Rentrée scolaire 2022 : « Je me suis retrouvée noyée dans le grand bain »… Les profs contractuels racontent leurs débuts

EDUCATION « 20 Minutes » a interrogé des contractuels sur leurs conditions de recrutement, de travail, et sur la manière dont ils appréhendent la rentrée

Delphine Bancaud
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A cette rentrée, 3.000 contractuels ont été recrutés.
A cette rentrée, 3.000 contractuels ont été recrutés. — Canva
  • L’Education nationale a recours cette année à quelque 3.000 nouveaux contractuels.
  • Affectation tardive, formation express, difficultés à gérer une classe… Leur démarrage dans ce nouveau métier est souvent difficile.
  • Mais ceux qui réussissent à passer le cap d’une première expérience délicate ont souvent envie de rempiler.

Cette rentrée, on ne parle que d’eux. Les 3.000 nouveaux contractuels recrutés par l’Education nationale pour pallier le manque de profs titulaires. Car cette année, plus de 4.000 postes n'ont pas été pourvus aux concours de l’enseignement. Et Pap Ndiaye a plusieurs fois rappelé que le pourcentage profs contractuels était désormais de 1% dans le premier degré et de 8% dans le secondaire. 

Un recours important qui est critiqué par les syndicats d’enseignants : ces contractuels sont moins qualifiés, moins bien payés et très peu formés avant d’être devant une classe. Quelques jours sont prévus pour leur faire découvrir le BA-ba du métier avant le jour J. « Il est illusoire de penser que l’on peut devenir prof en quelques jours. Enseigner, ça ne s’improvise pas », s’insurge Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU.

Une formation insuffisante aussi pour Victoire, contractuelle depuis six ans en français et en anglais, qui a répondu à notre appel à témoins : « La gestion des classes, la différenciation, l’autorité sont des sujets qu’on devrait aborder au sein de la formation. On nous demande de gérer des classes de 35 avec une attention particulière aux élèves en difficulté. C’est une mission impossible avec des classes aussi chargées. »

« J’ai été propulsée en classe sans formation, ni outils »

Certains, comme Alexis, contractuel depuis deux ans, ont même dû sauter dans le bain sans formation : « L’année dernière, j’ai fait 6 mois de remplacement. Aucune formation, j’ai dû préparer mes premiers cours en 2 semaines pendant la période de Noël. Ensuite, je préparais mes cours pratiquement au jour le jour les premiers mois, avec une charge de travail de 50 heures par semaine au minimum. » Idem pour Fleur, professeur d’économie-gestion : « J’ai été propulsée en classe sans formation, ni outils. J’ai donc assisté à des cours de mes collègues titulaires et beaucoup squatté la salle des profs quand j’avais un trou dans mon emploi du temps. »

Une situation que le ministre de l’Education a relativisée ce mardi sur RTL, rappelant que « la grande majorité des enseignants contractuels a déjà enseigné l’année dernière : plus de 80 % d’entre eux ». Et de promettre un meilleur suivi : « Nous prolongeons ces jours-là par de la formation tout au long de l’année et par du tutorat ».

« A l’heure actuelle, je ne sais toujours pas où je vais être en poste »

Si les contractuels comptent généralement sur l’été pour se préparer et plancher sur leurs premiers cours, ce n’est pas toujours possible, comme en témoigne Pascal : « Comme chaque année, je ne sais pas encore où je donnerai cours la semaine prochaine. Je recevrai un message le deuxième ou le troisième jour de la rentrée, pour me demander si je veux bien aller ici ou là. C’est seulement après que j’apprendrai que les classes qu’on me propose sont de tel ou tel niveau. Ça ne facilite pas les préparations ! ».

Thaïs, professeure contractuelle de lettres modernes depuis bientôt six ans, connaît cette incertitude du mois d’août : « A l’heure actuelle, je ne sais toujours pas où je vais être. Comme chaque année, je ne serai sûrement pas appelée avant la mi-septembre ou à la fin du mois. En général, les premiers postes qu’on me propose sont très différents des vœux que j’ai exprimés en avril. L’année dernière, on me proposait deux postes sur Noirmoutier alors que je résidais aux Sables d’Olonne. Pour la première fois j’ai osé dire non au rectorat et on m’a trouvé un poste dans un collège près de chez moi ». Sophia est aussi dans l’expectative : « Je me prépare toujours un maximum avant la reprise, mais pour cette rentrée, je sais que je suis renouvelée, sans savoir où, alors que nous sommes à deux jours de la rentrée. »

« J’ai pu compter sur mes collègues pour m’accompagner »

Cette difficulté à anticiper et à bien préparer les premières séquences pédagogiques rend encore plus nécessaire l’entraide. Et bien souvent, les titulaires viennent à la rescousse. Ce fut le cas pour Fabien, contractuel depuis cinq ans : « Le prof que je remplaçais m’a confié ses cours, ses notes, ses avis sur les élèves. Et mes collègues de SVT m’ont également accompagné, m’ont fourni des cours quand j’en avais besoin. Pour la pédagogie, j’ai dû apprendre sur le tas, mais ça s’est toujours assez bien passé pour moi, en dépit d’élèves pas toujours faciles à gérer. » Fanny, prof contractuelle d’économie et gestion en lycée professionnel, a aussi eu la chance d’être épaulée : « J’ai eu la chance de passer un an et demi dans un lycée avec une super équipe qui m’a guidée dans ce nouveau métier. »

Mais selon Victoire, l’entraide est loin d’être systématique et varie d’un établissement à un autre : « En six ans, j’ai rencontré 3-4 collègues qui ont bien voulu partager leurs progressions pédagogiques avec moi. Ils mettent beaucoup de temps pour les préparer pendant l’été et c’est très rare que quelqu’un partage son travail généreusement. Finalement, la plupart du temps, je ne pouvais compter que sur moi-même. » Thaïs est du même avis : « Les titulaires sont souvent débordés et malgré leur proposition d’aide, il faut réussir à se débrouiller par soi-même », estime-t-elle.

« La première année a été très éprouvante pour moi »

Pas étonnant, dans ces circonstances, que les débuts de beaucoup de contractuels soient difficiles. Comme le confie Joanna : « Ma première année a été très éprouvante. Autant pour la gestion de classe que pour la préparation de mes séquences de cours ». Lilou se souvient toujours avec stress de la rentrée 2021, où elle a démarré en tant que contractuelle en lycée professionnel : « Je me suis retrouvée noyée dans le grand bain face à des élèves en grandes difficultés scolaires, avec des élèves handicapés plus ou moins lourds. » Victoire, elle, qualifie sa première année d'« horrible » : « J’ai reçu les manuels la veille, je ne connaissais rien, je ne savais pas comment faire une progression, quel était le programme ! ».

Pour celles et ceux qui ont réussi à passer le cap de la première expérience dans l’Education nationale, les rentrées d’après se passent généralement beaucoup mieux. Benjamin, lancé depuis quelques années, confie ainsi son envie de retrouver les élèves : « La rentrée est toujours source de stress, mais aussi d’excitation. Je vais enseigner en 5e, Seconde, 1re et Terminale. Mes cours sont prêts. » Une même impatience chez Fanny : « J’arrive dans un nouveau lycée, je vais avoir d’autres sections professionnelles. Je vois cela comme un nouveau défi à relever et j’ai hâte de rencontrer les nouveaux élèves. Je suis un peu stressée par l’inconnu… Mais j’ai confiance en moi et ma précédente expérience m’a confortée dans ce choix professionnel. »