Incendies en Gironde : « Il faut arrêter d’enchevêtrer des lotissements dans la forêt »
SOUS LES CENDRES (3/3) Après les incendies qui ont dévasté près de 30.000 hectares de forêts cet été, « 20 Minutes » s’intéresse aux conséquences concernant les règles de construction en zone forestière
- « Par le passé, l’urbanisation a très peu pris en compte le risque incendie » estime la géographe Christine Bouisset.
- « L’été exceptionnel que nous venons de vivre risque fort de devenir un été normal d’ici dix à quinze ans » prévient le directeur de la Direction départementale des territoires et de la mer, et si « construire la ville sous la forêt est peut-être très agréable, c’est surtout extrêmement dangereux. »
- Les autorisations et les règles de construction en zone forestière pourraient être revues.
- Les cinq campings incendiés au pied de la dune du Pilat, devraient de leur côté rouvrir en 2023, mais avec des aménagements différents.
Après le choc, la prise de conscience ? « Tout le monde pensait que nous étions à l’abri, en Gironde, des grands incendies, estime Renaud Laheurte, directeur de la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer). Avec 28.000 hectares brûlés au cours de l’été, il va falloir intégrer un mode d’urbanisme différent ».
Entre juillet et septembre, trois grands incendies, à Landiras, La Teste puis Saumos, ont ravagé la forêt en Gironde. « Les dispositifs de secours et de gestion de crise ont été efficaces, mais il y a quand même eu un facteur chance, analyse de son côté Christine Bouisset, maître de conférences en géographie, membre du laboratoire Tree (Transitions énergétiques et environnementales) à l’université de Pau. Si le départ de feu à La Teste était survenu plus près des campings, à un moment de grande affluence, on aurait pu avoir une catastrophe bien plus grande. » Elle aussi, en appelle à la prise de conscience pour revoir la façon d’aménager l'habitat en zone forestière.
« La priorisation se fait au détriment des forêts »
« Par le passé, l’urbanisation a très peu pris en compte le risque incendie, même s’il y a eu un peu plus de vigilance ces dernières années, considère la géographe. Ce qui pose problème, c’est l’enchevêtrement auquel on arrive, entre zone urbanisée et zone forestière. On se retrouve ainsi avec des parcelles forestières prises au milieu d’habitations, avec le risque de faire arriver un incendie au milieu de zones habitées, et de rendre plus complexe l’entretien de ces parcelles. »
Le président du conseil départemental de la Gironde, Jean-Luc Gleyze (PS), s’il refuse de parler « d’urbanisation anarchique » dans son département, reconnaît toutefois que « plusieurs villages se sont progressivement agrandis à leurs limites, parfois au contact direct de la forêt, sans aucune zone de protection ». Avec pour conséquence, rappelle Christine Bouisset, que « les secours ont été contraints de prioriser leurs actions cet été, ce qui est normal : d’abord les populations, puis les habitations, et en dernier la forêt. La priorisation se fait donc au détriment des forêts. »
« Créer des bandes autour des lotissements »
Deuxième conséquence de l’urbanisation, continue la chercheuse, « plus une forêt est habitée, fréquentée, qui plus est par des gens peu au fait des problématiques forestières, plus cela multiplie les départs de feu accidentels, les gestes d’imprudence…. » Quand les incendies ne sont pas le fait de pyromanes.
Plusieurs questions se posent désormais. Comment urbaniser à l’avenir dans le secteur rural du sud du département, sachant que la Gironde reste un département attractif, accueillant 20.000 habitants supplémentaires chaque année ? Et considérant que « l’été exceptionnel que nous venons de vivre risque fort de devenir un été normal d’ici dix à quinze an, prévient Renaud Laheurte. Construire la ville sous la forêt est peut-être très agréable, mais c’est surtout extrêmement dangereux. »
« Il faut généraliser des dispositifs, qui existent déjà, consistant à créer des bandes périmétrales autour des lotissements, de façon qu’il n’y ait pas de végétation trop dense à proximité des zones habitées, annonce Christine Bouisset. C’est faisable, à partir du moment où on l’intègre dès le moment de la construction. Il faut arrêter d’enchevêtrer des bouts de lotissement à la forêt. Il faut aussi prévoir des accès pour les secours et refuser les permis de construire si ces mesures ne sont pas appliquées. Un lotissement ne devrait jamais être autorisé si ces normes de sécurité ne sont pas appliquées. »
« Aller vers un urbanisme plus regroupé »
« Les pompiers ont défendu 4.402 habitations en tout, cet été en Gironde [pour une trentaine de bâtiments détruits à l’arrivée], qui se trouvaient soit dans la forêt, soit en lisière, rappelle le directeur de la DDTM. Il est clair qu’on a un travail à mener avec les collectivités pour simplifier les lisières entre l’urbanisation et la forêt, pour éviter le mitage de la forêt. Il faut aller vers un urbanisme plus regroupé. »
A Belin-Béliet, dans le sud Gironde, dix logements, des granges et des garages ont été détruits par les incendies de Landiras cet été. « Sur ces secteurs qui ont brûlé [en bordure de forêt], le plan local d’urbanisme (PLU) restreignait déjà considérablement les droits à la construction depuis janvier 2019, et il est évident, qu’après ces incendies, il n’y aura pas d’autorisation complémentaire », assure le maire Cyrille Declercq. Sur le reste de la commune, « les droits à construction concernent uniquement le centre-bourg, et pour la périphérie de la commune, il n’est pas exclu qu’il y ait une nouvelle approche, mais pour l’instant aucune décision n’a été prise. »
Jean-Luc Gleyze souligne de son côté que le « zéro artificialisation nette (Zan) des sols [qui va entrer en vigueur progressivement, pour s’appliquer aux collectivités à partir de 2050] va fortement impacter la manière dont vont se développer les territoires, et les maires vont avoir de plus en plus de difficultés à imaginer des projets d’équipement public, et à pouvoir répondre aux besoins des populations. » « Le Zan va inévitablement poser la question des formes urbaines, et l’épisode que l’on vient de vivre va nourrir cette réflexion », affirme la première vice-présidente départementale, Christine Bost.
