Mayotte : Que se cache-t-il sous l’opération « île morte » ?
INSECURITE Elus et collectifs de citoyens ont lancé une opération « île morte » à compter de ce 15 septembre et « jusqu’à nouvel ordre »
- Le sentiment d’insécurité est très fort à Mayotte qui a vu sa population quadrupler entre 1985 et 2017. Dans une analyse de novembre 2021, l’Insee relevait que « près de la moitié des personnes se sentent en insécurité souvent ou de temps en temps, à leur domicile ou leur quartier, soit cinq à six fois plus que les habitants de l’Hexagone ».
- Dénonçant une situation d’une « gravité inédite », élus et collectifs de citoyens ont lancé une opération « île morte » à compter de ce 15 septembre et « jusqu’à nouvel ordre ».
- L’opération est décriée par les parents d’élèves alors que le préfet, qui a dit comprendre « l’exaspération de la population », a appelé à « ne pas laisser la rue aux délinquants ». « 20 Minutes » fait le point.
A Mayotte, où le sentiment d’insécurité est très fort, maires, parlementaires, conseillers départementaux et collectifs de citoyens ont dénoncé, ce jeudi une situation d’une « gravité inédite ». Dans la foulée, ils ont lancé une opération « île morte » à compter de ce 15 septembre et « jusqu’à nouvel ordre ». Dans cette île située dans l’océan Indien entre l’Afrique de l’est et Madagascar, théâtre régulier d’affrontements entre bandes ou avec les forces de l’ordre, la délinquance est élevée, bien plus importante qu’en France métropolitaine. 20 Minutes fait le point sur cette opération, qui survient quelques semaines après la visite du ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer Gérald Damarnin et après une réunion des élus à l’Elysée, avec le président de la République Emmanuel Macron.
Que se passe-t-il depuis ce jeudi à Mayotte ?
Les élus de l’archipel de Mayotte, 101e département français où l’extrême droite était arrivée nettement en tête à la présidentielle, ont décidé de fermer écoles primaires et administrations locales jeudi et « jusqu’à nouvel ordre ». Face à une situation d’une « gravité inédite », maires, parlementaires, conseillers départementaux et collectifs de citoyens ont donc décidé d’une opération « île morte » à compter du 15 septembre, promettant un retour « à la normale dès que la situation sera apaisée et des solutions structurelles trouvées pour que la paix, la sécurité, la sérénité et la tranquillité publique reviennent ».
Dans la foulée, l’association des maires a indiqué dans son communiqué avoir demandé au Conseil départemental de « prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu’aucun transport scolaire ne circule à compter de ce jeudi ».
Pourquoi cette opération « île morte » est-elle critiquée ?
Que des maires demandent « qu’aucun transport scolaire ne circule à compter de ce jeudi » agace la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) qui s’est inquiétée de l’impact sur les élèves, estimant que « l’intérêt supérieur des enfants » ne devait « pas être sacrifié ».
Sur l’île, où l’âge moyen de la population est de 23 ans, contre 41 ans en métropole et où les transports en commun n’existent pas, de nombreux élèves devraient effectivement être dans l’impossibilité de se rendre au collège ou au lycée. « Mayotte est un des territoires les plus pauvres de France, un territoire où les enfants, les adultes ne se sentent plus en sécurité. C’est à l’Etat (…) de trouver rapidement des solutions à une situation qui n’a que trop perduré », a estimé la FCPE dans un communiqué.
Réagissant mercredi matin sur la chaîne locale Kwezi TV, le préfet de Mayotte, Thierry Suquet, a, pour sa part, assuré comprendre « l’exaspération de la population » mais appelé à « ne pas laisser la rue aux délinquants ». « On sent que derrière ces agitations, on veut que la police, la gendarmerie, la justice et l’Etat, comme les collectivités, soient affaiblis. Ne lâchons pas le terrain, ce n’est pas le moment de fermer, de capituler », a plaidé le préfet.
Mayotte, une île gangrenée par la violence ?
Le sentiment d’insécurité est très fort à Mayotte, archipel de près de 400.000 habitants qui a vu sa population quadrupler entre 1985 et 2017. Dans une analyse de novembre 2021, l’Insee relevait que « près de la moitié des personnes se sentent en insécurité souvent ou de temps en temps, à leur domicile ou leur quartier, soit cinq à six fois plus que les habitants de l’Hexagone ».
