Crèches : Face à la pénurie de personnels, parents et professionnels sont inquiets
VOTRE VIE VOTRE AVIS En souffrance, le secteur de la petite enfance dénonce la dégradation de ses conditions de travail et s’insurge contre l’arrêté du gouvernement concernant l’embauche de personnels non diplômés
- En première ligne lors de la crise du Covid-19, les crèches font face aujourd’hui à une pénurie de personnels dans plusieurs départements.
- Pour pallier la situation, le gouvernement a décidé d’assouplir depuis le 31 août le recrutement de salariés non diplômés et de les former en interne.
- Plusieurs organisations syndicales ont manifesté leur colère face à cette mesure. A Paris, particulièrement touchée par le manque d’effectifs, une grève a été organisée le 31 août.
- Salaires bas, conditions de travail dégradées, perte d’attractivité pour le métier… Les parents et professionnels qui ont répondu à notre appel ne cachent pas leur inquiétude pour le secteur de la petite enfance et la sécurité des enfants.
Alors que les grands ont retrouvé le chemin du bureau et les petits et moyens ceux de l’école, la rentrée est loin d’être de tout repos pour certains tout-petits. Les crèches, en souffrance depuis plusieurs années, sont à la peine - comme plusieurs autres secteurs - pour recruter. En témoignent les établissements parisiens en grève le 30 août dernier.
En première ligne durant la crise du Covid-19, la profession n’attire plus les candidats en raison notamment « des conditions de travail, de l’absentéisme non remplacé, du manque de moyens ou encore du taux de remplissage », explique Angélique, auxiliaire de puériculture diplômée d’Etat qui travaille en structure d’accueil municipal. Nombreux professionnels du secteur (puéricultrices, auxiliaires de puériculture, éducateurs) ont pris le temps de répondre à notre appel à témoignages pour nous alerter sur le mal-être du secteur. Loin de se cantonner à « jouer et accueillir l’enfant », comme le rappelle Marianne, ils sont chargés de la sécurité, l’hygiène, l’accompagnement et la communication avec les enfants, mais aussi avec les parents et les équipes, sans oublier l’organisation de la structure. Le tout avec plusieurs bambins sous leur supervision, huit dans le cas de cette auxiliaire de puériculture.
« Toujours plus avec toujours moins »
En juillet dernier, la Caisse nationale d’allocations familiales (CAF) a publié une enquête portant sur 15.986 crèches collectives offrant 411.959 places d’accueil. Les chiffres révèlent que près de la moitié (48,6 %) des crèches collectives déclare un manque de personnel auprès d’enfants. Plus de 9.500 places sont « fermées ou inoccupées à cause d’une difficulté de recrutement ». Face à la pénurie, le gouvernement a publié un arrêté au Journal officiel qui a fait bondir les professionnels du secteur. Depuis le 31 août, les crèches confrontées à un manque de personnel sont autorisées à recruter des personnes sans les qualifications habituellement exigées, « en cas d’absolue nécessité » et sous certaines conditions. Les recrutements hors diplôme ne pourront concerner que 15 % des effectifs au maximum. Par ailleurs, les nouvelles règles prévoient que le salarié novice sera formé en interne via un « parcours d’intégration » de 120 heures, puis qu’il bénéficiera d’une formation qualifiante dans un délai maximum d’un an. Pour rappel, selon la loi, 40 % minimum de l’effectif d'une crèche doit être diplômé.
Pour le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE), interrogé par l’AFP, le risque est bien de « brader » les qualifications des salariés déjà en place, et de voir des mesures exceptionnelles « devenir ensuite permanentes ». « L’Etat se contente d’organiser la pénurie », soupire Cyrille Godfroid, secrétaire général de ce syndicat. « Certains gestionnaires vont utiliser cet arrêté pour maintenir les crèches ouvertes, coûte que coûte. Mais pour quel niveau de service ensuite ? », interroge-t-il, auprès de nos confrères.
