Entre viande et produits végétaux, pourquoi fait-on tout un plat du mot « steak » ?

ETYMOLOGIE Grâce à une décision du Conseil d’Etat, les végétariens peuvent continuer à manger des steaks végétaux... mais, au fait, est-ce vraiment des « steaks » ?

Cécile De Sèze
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Attention, ceci n'est peut-être pas un steak.
Attention, ceci n'est peut-être pas un steak. — tomwieden / Pixabay
  • Le Conseil d’Etat a validé ce mercredi en urgence la requête d’une association contre un décret qui devait interdire le 1er octobre les appellations telles que « steak » ou « lardon » pour les produits à base de protéines végétales.
  • Les défenseurs des produits à base de protéines végétales, tels que l’organisation Protéines France, qui défend les industriels de la filière des protéines végétales (Herta, Happyvore, etc.), ont donc gagné un peu de temps et pourront utiliser les mots steak, saucisse, caviar, boulettes ou carpaccio pour nommer leurs produits végétaux.
  • Mais, finalement, c’est quoi un steak ? 20 Minutes a posé la question à Laurence Brunet-Hunault, maîtresse de conférences en linguistique et sémiologie.

Bleu, saignant ou à point ? Le steak peut se manger de beaucoup de façons, et même sans viande du tout. Les producteurs de steak ou autres saucisses, carpaccio, boulettes, à base de protéines végétales vont pouvoir conserver cette appellation après la suspension, jeudi, du décret les obligeant à abandonner ces termes liés à la viande par le Conseil d’Etat.

En suspendant ce décret, réclamé de longue date par les associations interprofessionnelles de la viande et du bétail, la juridiction administrative se calque sur la position européenne, qui autorise l’usage des termes d’origine animale, sauf pour les produits à base de lait. Mais, finalement, c’est quoi un « steak » ? Et peut-on vraiment parler de «steak végétal» ? Eléments de réponse avec Laurence Brunet-Hunault, maîtresse de conférences en linguistique et sémiologie à l’université de La Rochelle.

Le steak, les saucisses ou le carpaccio, est-ce « bien de la viande » ?

C’est l’un des arguments clamés par l’avocat de l’organisation Protéines France qui avait déposé vendredi dernier un référé suspension contre le décret du gouvernement. « Le Conseil d’Etat a retenu notre moyen tiré de l’impossibilité pour les denrées végétales de sortir du champ lexical qui s’approche de près ou de loin de la viande », s’est félicité maître Guillaume Hannotin. Et selon lui, certaines appellations n’ont à l’origine aucun rapport avec la viande, comme « steak », qui signifie « tranche » en anglais, ou encore « carpaccio », nommé après le peintre italien qui faisait prévaloir le rouge dans ses peintures.

Selon Laurence Brunet-Hunault, si « steak » vient bien de l’anglais de « tranche », en France « steak, dans la définition linguistique, c’est bien de la viande, c’est une tranche de bœuf grillée ou à griller ». Et même si on peut entendre l’expression « steak de thon », il ne faut pas oublier qu’on y trouve « de la protéine animale et que, théoriquement, on ne devrait pas non plus l’appeler steak », abonde la linguiste. De même pour la saucisse qui « est une préparation à base de viande de porc, de veau ou de bœuf, contenue dans un boyau allongé ».

En ce qui concerne le carpaccio, si son nom est bien inspiré d’un peintre italien attaché à la couleur rouge, Laurence Brunet-Hunault reste ferme : « C’est une recette inventée par un cuisinier italien faite à partir de tranches de viande très fines ». Mais elle convient que le problème est un tout petit peu plus compliqué puisque aujourd’hui, la recette a évolué et on trouve des carpaccios de fruits de mer, de poisson et même de fruits.

Mais alors peut-on dire « steak végétal » ?

Etymologiquement, la question se pose alors pour les steaks végétaux. Ça a la forme et l’aspect d’un steak haché de viande rouge, mais ça en a ni le goût, ni les ingrédients de base. « Ça peut être trompeur », intervient alors la maîtresse de conférences, qui s’interroge : « Que met-on en avant finalement ? C’est un jeu de packaging, on a été habitués à manger de la viande »... donc il apparaît plus simple de mettre cette appellation pour vendre le produit. Cette bataille juridique est une « bagarre entre deux camps qui s’affrontent : celui qui défend l’élevage du bétail et celui qui s’y oppose à cause de la pollution qu’il génère », résume-t-elle. Mais finalement, « on pourrait plutôt inventer un autre mot que steak, comme galette par exemple », propose alors Laurence Brunet-Hunault.

Est-ce si important de s’attacher à la définition de base ?

Un nouveau mot, pour désigner un autre produit, sinon, on peut s’y perdre. Pour la spécialiste qui cite 1984 de George Orwell, « si tout s’appelle steak, de quoi parle-t-on à la fin ? ». « Oui ça a la forme du steak, mais les mots ont un sens même si la langue évolue », ajoute-t-elle en insistant sur « l’importance de pouvoir identifier les choses, et d’autant plus dans l’alimentaire ».

Et de se rappeller des précédents débats autour du Roquefort, du Gruyère et des autres produits soumis à une appellation d’origine protégée. « Quand j’achète un produit sur lequel il est écrit Roquefort, j’entends manger du Roquefort, illustre Laurence Brunet-Hunault. C’est important de savoir ce que l’on mange et donner un nouveau nom au steak végétal peut aussi permettre aux personnes qui en consomment de mieux comprendre ce qu’ils mangent. » 

D’autant que l’industrie alimentaire n’est pas un terrain vierge d’arnaques et autres problèmes sanitaires. On se souvient du scandale de la viande de cheval en 2013, ou plus récemment celui entourant les pizzas Buitoni contaminées à l’E.coli.