Rentrée des classes 2022 : L’école à la maison va-t-elle devenir une extrême exception ?

LA NON RENTRÉE Entrée en vigueur ce jeudi, la nouvelle loi sur l’instruction en famille oblige les parents à obtenir une autorisation de l’inspection académique pour scolariser leur enfant à domicile

Camille Allain
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Des dizaines de familles étaient réunies le 1er septembre 2022 pour fêter leur non-rentrée et affirmer leur choix de faire l'école à la maison.
Des dizaines de familles étaient réunies le 1er septembre 2022 pour fêter leur non-rentrée et affirmer leur choix de faire l'école à la maison. — C. Allain / 20 Minutes
  • Ce 1er septembre marquait la rentrée des classes mais aussi l'entrée en vigueur d'un volet de la loi sur le séparatisme qui vise les familles pratiquant l'école à la maison.
  • Un grand rassemblement régional se déroulait à Trémelin, en Bretagne, pour dénoncer cette loi qui limite le recours à l'instruction en famille.
  • Les parents doivent désormais obtenir une autorisation pour faire classe à leurs enfants à la maison.

Avec la rentrée des classes, les grands pins bordant le lac de Trémelin pensaient sans doute avoir la paix ce jeudi. Perdu. Alors que douze millions d’enfants étaient appelés en classe, l’étendue d’eau située à l’ouest de Rennes ( Ille-et-Vilaine) a été investie par des dizaines de gamins allant du nourrisson à l’adolescent. Des vacances prolongées ? Absolument pas. Si ces enfants jouent autour et même dans l’étang, c’est avec la bénédiction de leurs parents. Ici, on défend l’IEF, c’est-à-dire l’instruction en famille, plus communément appelée « l’école à la maison ».

Organisé chaque année par le collectif IEF 35, le rassemblement vient ironiquement célébrer la « non-rentrée » en offrant aux enfants une journée bien loin de celle vécue dans les écoles, collèges et lycées de France. Ici, pas de cartable ou de trousse neuve, mais une ferme volonté de défendre ce modèle alternatif, qui reste marginal mais séduit de plus en plus de parents. L’IEF a pourtant pris un sérieux coup en pleine tête ce 1er septembre avec l’entrée en vigueur de la loi sur l’instruction en famille. Pour cette rentrée, tous les parents souhaitant pratiquer l’école à la maison devaient obtenir une autorisation. Auparavant, seule une déclaration était nécessaire. « Le problème de cette autorisation, c’est que beaucoup de parents ne l’obtiennent pas, sans vraiment comprendre pourquoi. Il y a de réelles disparités entre les académies », explique Katy, membre du collectif IEF 35.


Maman de deux garçons de 12 et 14 ans, elle a toujours pratiqué l’instruction à la maison. Jamais ses deux adolescents n’ont fréquenté l’école. « J’ai découvert ça pendant un an quand j’étais enfant. C’est ma grand-mère, qui était couturière, qui nous faisait la classe. J’ai toujours gardé cette idée en tête pour mes enfants. J’avais envie de leur faire découvrir autre chose ». Comme toutes les familles dont les enfants sont déjà déscolarisés, Katy est tranquille pour deux ans et n’aura pas besoin d’autorisation, à condition que les contrôles menés par l’inspection lui soient favorables. La situation est bien plus complexe pour les parents dont les enfants sont juste en âge d’entrer à l’école.

Des dizaines de familles étaient réunies le 1er septembre 2022 pour fêter leur non-rentrée et affirmer leur choix de faire l'école à la maison.
Des dizaines de familles étaient réunies le 1er septembre 2022 pour fêter leur non-rentrée et affirmer leur choix de faire l'école à la maison. - C. Allain / 20 Minutes

Depuis 2019, l’instruction est obligatoire dès l’âge de 3 ans en France​. Les parents souhaitant s’écarter du système scolaire doivent désormais justifier ce choix. Un handicap, une pratique sportive ou artistique intensive ou encore l’itinérance de la famille font partie des critères retenus par l’institution. Le dernier est bien plus flou et évoque « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». Chaque dossier est étudié, mais peu sont acceptés. Parfois à raison, tant certaines situations peuvent mener à l’isolement des enfants dans des contextes mal adaptés. Mais parfois à tort, quand les familles veulent simplement gérer elles-mêmes une instruction plus autonome, inspirée de modèles comme celui de Montessori. « J’ai reçu le courrier de refus hier (mercredi). Normalement, j’aurais dû mettre mon fils à l’école ce matin. Mais je n’avais pas le courage. Je veux prendre le temps de la réflexion ».

De nombreux recours devant les tribunaux administratifs ont déjà été formulés. Dans l’académie de Toulouse, 283 des 314 demandes de motif 4 ont été refusées. « Ce motif 4, c’est l’exception, il faut vraiment un motif valable », a insisté le recteur Mostafa Fourar. Jennifer en fait partie. Il y a deux ans, cette mère de trois enfants a décidé de retirer son aîné de l’école primaire pour lui faire classe à la maison.

« Mon fils avait de bons résultats mais il ne tenait pas en place. Être assis en classe toute la journée, ce n’était pas fait pour lui. Tous ses enseignants me l’ont dit ».

Avec la nouvelle loi, elle pourra continuer à faire classe à son grand de 11 ans, mais pas à son cadet de 4 ans. La raison ? Elle n’a pas le baccalauréat. « C’est absurde. Surtout quand on sait comment les profs sont recrutés en ce moment », tacle Coralie, dont le fils profite de l’instruction en famille depuis un an.

Déjà en réflexion depuis quelques années et les remarques insistantes d’enseignants désemparés, le choix de Jennifer de quitter l’école s’était confirmé lors du premier confinement de mars 2020. Une date à laquelle des millions de parents ont pu tester – dans de plus ou moins bonnes conditions – à quoi ressemblait l’école à la maison. Déjà en progression, le nombre de familles intéressées a fait un bond. Environ 70.000 enfants seraient concernés par l’instruction en famille. Qu’est-ce qu’ils en pensent ? « J’aime vraiment bien l’IEF parce qu’on fait un peu de tout. On travaille le matin, et l’après-midi je peux voir mes copines et copains », explique Amande, 10 ans. La fillette était intéressée pour rejoindre une classe « normale » cette année. « J’avais envie d’essayer, de rencontrer d’autres enfants, de voir comment c’était. Mais j’avais un peu peur de devoir rester assise toute la journée ».

« On souffre de ces préjugés alors que c’est infondé »

Face à la menace de devoir obtenir la fameuse autorisation si sa fille voulait revenir à la maison, la maman d’Amande n’a de toute façon pas voulu prendre le risque. « Les gens pensent parfois que nos enfants ne sont pas sociabilisés ou qu’ils ne vont pas suffisamment apprendre. On souffre de ces préjugés alors que c’est infondé. Ils sont très à l’aise, ils développent des compétences, de l’autonomie », assure Claire, qui espère l’abrogation de la loi. Si son choix est idéologique, Claire a une pensée émue pour tous les enfants qui ne se plaisent pas à l’école. « Il y a des familles pour qui l’école devient un vrai problème. En leur interdisant l’instruction à la maison, on leur enlève une solution ». Pour promouvoir sa loi, le gouvernement insistait sur sa nécessité pour lutter contre la radicalisation et le séparatisme. Un argument qui n’a pas convaincu grand monde. « De toute façon, il fallait déjà se déclarer dans le passé. Et vous pensez vraiment que ces familles le faisaient ? », interroge Katy.