Mayotte est effectivement régulièrement secouée par des flambées de violences entre bandes rivales ou contre les forces de l’ordre, lorsqu’elles interviennent pour y mettre fin. En 2021, le parquet de Mamoudzou avait ainsi enregistré une augmentation de 25 % des saisines pour des faits criminels sur l’île et de 21 % pour des délits. Quatre fois plus de dépôts de plainte pour cambriolages qu’en métropole y sont également enregistrées et les agressions physiques y sont beaucoup plus fréquentes. Une insécurité alimentée par une grande pauvreté : 194.000 Mahorais, soit 74 % de la population, vivent avec un niveau de vie inférieur à 50 % de la médiane nationale, selon l’Insee.
Début septembre déjà, bagarre et mouvements de foule avaient émaillé le concert du rappeur Niska qui avait eu lieu à la capitale Mamoudzou. Ce dernier avait dégénéré en émeute, faisant une dizaine de blessés légers, selon des sources policières. A l’issue de près de deux heures d’affrontements, deux personnes avaient été interpellées. En février, excédés par l’insécurité, des habitants avaient, eux, bloqué pendant plusieurs jours les accès à leur quartier et tenté d’entraver des axes de circulation.
Se rendant à Mayotte fin août, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait, quant à lui, indiqué que les policiers et les gendarmes avaient évoqué « en aparté des mineurs de 11 ans, de 10 ans, de 9 ans qui avaient des machettes, des haches, qui attaquaient les policiers et les gendarmes ». Enfin, le département français a connu ces derniers jours une vague de violences, avec barrages routiers, affrontements entre bandes rivales et avec les forces de l’ordre, caillassages de bus scolaires et de véhicules.
Quelles sont les propositions de l’Etat ?
Des élus ultramarins avaient demandé en mai dernier, à discuter avec l’Etat « d’un changement profond de politique » d’aide au développement de leurs territoires frappés par la pauvreté. Au début du mois de septembre, Emmanuel Macron a ainsi reçu une cinquantaine d’élus de Saint-Pierre-et-Miquelon, Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Guyane, Réunion et Mayotte. Le président a « souhaité mettre l’accent sur la sécurité (…) la lutte contre la vie chère (…) et le rayonnement de cet archipel français avec une coopération régionale renforcée », avait alors commenté l’Elysée dans un communiqué.
L’exécutif a dans la foulée fait savoir qu’il voulait donner aux élus ultramarins « les marges d’action nécessaires à l’invention de solutions sur mesure » aux problèmes de sécurité et de vie chère, qui touchent ces territoires. De son côté, la Première ministre Elisabeth Borne a confié qu’elle allait tenir un comité interministériel des Outre-mer (CIOM) « d’ici six mois » pour acter sur cette base une première série de décisions.
Plus tôt, mi-août, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, avait annoncé la création d’un centre éducatif fermé (CEF) à Mayotte. « Ce nouvel établissement proposera une offre éducative dédiée, pensée comme une alternative à l’incarcération, pour les mineurs les plus ancrés dans la délinquance », a expliqué le ministère dans un communiqué. Sa mise en service est prévue fin 2024.
Enfin, Gérald Darmanin, en visite à Mayotte fin août, avait déjà annoncé qu’il allait faire des propositions pour ouvrir « des lieux de rééducation et de redressement » pour les mineurs délinquants, encadrés par des militaires. Par ailleurs, le ministre a également demandé au directeur général de la police nationale « d’étudier la possibilité d’utiliser des armes intermédiaires, qu’on a ici utilisé lorsqu’il y a eu des émeutes, lorsque le Raid est venu », lors d’échauffourées mêlant des mineurs. Il a enfin présenté les nouveaux moyens aériens et maritimes de lutte contre l’immigration illégale.
A noter que la Cour des comptes a récemment dénoncé le fait qu’à Mayotte, les autorités ne répondaient pas aux attentes des Mahorais « sur les plans sociaux, économiques et sociétaux » et leur a recommandé de travailler avec les acteurs régionaux pour lutter contre l’immigration clandestine et garantir des perspectives de développement. Déjà en 2016, la Cour des comptes avait déjà relevé la préparation insuffisante de la départementalisation de Mayotte en 2011, une réforme institutionnelle « mal pilotée », qui, bien que sans lien avec les crises que traverse l’archipel, « n’en a guère facilité la résolution ».