Universités : La galère quotidienne de nombreux doctorants, entre précarité et débrouille
Enseignement supérieur Une étude de la Fage, qui paraît ce mardi, dévoile les conditions de vie difficiles de certains thésards
- Près d’un quart des doctorants ne bénéficient pas d’un financement pour préparer leur thèse.
- Et ce car ils n’ont pas réussi à décrocher un contrat doctoral ou un autre type de financement.
- Ce qui les oblige à travailler en parallèle de leur projet de recherche. Avec des conséquences sur leur doctorat et leur vie personnelle.
Recherche thésards désespérément. « En douze ans, la France a perdu 10.000 doctorants, soit près de 13 % », souligne une étude de la Fage dévoilée ce mardi. Une chute qui s’explique par la réticence de certains étudiants à s’engager dans cette voie, notamment parce qu’ils redoutent de ne pas pouvoir joindre les deux bouts.
Il faut dire que selon une étude du ministère de l’Enseignement supérieur, à la rentrée 2020, seulement 74 % des doctorants ont bénéficié d’un financement pour leur première année de thèse. « En sciences humaines et sociales, ce chiffre descendait à 39 % », souligne Fanny Sarkissian, vice-présidente de la Fage en charge du 3e cycle et de la recherche.
« J’ai postulé à un contrat doctoral mais cela n’a pas été concluant »
En cause, la difficulté pour ces étudiants d’obtenir un contrat doctoral financé par une école doctorale ou un organisme de recherche (Cnes, CNRS, CEA…) Une situation dont témoigne Dolores, en 3e année de doctorat en sciences de l’information et de la communication à Dijon : « J’ai postulé à un contrat doctoral mais cela n’a pas été concluant. Car c’est comme un concours, on a de la concurrence ». Par ailleurs, les contrats doctoraux ne poussent pas sous les sabots d’un cheval. « Il en manque depuis des années, car l’Enseignement supérieur est sous-financé », affirme Fanny Sarkissian. Pourtant, la loi de programmation de la recherche (LPR), adoptée le 20 novembre 2020, prévoit une augmentation de 20 % du nombre de contrats doctoraux financés par le ministère, pour les années 2021 à 2030. « Mais force est de constater que la LPR n’a pas eu l’effet escompté, car les financements n’ont pas été votés dans le projet de loi de finances 2022 », indique Fanny Sarkissian.
Selon l’enquête de la Fage, 28 % des doctorants rencontrent aussi des difficultés administratives lorsqu’ils veulent candidater à un contrat doctoral : « Il faut parfois répondre à un appel à projets en juin alors qu’ils ne seront diplômés de leur master qu’en septembre », souligne Fanny Sarkissian. Certes, il est aussi possible de faire financer sa thèse via le dispositif Cifre** (Conventions industrielles de formation par la recherche). Mais là encore, les opportunités sont rares. Lors de sa conférence de presse jeudi dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, a bien annoncé l’augmentation de 50 % du nombre de Cifre… mais d’ici à 2027. Et des collectivités territoriales ou des fondations sont aussi susceptibles de financer les recherches, mais en des proportions plus faibles.
La valse des petits boulots pour certains
Pour ceux qui n’obtiennent aucun financement, il ne reste plus qu’une solution : travailler en parallèle de leur thèse, à l’instar de Dolorès. « J’ai occupé un poste d’assistante administrative pour 700 euros net par mois ; le strict minimum pour vivre. Puis je suis devenue enseignante contractuelle, et là je viens de décrocher un emploi d’attaché temporaire d’enseignement et de recherche », raconte-t-elle.
Le plus souvent, les doctorants occupent des postes enseignants vacataires à l’université. Mais mieux vaut ne pas espérer des gains mirobolants. « Car une heure de travaux dirigés (TD) est rémunérée 41,41 euros. Et elle équivaut en fait à 4,2 heures de travail effectif, puisqu’un TD exige des heures de préparation en amont et une phase de correction en aval. Cela revient donc à payer les doctorants à 9,80 euros brut par heure », constate Fanny Sarkissian. Sachant que la majorité des universités payent les vacataires à la fin du semestre.
« Les loisirs et les congés, je les ai mis en suspens »
Ces problèmes financiers finissent par avoir des conséquences sur le doctorat : « Cela impacte leurs recherches pour 40 % des doctorants interrogés, car le temps dédié à un emploi alimentaire ralentit grandement leur travail », souligne Fanny Sarkissian. Et leur quotidien n’est pas des plus riants, comme en témoigne Dolores : « Je passe la moitié de mon temps à plancher sur ma thèse, et l’autre à travailler pour gagner ma vie. Ça nécessite beaucoup d’énergie. Les loisirs et les congés, je les ai mis en suspens pour au moins trois ans. »
Pour celles et ceux qui trouvent un financement, ce n’est pas la panacée non plus. Si la rémunération du contrat doctoral vient d’être revalorisée en septembre (1.975 euros brut mensuels) et que pour les bénéficiaires du Cifre, un salaire minimum de 1.957 euros brut par mois est prévu, cela ne suffit pas toujours quand on habite à Paris. « 26 % des répondants à l’enquête ont un financement qui ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins », constate Fanny Sarkissian. D’autant que les travaux de recherche entraînent des coûts financiers (participation à des séminaires, ordinateur, logiciels…). « Or, si ces frais sont pris en charge pour certains doctorants, d’autres sont obligés de payer de leur poche », observe Fanny Sarkissian. Enfin, seules 40 % des thèses sont soutenues au bout de trois ans. Or, les financements durent au mieux trois ans, ce qui laisse les doctorants sans aucune ressource après pour continuer leur thèse et subvenir à leurs besoins.
Des mesures à prendre d’urgence
Pour créer des vocations chez les étudiants, il est donc urgent d’agir, selon la Fage. « Nous demandons le financement de tous les doctorats grâce à un accès systématisé à un contrat de travail », déclare Fanny Sarkissian.
L’association étudiante réclame aussi la prolongation financière des contrats de travail au-delà des trois ans et la prise en charge de l’ensemble des frais de recherche par le laboratoire ou l’école doctorale. Sans pour l’instant être entendue par la ministre sur le sujet…
* Etude réalisée du 30 mai au 20 août 2022 auprès des écoles doctorales de France. 2.000 doctorants y ont répondu.
**Les Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) permettent à l’entreprise de bénéficier d’une aide financière pour recruter un jeune doctorant. Ce dernier se voit confier un travail de recherche, qui sera l’objet de sa thèse.