Pascale Lemaire-Toquec. « S’ils n’en parlent pas, c’est notamment parce qu’ils ont peur des représailles », souligne Nora Fraisse.

Des référents sur le sujet, la bonne solution

Reste que les violences au collège ne sont pas une fatalité. Pour prévenir ce phénomène, il faut démarrer très tôt, prévient Jean-Pierre Bellon : « Les occasions de se retrouver dans une situation gênante sont multiples quand on est élève : une réponse maladroite à un enseignant, une chute en public, une tenue qui ne sera pas bien jugée… Dès l’école maternelle, il faut que tout adulte assistant à des railleries intervienne immédiatement pour calmer la classe et rassurer la victime ».



L’espoir repose aussi sur le programme pHARe, dédié à la prévention du harcèlement, généralisé depuis cette rentrée. Il consiste à disposer d’une équipe de référents sur le sujet dans chaque établissement, avec des élèves ambassadeurs dont le rôle est d’identifier les situations problématiques. Les adultes prennent ensuite le relais pour s’entretenir avec la victime, puis avec le ou les agresseurs, afin de trouver une solution. Une formule qui a fait ses preuves lors de ses expérimentations.

* Enquête réalisée en ligne du 18 août au 28 août 2022, par OpinionWay auprès de 1.000 parents d’enfants âgés de 15 à 20 ans et de 1.000 jeunes âgés de 15 à 20 ans, selon la méthode des quotas.