Cette décision met « en colère » Aurélie. « Aujourd’hui, on demande à des professionnels de faire toujours plus avec toujours moins : plus d’enfants, plus de non-professionnels à former (qui bien loin de nous soulager alourdissent la tâche), moins de budget, moins de salaire, moins d’espace, moins de temps de qualité pour plus de rendement… », nous écrit-elle. Professionnels ainsi que parents s’inquiètent d’une « crèche au rabais ». « Et pourquoi pas des agents de sécurité pour remplir les rangs de la police nationale et des aides-soignants pour remplacer les chirurgiens », s’exaspère Elise, une maman. « J’ai dû travailler avec une jeune femme non diplômée et sans expérience, et même si oui, elle m’aidait un peu, j’avais peur de la laisser seule avec les enfants », nous confie Marie, auxiliaire de puériculture en micro crèche.
« Personne ne reconnaît votre valeur »
Aujourd’hui, Marianne pense se réorienter vers le métier d’assistante maternelle. Chantal a déjà sauté le pas. « Aujourd’hui, je gagne mieux ma vie en gardant moins d’enfants », nous dit cet ex-auxiliaire de puériculture en crèche pendant dix ans. Ingrid et Marie-Laure, aussi assistantes maternelles, s’étonnent de l’arrêté du gouvernement alors que leur profession exige de plus en plus de formations, notamment la validation d’épreuves du CAP petite enfance.
Après cinq ans en tant qu’auxiliaire de crèche dans une délégation de service public à Paris, Chloé a décidé de démissionner. « Personne ne ferait un métier où personne ne reconnaît votre valeur. Je me suis donné corps et âme pour être une bonne professionnelle de la petite enfance et tout ça pour rien », raconte-t-elle. Plusieurs parents voient aussi la profession se dégrader au fil des années. « Quand on sait, pour en avoir discuté avec elles, qu’elles sont pour la plupart payées au SMIC, on peut se dire qu’elles sont passionnées et qu’elles s’occuperont au mieux de nos enfants. Elles méritent tellement un meilleur salaire et le respect de tous ! », déclare Romain, père de trois enfants. La revalorisation des salaires est pointé du doigt par la majorité de nos contributeurs.
Changer de mode de garde
Certains, comme Morgane, subissent les conséquences de la souffrance de la profession. « 2021 a été très compliquée, car effectivement le manque de personnel a fait que la crèche a dû réduire ses amplitudes horaires », détaille cette mère d’un enfant de 15 mois qui fréquente une crèche publique depuis ses 3 mois. En raison de ce changement, elle était quotidiennement en retard au travail et c’est « financièrement, impossible de prendre deux modes de garde différents (crèche + assistante maternelle ». Pour elle, le recrutement de personnes non qualifiées peut être une solution « par rapport à l’urgence actuelle, mais sur le long terme, il va vraiment falloir que l’État trouve un moyen rapide de revaloriser ces métiers ». Elle est aussi inquiète à cause des incidents dans plusieurs scandales : bébés secoués ou encore récemment à Lyon, un bébé empoisonné par une agente de la crèche. « Ils prouvent bien que les professionnel (le) s de la petite enfance sont à bout », ajoute la maman.
Emilie partage le même avis. L’an dernier, sa fille a été gardée par une personne non diplômée de la petite enfance (ancienne professeure) dans une crèche en région parisienne. « Cette personne était formidable et extrêmement attentive aux besoins des enfants », reconnaît la maman. Une chance donnée à une personne motivée et impliquée. Mais « ce nouveau moyen de recrutement est très inquiétant », selon elle.
Pour d’autres parents, le choix est plus radical. Les trois premiers enfants de Romain ont été gardés en crèche, mais il n’hésitera pas à changer de mode de garde si la structure qu’il a choisie pour son enfant à naître embauche du personnel non qualifié. Mélanie, elle, a retiré sa fille cadette de sa crèche quand elle a su que l’établissement avait fait le choix d’embaucher des non-diplômés cette année. « De ce fait j’ai contacté une assistante maternelle qui va s’en occuper au moins cette année, je préfère la crèche en mode de garde, mais pas au détriment de mon enfant », indique la mère de famille.