« Eduquer la population au risque incendie »
Deuxième priorité pour la géographe : « sécuriser l’existant », pour séparer les zones urbanisées des zones boisées. « Le pire, c’est la ville sous forêt, et il va falloir sérieusement s’interroger sur l’avenir de ces zones-là. » Déjà très urbanisé, le secteur de La Teste, sur le bassin d’Arcachon, est davantage concerné. « Chez nous, 92 % du territoire est soumis à un classement, et il n’est plus possible de construire en bordure de forêt, explique le maire de La Teste-de-Buch, Patrick Davet (LR). En revanche, il faut faire de la prévention. Je vais faire appliquer l’obligation légale de débroussaillage de 50 mètres autour de chez soi, car elle ne l’est pas toujours. Dans mon PLU (Plan local d’urbanisme), je ne veux plus aucune bâtisse noire, car cela conserve la chaleur. Enfin, il va falloir réfléchir à remettre en place des procédures, pour éduquer la population au risque incendie. A Cazaux cet été, les habitants ont été évacués très rapidement, sans avoir le temps de prendre des affaires, je pense qu’il faut avoir dans sa maison un sac de prêt, en permanence. »
Avec 48.000 habitants évacués au cours de l’été en Gironde, il faut effectivement « travailler la gestion de crise », abonde Christine Bouisset. « On a vu cet été qu’au moment d’évacuer le Pyla, il y a eu des embouteillages. Que se serait-il passé s’il avait fallu évacuer en urgence, sous la pression du feu ? Il faut donc être prêt quand ça arrive, par des exercices d’évacuation, une sensibilisation dès tout petit à l’école, des messages répétés. »
Les campings rouvriront « dans des conditions différentes »
Reste enfin la question des campings. Cinq établissements situés au pied de la dune du Pilat, ont été plus ou moins détruits par les incendies. « La sécurité a toujours été une priorité chez nous, assure Franck Coudert, gérant du camping de la Dune-Les Flots Bleus. Nous avions investi deux millions d’euros pour refaire le camping dans les règles, et les obligations en matière de prévention incendie étaient déjà respectées : détecteurs de fumées dans les mobil-homes, extincteurs, une zone de 50 mètres à entretenir autour du camping, etc. Si demain il faut en rajouter, on en rajoutera. »
« Le président de la République a très rapidement assuré aux campings qu’ils pourraient rouvrir la saison prochaine, mais dans des conditions un peu différentes », rappelle, de son côté, Renaud Laheurte. Avec les incendies, le paysage va en effet changer, puisqu’une partie de la forêt a été détruite, ou va l’être, quand il faudra couper le bois mort.
« Un avant et un après » 2022
A court terme, « cela va rendre visible ces campings » depuis le haut de la dune, alors que ces installations ont été contraintes d’effectuer des aménagements pour avoir le moins d’impact visuel possible, depuis que le site du Pilat est classé. Cela entraînera également des zones d’ombre en moins pour ces structures. « Il faut donc trouver le moyen d’atténuer l’impact qu’elles peuvent avoir, poursuit le représentant de l’Etat. On travaille avec eux à ce sujet, et la réouverture à l’été 2023 se fera avec des aménagements provisoires. On pourrait envisager des voiles vertes pour faire de l’ombre et cacher les bâtiments, c’est une option. »
Réunis dans l’association Campyla, les cinq campings sinistrés s’entraident pour trouver des solutions. Celui des Flots Bleus a encore des bâtiments debout (la réception, l’épicerie, l’administration, le restaurant) et pourrait, pour cette raison, faire partie des premiers à rouvrir. Franck Coudert espère une réouverture, même partielle, « dès le printemps prochain, comme d’habitude. » « Le manque d’ombre est une problématique, reconnaît-il toutefois, et effectivement on réfléchit à installer des voiles d’ombrage sur les mobil-homes et les emplacements, pour accueillir les gens dans les meilleures conditions. »
« Nous allons soumettre aux autorités un projet d’ici la fin de l’année, poursuit le gérant, et ils nous diront ce qu’on peut faire ou pas. On s’intéresse aux énergies nouvelles à la récupération d’eau, au réemploi du bois pour les clôtures. On veut repartir sur des bâtiments en ossature bois plutôt qu’en dur, et pourquoi pas devenir un site pilote pour la création de campings ? »
Pour tous ces acteurs, il est désormais clair qu’il y aura « un avant et un après » aux incendies de l’été 2022.